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TEMOIGNAGES. Coupe du monde : joie, fierté, réconciliation… Vous nous avez raconté ce qu’ont représenté pour vous les sacres de la France en 1998 et 2018

Avant la finale du Mondial 2022 au Qatar entre la France et l’Argentine, vous êtes près de 300 à avoir répondu à notre appel à témoignages pour nous raconter ce que vous avez ressenti en 1998 et en 2018.

Il y a Jacques, dont la grand-mère a voulu ressortir le drapeau tricolore remisé au grenier depuis la Libération. Madani, d’origine algérienne, qui s’est senti français « plus que jamais ». Ou encore Dominik, qui s’est « réconcilié » avec son frère. Avant la finale de la Coupe du monde entre la France et l’Argentine, dimanche 18 décembre au Qatar, franceinfo a lancé un appel à témoignages afin que vous nous racontiez ce que signifie pour vous le fait d’être champions du monde de football. A l’exception du « bâillement intense » décrit par Samuel, beaucoup ont confié que les deux sacres de 1998 et de 2018 représentent bien plus qu’une étoile brodée sur un maillot. 

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« Le dénominateur commun pour vivre ensemble est l’amour du pays »

(Madani, 35 ans, employé de banque en Seine-et-Marne)

Je suis d’origine algérienne, et en tant que Français issu de la diversité, les deux titres de champions du monde m’ont fait prendre conscience que le dénominateur commun pour vivre ensemble est l’amour du pays.

En 1998, j’ai 11 ans, je vis dans un HLM avec mes parents, mon grand frère et ma petite sœur. Je vis dans un quartier populaire, c’est l’été, mais personne ne part en vacances ici. Les grands ont mis une télé devant l’immeuble, on est une trentaine à attendre le coup d’envoi.

L’événement, c’est la finale. Il y a des gens d’origine maghrébine, portugaise, d’Afrique subsaharienne. Mais pour la première fois, je me sens français plus que jamais, on n’est plus ces « invités ». J’ai le sentiment d’appartenir à la même nation que les autres, qu’on est tous logés à la même enseigne, quels que soient le milieu ou les origines.

A l’époque, je suis en CM2, les instituteurs commencent à nous sensibiliser à la citoyenneté. Eh bien cette finale, c’est le cours en vrai, dans la rue. Vingt ans plus tard, en 2018, j’ai ressenti le même sentiment d’appartenance, mais cette fois avec le regard d’un adulte.

« Des gens ont ouvert les yeux avec ces deux sacres »

(Laurent, 56 ans, documentaliste dans l’Hérault)

Nos deux titres de champions du monde ont fait avancer des choses dans la société. Je suis sensible au fait que notre équipe soit à chaque fois composée de gens d’origines diverses qui portent la France sur le toit du monde. Ce n’est que du foot, mais le symbole est un bienfait. 1998 et 2018, ça a contribué à mieux comprendre l’autre. 

Mon beau-frère est plutôt électeur de Marine Le Pen. Combien de fois je l’ai entendu dire qu’il y a trop de noirs dans cette équipe de France… Refrain classique. J’ai discuté avec lui, on s’est parlé, et il a compris. Maintenant, il ne le dit plus. Il juge la performance du joueur, pas ses origines et la couleur de sa peau. Rien que ça, c’est une victoire pour moi. Je ne suis pas naïf, je ne dis pas qu’être champion du monde de football va supprimer le racisme. Loin de là. En revanche, je crois que des gens ont ouvert les yeux avec ces deux sacres.

La foule réunie sur les Champs-Elysées pour célébrer l'équipe de France de football, le 8 juillet 1998, après la demi-finale de Coupe du monde entre la France et la Croatie au Stade de France. (JACK GUEZ / AFP)

La foule réunie sur les Champs-Elysées pour célébrer l'équipe de France de football, le 8 juillet 1998, après la demi-finale de Coupe du monde entre la France et la Croatie au Stade de France. (JACK GUEZ / AFP)

« C’était presque comme la Libération de 1944 »

(Jacques, 75 ans, retraité dans les Alpes-Maritimes)

En juillet 1998, je suis de passage chez ma grand-mère à Bar-Le-Duc. Elle a 98 ans et c’est bien l’un des premiers matchs de foot qu’elle s’apprête à regarder. Elle me demande de monter au grenier pour prendre « le drapeau de la Libération » ! J’y vais. Il est plein de poussière, il colle, il est marron par endroits. Il fait bien deux mètres sur trois, il n’a pas dû voir la lumière du jour depuis 1944, mais il restera deux jours à sa fenêtre. 

