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Violences conjugales : comment l’agression d’une femme à Blois relance les interrogations sur le recueil des plaintes par les policiers

Deux heures avant d’être violemment agressée par son ex-compagnon, mi-décembre, une femme avait tenté de porter plainte au commissariat de Blois. Mais le policier à qui elle s’était adressée l’a invitée à revenir le lendemain.

Le 13 décembre, vers 19 heures, Chloé, 24 ans, est retrouvée inconsciente dans le hall d’un immeuble, à Blois (Loir-et-Cher). Elle vient d’être violemment agressée par son ex-compagnon. Grièvement blessée à la tête, elle est placée dans le coma et son état de santé est « toujours préoccupant », jeudi 22 décembre. Deux heures avant son agression, Chloé s’est présentée à l’accueil du commissariat de police de Blois. Mais le policier qui l’a reçue n’a pas pris sa plainte et l’a invitée à se représenter le lendemain. Un dysfonctionnement que la Direction départementale de la sécurité publique a fait remonter. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie dès le 15 décembre au matin.

Visé par une enquête, le policier, qui était chef de poste, a été entendu par l’IGPN mardi. Selon les informations de franceinfo, il exprime « des regrets » mais assure avoir vu ce jour-là au commissariat une jeune femme qui ne semblait « pas apeurée » et évoquait seulement du « harcèlement en ligne, sur les réseaux sociaux ». Or, s’il avait entré le nom de l’ex-compagnon de Chloé dans les fichiers de la police, le fonctionnaire aurait découvert qu’il avait de nombreuses lignes à son casier, dont une condamnation à quatre mois de prison avec sursis pour violences aggravées sur une ex-compagne. L’agent a été démis de ses fonctions le temps de l’enquête, ont appris, mercredi, franceinfo et France Télévisions de sources policières. Car la réception d’une plainte pour violences conjugales ne peut pas être refusée : c’est une obligation légale. Selon l’article 15-3 alinéa 1er du Code de procédure pénale, « les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes », et pas seulement pour violences conjugales.

« L’accueil et la prise en charge des victimes et particulièrement des femmes victimes de violences est une priorité pour les services de la police nationale », assure à franceinfo le contrôleur général Frédéric Laissy, chef du service de communication de la police. Cette priorité, réaffirmée par le Grenelle des violences conjugales depuis septembre 2019, s’appuie sur des instructions écrites, régulièrement mises à jour et reprises au niveau local par les chefs de service, sous forme de notes. Quant aux nouvelles instructions, elles sont transmises par le ministre de l’Intérieur via des télégrammes. « La victime de violences conjugales et sexuelles doit pouvoir être accueillie à toute heure du jour ou de la nuit au sein d’un commissariat ou d’une brigade de gendarmerie », mentionne celui du 2 octobre 2021, consulté par franceinfo.

En outre, ce télégramme précise que si la victime est accompagnée d’un avocat lors du dépôt de plainte, cela « ne peut en aucun cas être refusé ». Parmi la batterie de mesures mises en place à ce jour, figurent aussi l’amélioration de la confidentialité pour les victimes et, dans les grands commissariats, le développement de pôles psycho-sociaux destinés à les accompagner lors du dépôt de plainte. Afin de vérifier si les accueils de commissariats sont conformes à ces directives, l’IGPN mène un travail d’audit anonyme, pour corriger, voire sanctionner, les dysfonctionnements constatés.

De fait, l’accent est mis sur la formation du personnel chargé de l’accueil dans les commissariats, mais aussi des enquêteurs, qui peuvent se spécialiser et faire partie des brigades de protection des familles (BPF). La prise en charge des victimes de violences conjugales fait également l’objet d’un module en école de police et en formation continue. Comme l’avait constaté franceinfo à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire), début octobre, en trois jours de stage, les policiers participants, sur la base du volontariat, apprennent à appréhender avec une oreille plus avertie les plaintes des victimes. Mais certains d’entre eux regrettent de ne pas repartir avec une boîte à outils plus précise pour traiter au mieux ce sujet délicat.

Car il y a parfois un décalage entre la théorie et la pratique. En témoigne l’étude #PrendsMaPlainte, réalisée par le collectif #NousToutes, qui a recueilli des témoignages sur des dépôts de plaintes ayant eu lieu entre 2019 et 2021. Parmi les 700 récits qui concernent des plaintes pour violences conjugales, 68% évoquent une banalisation des faits par les policiers, 55% un refus de prendre la plainte ou un découragement à l’enregistrer et 50%, une culpabilisation de la victime.

« De plus en plus de policiers sont formés et il y a un travail sur la façon de poser des questions », constate Pauline Rongier, avocate spécialisée dans les affaires de violences conjugales, qui a dispensé trois formations en 18 mois au sein de commissariats avec l’association Elle’s imagine’nt. « Ces ateliers se passent très bien : les fonctionnaires qui y participent sont intéressés et en demande. Mais d’autres passent totalement à côté », décrit Pauline Rongier. Selon l’avocate, de nouveaux dispositifs peuvent encore être instaurés : « On pourrait réfléchir à un numéro spécial pour les victimes de violences conjugales, afin de leur éviter de passer par le 17. Et dans les commissariats, il faudrait qu’un agent spécialisé et formé soit toujours de permanence. »

« Les consignes sont très claires : toutes les plaintes doivent être prises. La différence en fonction des circonscriptions tient au nombre de personnels… Il n’y a pas le même nombre de fonctionnaires entre un commissariat à Paris et à Blois, notamment dans les horaires de soirée/nuit », estime, pour sa part, une policière. « C’est difficile dans les commissariats de petites et moyennes villes, quand il y a des effectifs réduits et qu’il faut être bon dans tous les domaines. Il peut y avoir des loupés », abonde Matthieu Valet, porte-parole du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP). Le policier déplore aussi la multiplication des notes de services et des tâches administratives : « On a créé un formulaire d’évaluation du danger de la victime, mais c’est de la paperasse qui n’apporte pas une grande plus-value. Il faut une procédure claire pour que le fonctionnaire ne passe pas à côté du plus important. »

« Une plainte qui n’est pas prise a des conséquences dramatiques : elle peut galvaniser l’auteur des violences conjugales. Si rien n’est fait pour le freiner, il a un sentiment de toute-puissance, il pense qu’il peut tout faire à la victime », insiste Pauline Rongier. L’avocate en veut pour preuve une récente affaire dans laquelle la victime, qu’elle défend, vient d’adresser une plainte à l’IGPN. Car lorsqu’elle a composé le 17, le 31 juillet, pour signaler des menaces et du harcèlement de la part de son ex-compagnon, le policier qui a pris l’appel a fini par l’insulter, plutôt que de l’orienter pour un dépôt de plainte. Or, le lendemain, l’homme a roué de coups son ex-compagne avec un club de golf. Il a été condamné en novembre à quatre ans de prison ferme dont un an avec sursis probatoire et a été immédiatement incarcéré.

L’ex-compagnon de Chloé, lui, a été arrêté 48 heures après les faits, à Plaisir (Yvelines), d’où il est originaire. Il a reconnu l’agression, mais nie avoir voulu tuer la jeune femme. Il a été placé en détention provisoire dans le cadre d’une information judiciaire pour tentative d’homicide par conjoint. La famille de Chloé cherche un avocat et va se porter partie civile. Une question, en particulier, les ronge : « Quelle formation avait eue ce policier pour ainsi accueillir [notre] fille ?« 


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