Culture

Douze choses que vous ne savez (peut-être) pas sur Apollinaire

Il est né russo-polonais à Rome

Il est né russo-polonais à Rome

Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky est né le 26 août 1880. Sa mère est issue d’une famille de la noblesse polonaise. Son grand-père maternel a eu une charge honorifique auprès du pape et à sa mort, Angelika Kostrowicka reste à Rome. C’est ainsi dans cette ville que naît Guillaume, de père inconnu. Il est alors un sujet de l’Empire russe. La famille s’installe ensuite à Monaco puis en France. C’est quand il commence à publier, dans les premières années du XXe siècle, qu’il choisit d’utiliser son cinquième prénom comme nom de plume.
Lors de la mobilisation de 1914, Apollinaire souhaite s’engager dans la Légion étrangère mais son dossier est refusé. Il lance alors une procédure de naturalisation et quelques mois après, s’engage finalement dans l’artillerie. Il est naturalisé français le 9 mars 1916, à 36 ans. «De même que Joseph Kessel, Blaise Cendrars et beaucoup d’autres, Apollinaire est devenu français par l’application de la loi du 5 août 1914 autorisant le gouvernement à naturaliser, sans conditions de résidence, les étrangers qui contractaient un engagement pour la durée de la guerre», explique l’Institut national du patrimoine.
Photo : dossier de naturalisation de Guillaume Kostrowitzky, dit Apollinaire. Archives nationales de France. Domaine public.

Pourtant tout à fait innocent, il fait de la prison pour le vol de la Joconde en 1911

Pourtant tout à fait innocent, il fait de la prison pour le vol de la Joconde en 1911

Le tableau le plus célèbre du monde a été volé au Louvre le 21 août 1911. Dans les premiers jours de l’enquête, la police n’a aucune piste mais un certain Géry Pieret, qui avait déjà volé des statuettes au Louvre, se vante du vol de la Joconde (tout en se planquant). L’homme avait vendu des œuvres d’art à Picasso et est l’ancien secrétaire d’Apollinaire. Le premier est interrogé, le second est brièvement emprisonné à la Santé pour «complicité de recel». Le vrai voleur, Vincenzo Peruggia, est un vitrier qui cache le tableau deux ans sous son lit. La Joconde est retrouvée en 1913 et ne revient à Paris qu’en janvier 1914.
De son expérience de quelques jours en prison, Apollinaire a écrit une série de poèmes regroupés sous le titre «A la Santé» et qui paraissent dans son recueil Alcools (1913). Extrait :

J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison

Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison

Photo : Léonard de Vinci, la Joconde, domaine public.

Il a enregistré sa voix dès 1913 (et vous pouvez l’écouter ici)

Il a enregistré sa voix dès 1913 (et vous pouvez l’écouter ici)

Le 24 décembre 1913 en fin de matinée, Guillaume Apollinaire est enregistré par un ingénieur de Pathé pour les «Archives de la parole». Le poète récite trois de ses textes : le Voyageur, Marie et le Pont Mirabeau, tous issus d’Alcools, son recueil qui vient alors de sortir. «Conditions atmosphériques» de l’opération : «humide», précise le document d’enregistrement conservé à la BNF.
La qualité du son est assez mauvaise mais il permet tout de même de distinguer parfaitement le timbre d’Apollinaire et sa façon de laisser traîner la voix en fin de vers pour la diction du poème. Un document rare.

Vidéo issue du site de l’Ina.

Il apparaît dans un gif… de 1914

Il apparaît dans un gif… de 1914

Que se disent-ils ? On ne le saura jamais. Le 1er août 1914, Guillaume Apollinaire (celui qui a le chapeau) et son ami André Rouveyre, qui étaient en reportage à Deauville pour la revue Comœdia, viennent de rentrer précipitamment à Paris après l’annonce de la mobilisation générale. Au 23 du boulevard Poissonnière, ils s’arrêtent pour se prêter au jeu du «Biofix», un procédé photographique qui prenait plusieurs clichés d’une scène – on dirait aujourd’hui en mode rafale. Les photos, une fois développées, étaient ensuite reliées dans un carnet de façon à ce qu’en le feuilletant, on ait l’illusion du mouvement. Il existait aussi une machine à manivelle pour faire défiler les images. Voilà donc l’un des ancêtres du flip-book et du gif.
André Rouveyre, écrivain, journaliste, caricaturiste, est mort en 1962.

