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Hiver raccourci, été « envahissant »… Comment le réchauffement climatique bouscule durablement le cycle des saisons

D’ici le milieu du siècle, les étés risquent de s’étendre avec des vagues de chaleur plus longues et plus intenses. Les printemps et les automnes sont amenés à raccourcir, et les hivers pourraient être réduits à quelques semaines.

« Y a plus de saisons ! » Ce cliché, lancé comme une plaisanterie quand l’hiver est trop « doux », prend corps à la lumière des bouleversements climatiques. Gaétan Heymes, ingénieur prévisionniste à Météo France, relève déjà un « décalage » des saisons, que chacun a pu observer ces dernières semaines. Après une vague de chaleur « totalement inédite » en automne, la France a connu un autre cortège de hautes températures hivernales à la fin de 2022. L’année a d’ailleurs été la plus chaude jamais enregistrée, a confirmé Météo France. Un « symptôme du réchauffement climatique » causé de façon « indiscutable » par les activités humaines et notamment la consommation d’énergies fossiles.

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Le dérèglement climatique perturbe le cycle des saisons tel que nous le connaissons jusqu’à maintenant. L’hiver de fin décembre à fin mars, le printemps jusqu’à fin juin, puis l’été jusqu’à fin septembre et l’automne jusqu’à fin décembre… Ces repères ont déjà commencé à bouger et vont continuer se déplacer si rien n’est fait pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Le consensus scientifique est là. « Dans le cas d’un réchauffement planétaire de 1,5°C, les vagues de chaleur seront plus nombreuses, les saisons chaudes plus longues et les saisons froides plus courtes », résumait le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) en août 2021.

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Cette remarque du Giec vaut à l’échelle planétaire, et dans le scénario d’un réchauffement global de 1,5°C dans les prochaines décennies. Mais si cet objectif de limitation a été maintenu lors de la COP27, les politiques menées actuellement nous amènent vers un réchauffement de +2,8°C, avertit l’ONU. Une telle hausse engendrerait une modification des saisons encore plus brutale. La tendance s’annonce pire pour la France hexagonale, qui subit déjà un réchauffement supérieur à la moyenne mondiale (+1,7°C contre 1,1°C). A l’horizon 2100, la hausse de la température moyenne pourrait finalement y être de +3,8°C, selon une étude de scientifiques de Météo France et du CNRS publiée en octobre.

« Toutes les saisons sont maintenant plus chaudes qu’au début XXe siècle. Mais l’été se réchauffe plus fortement que l’hiver », remarque Christine Berne, climatologue à Météo France, qui attire l’attention sur certaines différences. Alors que l’organisation météorologique mondiale prend toujours comme référence la période 1961-1990, Météo France a mis à jour ses chiffres en 2022. L’agence calcule désormais ses températures moyennes de référence avec les données de 1991-2020. La comparaison des relevés entre ces deux périodes met en évidence une hausse des températures nettement plus marquée lors des « beaux jours » : +0,8°C pour les automnes et pour les hivers, +1,4°C pour les printemps et +1,5°C pour les étés, détaille Christine Berne.

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« Nous allons avoir davantage de vagues de chaleur et de canicules en été qui vont empiéter sur le printemps, notamment vers le mois de mai. »

Christine Berne, climatologue à Météo France

à franceinfo

« Pour l’instant, nous n’avons pas encore eu de températures caniculaires au mois de mai. Nous en sommes au mois de juin, mais nous voyons que cela avance [dans le calendrier]« , ajoute la climatologue. L’année 2022 n’est, selon elle, qu’un « aperçu de ce que les modélisateurs prévoient pour 2050 ». Il est alors plausible d’imaginer, de façon fréquente, « des premières vagues de chaleur en mai et de derniers sursauts de chaleur en octobre ». Cet « été envahissant » formera « une longue saison chaude et probablement très sèche ».

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« Toutes les études dont nous disposons montre que nous allons vers des ‘super-étés' », confirme Davide Faranda, climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. Par « super-étés », le scientifique désigne des étés allongés, marqués par des vagues de chaleur et des canicules plus longues, plus fréquentes et plus intenses.

A l’horizon 2050, Davide Faranda souligne une différence notable entre le nord et le sud de la France. Des régions comme la Bretagne, la Normandie, les Hauts-de-France ou encore l’Ile-de-France resteront majoritairement sous l’influence de l’Atlantique, tandis que le sud de l’Hexagone subira davantage l’influence de la Méditerranée. « Son eau qui se réchauffe fortement contribue à maintenir des zones de haute pression et à repousser les perturbations », explique le climatologue. La Côte d’Azur, le Languedoc, le Sud-Ouest risquent d’être exposées à des températures extrêmes. « Il est possible qu’il fasse 50°C un jour en France », avait alerté le climatologue Robert Vautard, en juin, alors que la France faisait face à une vague de chaleur à la précocité inédite.

