Cinéma

Le patrimoine cinématographique est-il encore un bien commun ?

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Films de patrimoine, films anciens, films de répertoire, films classiques : ces expressions, devenues interchangeables dans le langage courant, sont les témoins de la « tendance vintage » qui s’est emparée du cinéma depuis une vingtaine d’années et a modifié, en profondeur, notre relation à ce que l’on n’ose plus appeler les « vieux films ». Alors que ceux-ci n’étaient accessibles, au XXsiècle, que dans des lieux spécifiques et très peu nombreux, ils sont aujourd’hui devenus omniprésents et ne sont plus chargés de la dimension exceptionnelle qui leur était attachée. Qui pourrait en effet contester que le patrimoine cinématographique n’a jamais été aussi visible, ni apparemment aussi simple d’accès ­qu’actuellement ? Festivals de cinéma, salles commerciales, chaînes de télévision, éditions DVD, ­plates-formes et sites : on ne compte plus les lieux qui participent à la diffusion des films anciens et donnent à chacun le sentiment – ou l’illusion ? – qu’ils sont, tous, à tout moment, et pour tout le monde, disponibles.

Cette visibilité, qui a mis un terme à la position de monopole dans laquelle se trouvaient les cinémathèques et les musées du film, est inédite dans l’histoire du patrimoine cinématographique. Devenue aujourd’hui l’alpha et l’oméga de toute politique, elle s’est imposée grâce à un régime, qui, s’il n’est pas nouveau en soi, s’est généralisé au point de brouiller les frontières entre le cinéma d’hier et celui d’aujourd’hui : l’« événementialisation » du patrimoine. Que la rétrospective d’un cinéaste, l’organisation d’une exposition de cinéma, la « ressortie » d’un film soient désormais adossées à l’actualité du 7art n’étonnera plus personne. « Faire événement » pour renouveler l’intérêt du public, la recette n’a rien de neuf ni d’original.

Les « chiffonniers de la pellicule »

Préparation des ressorties, campagnes de promotion, organisation d’avant-premières, placement dans les festivals : le cinéma du passé se voit appliquer le dispositif que l’industrie du cinéma a inventé pour promouvoir les nouveaux films. Souvent présentée comme une victoire du patrimoine, cette transformation majeure, qui s’est accélérée au cours des dernières années, est légitimée par un discours rassurant, repris en chœur par la profession et la presse : les films anciens ayant besoin d’être « dépoussiérés », le numérique, principal agent technologique de cette transformation, permet d’« optimiser leur circulation ». L’âge de ces films étant présenté comme leur principal handicap, la technologie et le marketing apparaissent comme les remèdes magiques qui rendent possible leur « retour à la vie » et entraînent « un engouement du public pour le ­patrimoine » dont tout le monde se réjouit.


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