Je revois ma grand-mère se lever à chaque fois que les Français marquent un but, crier les noms des joueurs. On a reparlé après coup de l’épisode du drapeau. Voir la France gagner a fait ressortir des choses plus profondes en elle, et je crois qu’elle a raison. Nos émotions sont à fleur de peau, il y a des valeurs fortes qui prennent le pas sur tout. C’est aussi la victoire de la France en tant que pays. Pour elle, c’était presque comme la Libération de 1944. Dimanche, je regarderai la finale contre l’Argentine et j’aurai une pensée émue pour ma grand-mère et son drapeau.

« Enfin, on n’avait plus honte de notre drapeau »

(Michel, 59 ans, chargé d’affaires en région parisienne)

On file sur les Champs-Elysées quelques minutes après le coup de sifflet final en 1998. Tout le monde se parle, les gens affichent un sourire jusqu’aux oreilles. Les barrières sociales, de convenance, sont tombées. C’est naturel, les gens s’attendent à ce que des inconnus les abordent. Comme des enfants dans une cour d’école, où il n’y a pas toutes ces règles que s’imposent les adultes.  

C’est à ce moment que j’ai ressenti ce sentiment d’appartenance, très fort. C’était au-delà du côté « black-blanc-beur » monté en épingle dans les médias. En temps ordinaire, on a un peu de gêne de clamer qu’on est fier d’être français. Les drapeaux, on n’en voit presque jamais, contrairement aux Américains, ou plus près de nous, les Croates, qui ont un sentiment national très fort.

En France, le patriotisme sent toujours mauvais, des relents de février 1934, de l’antiparlementarisme. Ce n’est vraiment pas normal. C’est quand même incroyable que seules les grandes compétitions sportives parviennent à fédérer. C’est le souvenir que j’ai de ce moment. Enfin, on n’avait plus honte de notre drapeau. Ça a duré pendant tout l’été, on voyait des drapeaux sur les lieux de vacances. C’était la première fois. La seule, à ce jour.

« On finit par se prendre au jeu » 

(Loïc, 35 ans, développeur informatique en Lorraine)

Jusqu’à 1998, je n’ai jamais vu le moindre match de foot de ma vie, ni à la télé ni sur un terrain. A la maison, on parle musique, concerts, on écoute Joe Dassin et Starmania, on joue aux jeux de société. Mais le foot n’est pas dans nos habitudes. Mais voilà, on finit par se prendre au jeu. Je revois mes parents allumer la télé le jour de la finale contre le Brésil, chercher la chaîne qui diffuse le match et s’asseoir dans le canapé. Rien que de vous le raconter, ça me fait bizarre tant le sport à la télé n’a pas sa place chez nous. A table, on se met à parler de foot, on découvre les commentaires de foot, on découvre Thierry Roland et Jean-Michel Larqué… Et je comprends enfin pourquoi mes copains du collège disent tout le temps : « Tout à fait Thierry ».

Etre champion du monde ne change pas ma vie, mais c’est un plus socialement. A la rentrée de septembre, je me rapproche d’enfants avec qui je n’avais pas d’affinités, je me mets à taper dans la balle comme eux, et j’aime ça. Dimanche soir, c’est mon fils de 3 ans et demi qui va vivre ça à son tour. 

« Je me suis réconcilié avec mon frère »

(Dominik, 68 ans, retraité de l’immobilier dans le Nord)

Je suis tout sauf un fan de foot. Mais cette Coupe du monde 1998 gardera une saveur particulière pour moi. On regarde un des matchs des Bleus, je ne sais plus lequel, avec mon frère. Je suis en froid avec lui, ça fait des années que ça dure. Des divergences politiques qui se traduisent jusqu’à la composition de l’équipe de France. Disons que moi, j’apprécie que les Bleus reflètent les différents courants migratoires, de Raymond Kopa, polonais comme moi, à l’immigration africaine, que l’équipe reflète la France d’aujourd’hui. Lui tenait un langage très dur, il idolâtrait la Pologne, moins métissée.