Il a été un critique d’art important

Il a été un critique d’art important

Apollinaire a marqué les arts visuels aussi profondément que la poésie. Son amitié intime avec Picasso est connue mais il était aussi un proche de Derain, Vlaminck, Matisse, Rousseau (le «douanier»), Delaunay, Laurencin, Duchamp, Dufy, Braque, Picabia… Il apparaît sur les dessins ou les tableaux de plusieurs d’entre eux.
Passionné par les arts africains, découvreur de Chagall en France, en tant que journaliste il est l’un des premiers à défendre l’avant-garde en général et le cubisme en particulier dans ses articles – il est critique d’art à l’Intransigeant – et dans un livre qu’il publiera en 1913 : les Peintres cubistes.

Photo : Le salon d’automne de 1912 au Grand Palais à Paris, domaine public.

Et l’unique cordeau des trompettes marines

Il a écrit le poème le plus court de la langue française
Ce poème d’Alcools, titré «Chantre», est un monostique, ce qui veut signifie qu’il est composé d’un seul vers. Il est considéré traditionnellement comme le plus court de l’histoire littéraire française. Que veut-il dire ? Une trompette marine, c’est un instrument de musique qui ne comporte en effet qu’une seule corde. Ainsi, le poème pourrait être à lui seul un calligramme, le vers représentant cette corde tendue. Mais pourquoi «Chantre» ? Il s’agit d’un jeu d’Apollinaire : car cette unique corde s’appelle la «chanterelle». Quand on lit le titre suivi du vers, on entend donc : «chanterelle, l’unique cordeau des trompettes marines».

Il a imprimé un livre dans les tranchées, avec les moyens du bord

Il a imprimé un livre dans les tranchées, avec les moyens du bord

«Le ciel est étoilé par les obus des Boches.» Au printemps 1915, Guillaume Apollinaire, soldat de la 45e batterie du 38e régiment d’artillerie, est sur le front quand il compose un petit recueil de 21 poèmes, Case d’Armons. Il obtient de ses autorités le droit de l’imprimer sur place. Il utilise une machine à polycopier utilisée pour les documents militaires, et sort tant bien que mal 25 exemplaires qu’il recouvre d’un papier bleu d’écolier.
«Le procédé d’impression n’est pas parfait et contraint les camarades à rehausser à la main, sur chaque exemplaire, certains passages pour les rendre plus lisibles, explique aujourd’hui l’éditeur Gallimard. Il n’est donc pas deux exemplaires identiques de cette édition, d’autant que l’ordre des poèmes varie d’une plaquette à l’autre et que le poète y intervient lui-même par endroits avec des ajouts personnels autographes.» L’un des 25 exemplaires de ce document est consultable sur le site de la BNF.

Photo : BNF.

Il a écrit le scénario d’un film

Il a écrit le scénario d’un film

«Toute invention trouve en moi un admirateur éclairé, du moins enthousiaste, proclame Apollinaire en 1910. On imagine sans peine que le phonographe et le cinématographe ont pour moi un attrait sans pareil. Ils satisfont tout à la fois mon amour pour la science, ma passion pour les lettres et mon goût artistique.» Alors que le cinéma est alors considéré comme un passe-temps de fête foraine, le poète s’y intéresse au contraire de près et en 1917, il écrit avec son ami André Billy un film : le scénario entier, évidemment, mais aussi des indications des plans, des décors, des sous-titres (le cinéma est muet à l’époque). Quant à l’histoire, la Bréhatine est un mélodrame assumé. Le film n’a jamais été tourné.

