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Assaut sur un campus, fermeture de Machu Picchu: la crise s’aggrave au Pérou

Publié le : 22/01/2023 – 17:11

À Lima et dans le reste du Pérou, les manifestants continuent de demander la démission de la présidente par intérim Dina Boluarte. Samedi 21 janvier, plusieurs manifestants sont décédés, portant le bilan total à 56 morts et plusieurs centaines de blessés depuis le début du mouvement, mi-décembre. Dans la capitale, quelques centaines de manifestants ont à nouveau défilé, protestant notamment contre l’intervention de la police sur un campus.

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Avec notre correspondante à Lima, Juliette Chaignon

Les images tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Un véhicule blindé de la police nationale enfonce la porte 3 de l’université de San Marcos, dans la capitale du Pérou.

Des dizaines de policiers, casqués, boucliers à la main, entrent sur le campus.

Depuis trois jours, les étudiants occupaient les lieux. Ils y empilaient des dons alimentaires et permettaient aux manifestants, venus du centre et du sud du pays, de dormir sur place, contre l’avis de l’université.

Quelques minutes après son entrée, la police ordonne à des manifestants de s’allonger à plat ventre. Et de se taire. Dans un communiqué, la direction de l’établissement justifie l’intervention par le contexte d’état d’urgence.

Plus de 200 étudiants et manifestants sont encore retenus par la police. Dont certains dans les services de lutte anti-terroriste. Samedi soir, à Lima, des manifestants ont donc protesté devant la préfecture pour réclamer leur libération.

Le comité national de défense des droits humains dénonce « une action arbitraire et un abus de pouvoir des forces de l’ordre ». L’organisation déplore aussi des gardes à vue sans accès à un avocat.

Des personnes arrêtées par la police sur le campus de l'université de San Marcos, à Lima, le 21 janvier 2023.
Des personnes arrêtées par la police sur le campus de l’université de San Marcos, à Lima, le 21 janvier 2023. AFP – JUAN MANDAMIENTO

« C’est un autre monde »

Le pays a notamment fermé Machu Picchu, citadelle inca des Andes. Quatre cent dix-huit touristes bloqués sur place vont être rapatriés. Le tourisme constitue une part importante des revenus du Pérou. Plus d’une centaine de routes sont toujours bloquées dans le pays.

Le Pérou était, jusqu’à présent, quatrième destination en Amérique latine. Et les recettes touristiques du Pérou permettaient à ce pays de financer une partie importante des achats d’importations en devises. Étant donné que le Pérou, actuellement, subit une crise alimentaire très grave, on peut penser que les répercussions risquent d’être dramatiques puisque les entreprises touristiques du Pérou, notamment son secteur hôtelier qui était très exportateur, risquent de faire faillite. Et le Pérou était en train de développer de nouveaux sites touristiques à côté de l’ensemble de Cuzco et du Machu Picchu, qui permettaient de faire une diversification et donc de diffuser les recettes touristiques internationales sur l’ensemble du pays, et ce site est aujourd’hui remis en cause par ces événements dramatiques, conclut François Vellas, expert auprès de l’Organisation mondiale du tourisme.

Professeur François Vellas, expert auprès de l’Organisation mondiale du tourisme


La présidente par intérim refuse toujours de reconnaître la légitimité des manifestations. Dina Boluarte dénonce des revendications qui ne concerneraient que le retour de l’ex-président Pedro Castillo, récemment destitué, et n’auraient aucune portée sociale. Mais l’image de l’ex-chef de l’État est intimement liée à la question raciale et au clivage entre milieux urbains et ruraux.

Pedro Castillo, il a certes eu un petit pourcentage de voix à l’élection présidentielle, au départ ça représentait quand même plusieurs millions de personnes, donc ces personnes-là s’identifiaient à quelqu’un. La région d’où il est, c’est-à-dire de Cajamarca par exemple, on ne parle plus le quechua parce que le quechua, il a été complètement banni lors de la conquête. Le quechua, on le parle dans le sud du Pérou, le quechua et l’aymara, où les mouvements sociaux ont été les plus forts, c’est Cuzco, Puno, Arequipa. Si cette population-là n’arrive pas jusqu’à la capitale, elle a un sentiment de ne pas être entendue. En lui-même, Pedro Castillo représente le peuple qui vit dans des conditions où il n’y a pas l’électricité, il n’y a pas l’eau. C’est un autre monde. Et on a d’autre part le groupe traditionnel espagnol créole qui nie cette identité et cette souffrance sociale. C’est une guerre sociale, en fait, celle qui se joue.

Isabelle Tauzin, professeure à l’université Bordeaux Montaigne et spécialiste du Pérou


La population craint notamment le retour à un régime militaire du type de celui qu’a connu le pays par le passé.

L’actuelle présidente, auparavant, elle était vice-présidente. Par la Constitution, elle est devenue présidente. Et le successeur potentiel de la vice-présidente actuelle, c’est le président du Congrès. Il s’appelle José Williams Zapata, c’est un général à la retraite, il a été mis en cause pour un massacre, le massacre d’Accomarca, qui s’est produit dans les années 1980. Donc, il représente vraiment, à la tête du Congrès, le pouvoir de la répression armée des années 1980. Moi, je pense que ce qui peut se passer, c’est qu’une fois que Dina Boluarte aura mené cette répression, et c’est ce que craignent aussi sur place mes interlocuteurs, des universitaires péruviens, c’est qu’un régime armé se mette en place progressivement. Ce que les manifestants veulent, c’est un calendrier électoral qui soit acceptable, et non pas, pour commencer, de reporter les élections en 2024, ce qu’a proposé Dina Boluarte.

Isabelle Tauzin, Bordeaux Montaigne


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