La glace s’est brisée petit à petit au cours de la rencontre. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il a changé entièrement ses idées, mais il a accepté mon point de vue. Nos relations se sont vraiment apaisées à partir de ce moment-là. C’est fort de se dire, alors qu’on reproche souvent au foot d’enfermer les supporters dans leurs certitudes, que ce soir-là, 90 minutes de ballon lui ont permis une plus grande ouverture d’esprit. C’est le soir où je me suis réconcilié avec lui.

« Même loin de la France, c’était un moment de rassemblement »

(Christian, 78 ans, retraité de l’aviation civile dans le sud de la France)

Soudain, en plein cœur de Moab [dans l’Utah, au centre des Etats-Unis], une ville dortoir de 10 000 habitants sur le circuit touristique des grands parcs du sud des Etats-Unis, un concert de klaxons, des gens qui brandissent des drapeaux français… Ça m’a remué. 

J’avais planifié ce voyage des mois à l’avance, les dates de la Coupe du monde étaient complètement passées au-dessus de ma tête. Je suis amateur de foot à la télé, mais pas un accro. Mon fils cadet, 14 ans à l’époque, s’en est tout de suite rendu compte, lui. Bon, on s’est débrouillés pour caler les étapes au moment des matchs, vers midi.

Si le resto n’avait pas de télé, les enfants trouvaient un hôtel pour regarder le match. On s’est rendu compte au coup de sifflet final qu’on était loin d’être les seuls Français dans ce trou paumé. Des touristes, des saisonniers… Il y avait des klaxons et des drapeaux tricolores en plein Far West. Même aussi loin de la France, c’était un moment de rassemblement.

« Je ne sais même pas qui a marqué »

(Rachel, 51 ans, agente territoriale dans l’Yonne)

Ça n’était pas une bonne idée de se pointer dans ce resto, d’habitude bondé, le soir de la finale de la Coupe du monde 98. Ça faisait plusieurs fois qu’on renonçait, tellement il y avait la queue pour entrer. Ce soir-là, on est les seuls clients, mais ce n’est pas pour ça qu’on a mangé vite. Le service va à deux à l’heure. Forcément, les serveurs et les gens en cuisine sont obnubilés par la télé. Nos plats arrivent, de temps en temps, et on devine la tendance du match sur le visage du serveur. Il nous tient informé d’ailleurs. On a l’impression d’être des sociologues, de vivre cette finale par procuration.

Les rues sont absolument désertes. Comme au temps du Covid, 20 ans plus tard. On entend des cris, des grondements, qu’on interprète selon leur tonalité. On finit notre repas au moment du coup de sifflet finale et on se retrouve dans la rue en même temps que tout le monde. On discute avec les gens, on prend notre temps pour rentrer. En tant que française, je m’identifie, je suis heureuse que les gens soient heureux. Ce bonheur est vraiment palpable… mais éphémère. Le lendemain, pour moi, c’est déjà fini.

On n’a jamais eu la télé. On n’a jamais vu les buts en presque 25 ans. Je ne me souviens pas du score. J’aurais du mal à vous dire qui jouait. Zidane peut-être ?

« L’état de grâce ne dure pas longtemps »

(Christine, 68 ans, retraitée en Gironde)

Je n’aime pas spécialement le foot mais quand même, c’est une finale de Coupe du monde. Je me décide à retrouver des amis à Bordeaux dans une fan zone en 2018. Je suis accompagnée de personnes en situation de handicap. La France est en train de mener, c’est la joie déjà, mais ça n’empêche pas les gens de la sécurité de nous ignorer, de nous mépriser même. Tout le monde fait comme si on n’était pas là, avec les fauteuils. C’est une sorte de retour brutal à la réalité. Je trouve que cet épisode résume bien ma pensée : l’état de grâce ne dure pas longtemps.

J’ai encore en tête les images de joie et les chansons qui vont avec. On est sacrés champions du monde et, soudain, il n’y a plus de problèmes de différences, il n’y a que la fraternité. Très bien. La vérité ? Rien n’est vraiment réglé. Ces victoires en Coupe du monde pourraient être l’occasion de dépasser durablement le racisme et les clivages sociaux, mais cela n’est vrai que le temps de l’événement. C’est pour ça que je trouve qu’il y a quelque chose d’un peu faux dans cette liesse populaire. Je trouve que l’on passe à côté de quelque chose de plus vrai, de plus sincère. Peut-être cette fois-ci, mais je n’y crois pas.


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