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Biodiversité: la question des données génétiques menace l’issue de la COP15

Publié le : 17/12/2022 – 11:40

Enjeu méconnu majeur, la question de l’utilisation commerciale des données génétiques numériques issues de la biodiversité est discutée à la COP15 de Montréal. Les pays du Sud, dont ceux du continent africain, ne signeront pas l’accord final sans avoir obtenu une position claire sur la question.

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De notre correspondant à Montréal,

Le débat peut paraître obscur ; il pourrait pourtant faire basculer les négociations en cours à Montréal, dans le cadre de la COP15 sur la biodiversité. Les 193 représentants des pays membres de la Convention sur la diversité biologique (CBD) négocient actuellement les règles pour l’accès et le partage des ressources génétiques numérisées issues de la biodiversité. Il s’agit pour eux de définir des principes généraux pour encadrer la commercialisation d’un produit – du médicament au concentré alimentaire – issu d’une ressource génétique numérisée provenant d’un territoire donné, et prévoir des compensations pour le territoire d’où provient la ressource.

Le protocole de Nagoya, négocié à Tokyo en 2010 et en vigueur depuis 2014, prévoit le partage équitable des bénéfices de la biodiversité. Il permet notamment d’encadrer l’utilisation de ressources biologiques provenant d’un pays tiers. Ratifié par la majorité des pays membres de l’ONU, le protocole établit une série de règles pour utiliser une espèce animale ou végétale locale, dont l’accord des populations autochtones et du pays souverain, la signature d’un contrat et le suivi du parcours de l’échantillon.

Mais depuis, la science a déjà évolué. « Les récentes avancées en matière de données massives font que l’on est passé d’une manipulation physique à une manipulation numérique des données », résume Catherine Aubertin, économiste de l’environnement et directrice de recherche à l’IRD, l’Institut de recherche pour le développement en France. Concrètement, un scientifique n’a plus besoin d’exporter des échantillons matériels pour travailler sur la génétique d’un organisme, il peut utiliser le numérique pour le modéliser, et donc s’affranchir des règles du protocole de Nagoya.

Des technologies inédites

Prenons l’exemple d’un pays d’Amérique latine, dont les séquences génétiques d’une plante de son territoire sont stockées dans une banque de données. Des banques de données scientifiques, il en existe trois principales : une américaine, une japonaise et une européenne. Elles sont en accès libre. N’importe quel chercheur peut ainsi étudier les séquences génétiques d’une espèce, partout à travers le monde, grâce à un ordinateur. Ces milliards de séquences génétiques pourraient être exploitées à des fins de recherches fondamentales, par exemple pour retracer les ancêtres du végétal dans la lignée évolutive, mais aussi par des industries étrangères pour créer une nouvelle séquence, sans que le pays latino-américain puisse en profiter.

En effet, les dernières avancées technologiques, notamment en termes de gestion des données massives, d’intelligence artificielle, et de chimie, permettent de faire le tri dans les milliards de nucléotides, de modifier des séquences et de les combiner à d’autres. « La technologie CRISPR/Cas9, communément appelée « ciseaux génétiques », permet de créer de nouvelles séquences. Combinée à l’intelligence artificielle, on pourrait obtenir des séquences commercialement intéressantes, mais cela reste très hypothétique », explique Catherine Aubertin.

Un enjeu économique et politique

Pour les chercheurs, l’intérêt des banques de données est énorme : c’est grâce à elles qu’ils ont pu séquencer rapidement le coronavirus et développer des vaccins. Certains scientifiques craignent que de nouvelles normes en la matière viennent restreindre l’accès à ces données en libre service, et donc ralentir leurs recherches.

Mais de nombreux pays riches en biodiversité, dont une partie venant du continent africain, veulent que la COP15 résolve une fois pour toutes cet enjeu autant économique que scientifique. Concrètement, ils demandent que les revenus tirés de séquences génétiques issues de leurs territoires participent au moins en partie à leur propre développement. En effet, aujourd’hui, une entreprise peut développer un produit issu de diverses séquences génétiques sans payer de taxe sur leur utilisation, grâce aux banques de données en accès libre.

Ce phénomène qui relève de la biopiraterie existait même avant les séquences génétiques numériques, grâce à l’utilisation d’échantillons récoltés sans accord des populations locales. L’exemple le plus connu est la stévia, utilisé par les autochtones guaranis depuis des siècles en Amérique du Sud, et qui a permis le développement d’un édulcorant chimique, notamment utilisé par Coca-Cola.

Plusieurs solutions sont donc envisagées. L’une pourrait être de créer un fonds qui récolterait systématiquement une partie de l’argent produit, et qui serait ensuite reversé à hauteur de la participation de chaque pays aux banques de données. Une autre serait de faire payer l’accès aux séquences génétiques. Mais il faudrait pour cela commencer dès à présent à étiqueter systématiquement l’origine précise des gènes pour pouvoir rediriger les fonds récoltés, ce qui n’est pas toujours le cas. Certaines plantes, par exemple, existent dans plusieurs pays limitrophes et leurs séquences ne précisent pas le lieu exact.

L’enjeu des données génétiques issues de la biodiversité est aussi un moyen politique pour les pays du Sud de s’affirmer sur la scène internationale et d’entraîner un rapport de force qui leur est bénéfique. « Certains pays négociateurs ne veulent plus risquer de perdre le contrôle sur leurs ressources (…) même si l’on ne sait pas encore quelles retombées économiques concrètes sortiront de ces nouvelles méthodes d’exploitation des séquences génétiques », explique Catherine Aubertin. Des négociateurs proches de la délégation africaine ont fait savoir qu’il sera impossible de finaliser un accord global en matière de biodiversité tant qu’une solution n’est pas trouvée pour partager les bénéfices des séquences génétiques numérisées.


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