« En été, toute la zone française autour de la Méditerranée risque d’avoir des périodes de sécheresse prolongées. En moyenne, elle ne devrait pas avoir moins de précipitations, mais la pluie sera déversée lors d’épisodes cévenols. »

Davide Faranda, climatologue au CNRS

à franceinfo

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Autrement dit, la chaleur écrasante et la sécheresse seront perturbées par des pluies diluviennes qui ne dureront que quelques jours, augmentant alors le risque d’inondations. En effet, de fortes pluies sur sols secs peuvent favoriser ces dernières, l’eau ruisselant sans pénétrer dans la terre. « Nous allons peut-être atteindre des limites d’habitabilité pour l’homme », prévient encore Davide Faranda en France. Le magazine de France 2 « Envoyé spécial », l’a illustré, en 2021, en imaginant à quoi pourrait ressembler la France et des températures estivales de l’ordre de 50°C.

Ces étés étendus vont donc grignoter le printemps et l’automne. Surtout, la variabilité inhérente à ces saisons sera vraisemblablement amplifiée. « Dans la transition de l’été à l’automne, nous risquons d’avoir des orages très violents, très intenses, des tornades, de la grêle, des risques pour les réseaux électriques », énumère Davide Faranda. Au printemps, « nous risquons de passer rapidement de 10-15°C à des canicules », prévient-il aussi. Les fameuses giboulées pourraient être dopées, engendrant des phénomènes locaux extrêmes, potentiellement risqués pour les activités humaines.

Dans un contexte de réchauffement global, les hivers du milieu du XXIe siècle risquent d’être plus chauds que ceux que nous connaissons jusqu’à maintenant. « L’hiver a de plus en plus de mal à s’installer en décembre en France », constate Gaétan Heymes. « Nous pourrons toujours connaître des hivers rigoureux, cela reste possible, mais ils seront plus rares« , relève Christine Berne.

« Des études montrent que l’hiver pourrait être concentré entre Noël et début février. »

Gaétan Heymes, ingénieur prévisionniste à Météo France

à franceinfo

Pour le nord de la France, « l’hiver, l’automne et le printemps pourraient se résumer en une saison de pluie, avec un train de perturbations venues de l’Atlantique qui déchargeront de l’eau », selon Davide Faranda. Une incertitude demeure sur ce point. Avec la chaleur intense de l’eau de la Méditerranée, l’anticyclone des Açores pourrait « gonfler comme un ballon dans lequel on souffle », éloignant les perturbations et réduisant les pluies sur toute l’Europe de l’Ouest, même en hiver.

Le dérèglement du cycle des saisons va avoir de nombreuses conséquences sur la nature. « Le froid de l’hiver est absolument nécessaire pour la végétation qui a besoin de la période de dormance pour se reconstituer », insiste Joël Guiot, spécialiste des impacts du réchauffement climatique sur les écosystèmes. Pourtant, avec la douceur qui règne sur le mois de janvier, des bourgeons apparaissent avec deux à trois mois d’avance, partout en France, même à Lille, comme le montre ce reportage de France 3.

« Le froid de l’hiver est également nécessaire pour limiter les parasites, les maladies et détruire une partie des larves d’insectes » qui menacent la végétation, ajoute Joël Guiot. Si aux grandes sécheresses attendues s’ajoute la prolifération de ces périls, les cultures pourraient être doublement mises en danger. Le spécialiste pointe aussi un éventuel problème pour la pollinisation. « Les plantes fleuriront plus tôt que d’habitude, mais est-ce que les insectes pollinisateurs seront prêts au même moment ? » s’interroge-t-il.

Ces scénarios décrivant d’importants changements ne sont pas inéluctables. Tous les spécialistes sollicités par franceinfo soulignent qu’il est encore possible de les éviter. Des « mesures énergiques » peuvent être prises tant à l’échelle individuelle qu’au niveau des responsables politiques pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. « Tout ce qui permet de les ralentir ou de les éviter est bon pour le climat », insiste Christine Berne, qui invite à rester optimiste. Un appel à une certaine sobriété nécessaire, au risque de voir l’hiver complètement disparaître et l’été s’étaler sur la moitié de l’année.


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