A la Une

On vous raconte l’histoire du « blue monday », ce soi-disant jour le plus déprimant de l’année

Le concept a émergé en 2005 sous couvert d’une formule pseudo-mathématique. Il s’agit pourtant d’une pure invention marketing sans aucune base scientifique.

Vous risquez encore de ne pas y échapper cette année. Comme tous les ans depuis le milieu des années 2000, vous allez probablement entendre ou lire que ce lundi – le troisième de janvier – est le jour le plus déprimant de l’année. Une journée qui porte un nom : blue monday, en anglais. Il s’agit pourtant d’une pure invention marketing.

Le concept a été présenté en 2005 à l’aide de cette formule mathématique :  [W = (D-d)] x TQ : M x Na. Dans le détail, « W » désigne la météo (pour weather en anglais), « D-d » représente les dettes contractées pendant les fêtes et la capacité à les rembourser avant la paye de janvier, « T » correspond au temps écoulé depuis Noël, « Q » est la période écoulée depuis les résolutions de début d’année. L’ensemble est divisé par le manque de motivation « M », lui-même multiplié par le besoin d’agir « Na ».

En réalité, rien de scientifique ne fonde cette formule. Elle figurait dans un communiqué de presse rédigé par l’agence de communication Porter Novelli pour le compte de la chaîne et agence de voyages britannique Sky Travel, qui a existé entre 1994 et 2010. Le média affirmait avoir calculé la journée la plus triste de l’année avec l’aide d’un psychologue : Cliff Arnall. Ce dernier était présenté comme psychologue à l’université de Cardiff (Royaume-Uni), ce qu’il n’était pas réellement puisqu’il avait simplement donné des cours du soir pendant une brève période au sein d’un établissement connexe.

Surtout, Porter Novelli avait proposé à plusieurs universitaires d’apporter leur signature afin de lui donner du crédit. Et ce, contre rémunération. C’est ce que rapporte le psychiatre et auteur britannique Ben Goldacre, en décembre 2006, dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian (en anglais). Il dit avoir reçu de nombreux messages de chercheurs lui narrant la manœuvre de Porter Novelli.  

L’objectif de Sky Travel ? Influencer ses téléspectateurs, leur faire croire qu’un pic de déprime pointe un jour particulier de janvier et que le remède consiste à s’évader en prévoyant ses prochaines grandes vacances et en se payant un billet d’avion. De préférence loin et au soleil. Cliff Arnall a confirmé ce but commercial, dès 2010, auprès du Telegraph (en anglais).

« J’ai été sollicité à l’origine pour mettre au point ce que je pensais être le meilleur jour pour réserver ses vacances d’été. »

Cliff Arnall

au quotidien britannique « The Telegraph »

En résumé, le blue monday a été monté de toutes pièces pour pousser à la consommation. Reste que l’idée perdure malgré les aveux. Des marques continuent de surfer sur ce faux événement pour tenter de vendre leurs produits. Une marque de café italien a partagé, en 2020, une vidéo sur Facebook vantant les bienfaits de ses boissons pour surmonter le « jour le plus déprimant de l’année ». D’autres s’en servent comme prétexte afin de partager du contenu sur les réseaux sociaux, comme l’ont fait, en 2022, le PSG sur Twitter et le Bescherelle sur le même réseau social.

Le blue monday est « définitivement une connerie », tranche Ben Goldacre dans un autre billet publié, en 2011, par The Guardian Ce concept « ne met pas un nom accrocheur sur une simple réalité humaine », poursuit-il. Pour lui, « cela montre seulement à quel point il est facile de prendre une idée que les gens pensent déjà connaître puis de la leur revendre. Même si elle est fausse. » Contacté par franceinfo, Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Bichat, se montre ferme sur la faiblesse de la formule mise en avant.

« Evidemment, il n’y a aucune validation scientifique. Aucune maladie – la dépression étant une maladie comme une autre – ne connaît un pic, un jour donné [dans l’année]. »

Michel Lejoyeux, psychiatre

à franceinfo

« Il est biologiquement insensé de mélanger des choses d’une nature aussi différente [dans la formule]« , renchérit Roland Jouvent, psychiatre à l’hôpital de la Salpêtrière et professeur à l’université Paris-6. « Des formules mathématiques ne peuvent pas prédire la façon dont une personne va se sentir. »

Malgré tout, Michel Lejoyeux voit dans ce produit marketing une opportunité. « Il a le mérite de mettre en avant la réalité de la dépression, qui concerne 10% de la population, note-t-il. Et certaines personnes vont avoir besoin d’une sorte de prétexte météorologique pour s’avouer à elles-mêmes qu’elles sont déprimées. » Il estime que le blue monday peut être « l’occasion d’aborder ses émotions sans être dans le déni », tout en rappelant les « signes cardinaux de la dépression » : perte d’envie, perte de l’estime de soi, fatigue et troubles du sommeil (difficultés à s’endormir, réveil précoce…).

Michel Lejoyeux souligne également l’existence de deux types de dépression : certaines sont saisonnières, d’autres non. Dans l’hémisphère nord, la dépression liée à l’hiver peut survenir en raison du manque de lumière, entre fin décembre et fin mars. « Il n’y a peut-être pas un blue monday mais un blue winter« , remarque-t-il. « Nous sommes extrêmement sensibles aux variations de lumière. Il existe même maintenant de la luminothérapie », relève Roland Jouvent. Sans céder aux sirènes de la consommation, Michel Lejoyeux estime que le blue monday, aussi « réducteur » soit-il, peut être pris comme une invitation à sortir, s’exposer à la lumière et rencontrer des personnes qui nous sont chères, pour lutter contre le blues hivernal.

De son côté, Cliff Arnall semble avoir pris du recul sur le concept qu’il a contribué à populariser. « Un jour, j’ai réalisé que l’idée du blue monday n’avait pas aidé le monde de la façon dont je l’espérais », déclarait-il, en 2016, dans un clip de l’office de tourisme des îles Canaries visible sur YouTube. Il a alors milité pour son « abolition » et lancé sur les réseaux sociaux le hashtag #Stopbluemonday pour « remplir internet de posts optimistes ». Mais il n’a pas fait de même pour le yellow day (jour jaune, en anglais) qui serait, selon ses dires, le jour le plus heureux de l’année, et tomberait le troisième vendredi du mois de juin. Cette journée, qui a elle aussi émergé en 2005, à l’aide d’une autre formule pseudo-scientifique, avait été développée en partenariat avec le marchand de glaces Wall’s, relate The Guardian. Bref, de faux calculs qui ont bien garni le compte en banque de leur auteur.


Continuer à lire sur le site France Info