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Guerre en Ukraine : pourquoi Volodymyr Zelensky fait le ménage au sein du pouvoir après un scandale de corruption

Une série de hauts responsables ukrainiens ont été démis de leurs fonctions après les révélations de corruption concernant des approvisionnements de l’armée.

Volodymyr Zelensky donne un grand coup de balai. Une série de hauts responsables ukrainiens ont été démis de leurs fonctions, mardi 24 janvier, après les révélations de corruption concernant des approvisionnements de l’armée. Au total, cinq gouverneurs régionaux, quatre vice-ministres, dont celui de la Défense en charge de l’appui logistique des forces armées, et deux responsables d’une agence gouvernementale vont quitter leurs postes, en plus du chef adjoint de l’administration présidentielle et du procureur général adjoint. Cette purge au sommet de l’Etat répond à des impératifs politiques, alors que Kiev espère un soutien accru dans son conflit contre Moscou.

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Franceinfo revient sur trois raisons qui permettent de comprendre ces évictions.

Pour garder la confiance des alliés occidentaux

Cette vague de départs intervient au moment où Kiev réclame des centaines de chars modernes et d’autres armements pour lancer une nouvelle offensive. Selon le think tank ukrainien Centre for Economic Strategy (« Centre pour une stratégie économique »), le montant total de l’aide occidentale à l’Ukraine pourrait atteindre au total 100 milliards de dollars (environ 92 milliards d’euros) en 2023, dont plus de 40 milliards (environ 36,8 milliards d’euros) uniquement pour ses forces armées. « C’est juste, c’est nécessaire à notre protection, et cela aide à notre rapprochement avec les institutions européennes », a justifié Volodymyr Zelensky dans son allocution quotidienne, mardi soir. 

Ces limogeages sont donc un gage de rigueur financière envoyé aux alliés, alors qu’Européens et Ukrainiens se retrouvent lors d’un sommet le 3 février à Kiev. « Nous nous félicitons évidemment du fait que les autorités ukrainiennes prennent cette question le plus au sérieux possible », a commenté mardi l’une des porte-parole de la Commission européenne, rapporte Le Monde (article réservé aux abonnés). La Commission a assuré qu’elle resterait très vigilante et prévoyait d’évaluer les progrès en la matière « avec une évaluation qui sortira à l’automne 2023″, a précisé la porte-parole. La lutte contre la corruption fait « partie des conditions politiques à remplir pour que l’assistance macrofinancière de l’Union [qui devrait atteindre 18 milliards d’euros en 2023] se poursuive », a-t-elle encore prévenu. 

« Nous sommes en train de passer dans l’ère d’une Ukraine européenne », a soutenu dans Le Parisien (article réservé aux abonnés) Youri Nikolov, rédacteur en chef d’un journal en ligne spécialisé dans les enquêtes sur les affaires de corruption et l’utilisation de l’argent public. Selon lui, les pays européens veulent désormais mieux contrôler l’utilisation de l’argent qu’ils transmettent à Kiev. « Avant l’invasion, les aides de l’Ouest constituaient 2% du budget de l’Ukraine. Aujourd’hui, c’est environ 60%. Ces sommes servent à payer les salaires de fonctionnaires, les retraites, etc. Ce droit de regard de l’étranger oblige l’Ukraine à se réformer », assure-t-il. Heureux de ces limogeages, les Etats-Unis ont aussi promis, par la voix du porte-parole du Département d’Etat Ned Price, une « surveillance rigoureuse » de l’utilisation des milliards de dollars envoyés.

Pour garder la confiance des Ukrainiens

Avant d’être élu président en 2019, Volodymyr Zelensky tenait le premier rôle d’une série à succès quasi prémonitoire, diffusée sur la chaîne ukrainienne 1+1, Serviteur du peuple. Il y incarnait Vasyl Petrovych Holoborodko, professeur d’histoire arrivé au pouvoir par hasard, qui voulait lutter contre la corruption dans son pays. La réalité a donc désormais rattrapé la fiction. Volodymyr Zelensky « a été élu parce qu’il n’était pas entaché des affaires de corruption qui salissent l’image de la classe politique », analysait en février dans les colonnes du Figaro (article réservé aux abonnés) Carole Grimaud Potter, professeure de géopolitique de la Russie à l’université de Montpellier et à l’Institut diplomatique de Paris. 

Bientôt un an après le début de la guerre, Volodymyr Zelensky conserve un très large soutien de la part des Ukrainiens. Mais il se sait attendu par ses concitoyens, déjà très éprouvés par le conflit. « Les décisions de Zelensky témoignent des priorités clés de l’Etat. (…) Le président voit et entend la société. Et il répond directement à une demande prioritaire de l’opinion publique : la justice pour tous », a commenté sur Twitter un conseiller du président après les annonces des limogeages.

Cité par Le Monde, le chercheur à l’université nationale Taras-Chevtchenko de Kiev Petro Oleschuk juge que ces limogeages, s’ils sont un signal positif, arrivent « clairement en retard ». Un précédent scandale avait ainsi éclaté en septembre 2022 dans la région de Zaporijjia, où des fonctionnaires de l’administration régionale avaient été soupçonnés d’avoir détourné plus de 7 millions de dollars (6,44 milliards d’euros). « Le chef de la région n’avait pas été démis de ses fonctions », rappelle le chercheur dans le quotidien. 

Pour renforcer la crédibilité de l’Ukraine

Le premier scandale de cette ampleur depuis le début de l’invasion russe ébranle le pouvoir ukrainien. Mais la corruption n’est pas une nouveauté en Ukraine, puisque le pays était classé à la 122e place sur 180 sur l’indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International en 2021. Volodymyr Zelensky a défendu mardi soir des décisions « nécessaires » pour rétablir « un Etat fort »« Tous les problèmes internes qui empêchent l’Etat de se renforcer sont en train d’être réglés et le seront encore davantage » à l’avenir, a-t-il appuyé. « On pense que ces démissions en masse sont faites pour montrer que Volodymyr Zelensky commence une nouvelle page. Jusqu’ici, le bureau du président était au courant d’affaires, mais le pouvoir avait tendance à détourner le regard », souligne dans Le Parisien Youri Nikolov.

Au Parlement européen, mardi, Oleksandr Kornienko, vice-président du Parlement ukrainien, a rappelé, dans des propos rapportés par Le Monde, que des efforts avaient déjà été menés par son pays : « Nous avons mis en place, avec une aide d’experts internationaux, le meilleur système anticorruption en Europe. Il est à la fois fort, vigoureux, indépendant… Mais cela ne semble pas suffire pour combattre l’économie grise. » Il a promis d’aller « plus loin » et de mettre en place un projet de déclaration d’intérêts « pour les 500 à 1 000 plus importantes figures de l’Etat ukrainien ». Mis en pause à cause de l’éclatement du conflit, ce projet va être voté, a-t-il promis.


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