Il a été sérieusement blessé à la guerre (mais il est mort de la grippe)

Il a été sérieusement blessé à la guerre (mais il est mort de la grippe)

Passé dans l’infanterie, Apollinaire est promu sous-lieutenant fin 1915. Le 17 mars 1916, huit jours après avoir été naturalisé français, il reçoit un éclat d’obus à la tempe droite. Il est évacué et trépané à Paris en mai. «Une belle Minerve est l’enfant de ma tête / Une étoile de sang me couronne à jamais», écrit-il alors. L’homme est très affaibli mais c’est de l’épidémie de grippe espagnole (entre 50 et 100 millions de morts dans le monde) qu’il meurt, le 9 novembre 1918, à 38 ans.
Photo : Apollinaire après sa blessure, dessiné par Picasso. Domaine public.

Il invente le nom de «calligramme» pour ses poèmes-dessins

Il invente le nom de «calligramme» pour ses poèmes-dessins

«Calligramme» = calligraphie + idéogramme. C’est Guillaume Apollinaire qui crée le nom des poèmes dont les mots forment un dessin. Mais il n’est pas l’inventeur du procédé, régulièrement utilisé par les écrivains avant lui. Ainsi, Rabelais par exemple représente une bouteille de vin avec un poème. Mais c’est Apollinaire qui en fera un usage le plus important, baptisant un recueil Calligrammes (paru en 1918). Il comprend le poème ci-dessus, qui imagine la Tour Eiffel comme une langue tirée à l’ennemi d’alors.

Il a écrit une pièce transgenre qui a fait scandale

Il a écrit une pièce transgenre qui a fait scandale

«Les spectateurs se sont efforcés de comprendre cette fantaisie outrancière», écrit l’Œuvre. «On se tord, on applaudit, on trépigne. Quelques cris d’animaux. [La romancière] Rachilde hurle “Allez chercher des agents, il y a des loufoques dans la maison” !» dit la Rampe. Le 24 juin 1917, les Mamelles de Tirésias sont représentées à Paris. Il s’agit d’une pièce en deux actes, drame «surréaliste» (le mot est alors inventé par Apollinaire) carrément d’avant-garde.
L’histoire : dans un pays en manque d’enfants, Thérèse refuse de procréer. Elle décide de devenir un homme, Tirésias : ses seins s’envolent alors (deux ballons gonflés à l’hélium). Elle/il force son mari à devenir une femme, qui fabrique aussitôt 40 050 bébés. Puis Tirésias se ravise et redevient une femme.
Cet argument, et les décors cubistes, choquent les spectateurs à tel point que règne dans la salle un grand chaos. Mais des jeunes défendent la pièce (Soupault, Aragon, Breton, Vaché qui selon la légende va même jusqu’à sortir un revolver) : ils s’appelleront par la suite les surréalistes.
Photo : une caricature parue dans le Carnet de la semaine. Domaine public.

Il est entré dans le domaine public, 94 ans après sa mort

Il est entré dans le domaine public, 94 ans après sa mort

Depuis le 29 septembre 2013, tout le monde peut citer, diffuser et adapter librement les œuvres d’Apollinaire. Pourquoi cette date ? Et pourquoi donc avoir attendu 94 ans, alors que jusqu’en 2006, les artistes entraient dans le domaine public cinquante ans après leur mort ? Les spécialistes Lionel Maurel, Véronique Boukali et Alexis Kauffmann l’avaient expliqué dans une tribune parue dans Libé : «50 ans (durée classique) + 30 ans (mort pour la France) + 6 ans et 152 jours (Première Guerre mondiale) + 8 ans et 120 jours (Seconde Guerre mondiale). Soit un total de 94 ans et 272 jours qui s’en vont pour qu’enfin sonne l’heure de ce dimanche 29 septembre 2013.» Aujourd’hui, toutes les œuvres d’Apollinaire sont donc disponibles tout à fait légalement, par exemple sur Wikisource.


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