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Magic System, 100% zouglou

Avec Envolée zougloutique, Magic System, le quatuor d’Anoumabo, revient, pour ce 12e album, aux fondamentaux du zouglou. Premier album autoproduit sur Gaou Productions en 25 ans de carrière, ces 12 titres accueillent des collaborations avec Fally Ipupa, Smarty et Dj Mix Premier. Rencontre avec Salif Traoré, alias A’salfo.

RFI Musique : Vous présentez Envolée zougloutique comme un retour aux sources. Comment s’envoler tout en s’ancrant ? 
A’salfo : Les gens nous ont vu partir d’Abidjan avec le zouglou. Dans le but d’exporter notre musique, nous avons fait des collaborations qui nous ont emmenés là où nous sommes aujourd’hui. En Europe, le zouglou est connu par la musique métissée de Magic System, mais les gens ne connaissent pas forcément les rudiments de cette musique et d’où elle vient. C’est ce qu’on veut montrer avec Envolée zougloutique, un album 100% zouglou. Et les puristes vont être contents aussi. Nous prenons également notre propre envol ; c’est la première fois que nous nous autoproduisons.

Revenir aux rudiments du zouglou, qu’est-ce que cela signifie ?
Le zouglou est une philosophie ; parler des maux de la société, du quotidien des Ivoiriens, des Africains et valoriser les musiques du terroir. Le zouglou originel est différent de celui fusionné avec du r’n’b ou du rap. 

Qu’est-ce que le zouglou originel ? 
Nous, on appelait ça « Wôyô », comme dans Ambiance Wôyô. « Wôyô » en bambara veut dire « le bruit ». Il s’agissait de prendre le tamtam et de chanter quelque chose du terroir, dans sa propre langue. On jouait dans les écoles, pendant les rencontres sportives, etc. Et puis, cette philosophie s’est déportée sur les campus. Les étudiants s’en sont servis pour revendiquer leurs droits. C’est ainsi qu’est né le zouglou en 1991. Et il fait aujourd’hui partie de l’identité culturelle de la Côte d’Ivoire. Sa force est qu’il ne vient d’aucune région. C’est un assemblage de toutes les musiques de Côte d’Ivoire, une musique qui fédère. 

De l’appellation « world music », il est aujourd’hui mieux connu comme « musiques urbaines »…
À la Fnac, au début, nous étions classés dans « musiques du monde », avec des Cubains, des Chinois, des Ivoiriens… Comme si nos musiques n’avaient pas d’identité. Ça a été frustrant pendant des années. Quand nous sommes arrivés en 2000 en France, la musique africaine n’avait pas le droit de parole. Personne n’en écoutait. Les enfants des diasporas ne connaissaient pas nos musiques. Il a fallu que Premier Gaou arrive pour qu’ils regardent de l’autre côté. Nous étions des blédards et c’est cette musique de blédard qui a révolutionné les musiques en Europe.

Écologie, santé, éducation, agriculture, comment avez-vous écrit cet album ?
J’ai profité de la crise du Covid pour écrire à Abidjan. Depuis des années, on ne s’asseyait pas pour écrire, on créait entre deux avions. Et puis, j’ai la chance de présider la fondation Magic System. Je reçois des milliers de courriers qui racontent les problématiques de la Côte d’Ivoire. Et c’est ça le zouglou : décrier les maux de la société et passer des messages forts. Par exemple, nous avons fait une chanson sur les planteurs. Ils sont le pilier de l’économie en Côte d’Ivoire. Nous avons voulu les soutenir, eux qui « ne mendient pas la charité, ils ne demandent que la parité« . Le titre Voyager demande à « humaniser les frontières« , Ziaglo parle de l’employabilité des jeunes. Dans Bouger bouger, vous allez danser tout en entendant les Magic System vous dire qu’il faut « bouger dans la vie« .

Dans Ziaglo, vous allez jusqu’à interpeller des directeurs d’entreprise…
Et la chanson a eu un impact. Des amis, directeurs d’entreprises, m’ont appelé pour me dire qu’ils ont regardé des CV, que des jeunes vont être appelés… C’est ça aussi la musique ; elle doit avoir un impact. Le musicien prêche mieux là où le politicien échoue. Le musicien, c’est le prêtre et l’imam ensemble. Il n’y a pas d’obédience religieuse, pas de partis politiques… Tout le monde peut être devant un même musicien. Je ne suis pas un homme politique, mais le musicien peut être une courroie de transmission entre les populations et les pouvoirs. 

Vous faites rencontrer sur Molo Molo la rumba de Fally Ipupa avec le zouglou…
Il y a trois featurings sur ce nouvel album qui changent de ceux que l’on faisait depuis la France avec le 113, Soprano, Youssoupha, Mokobé… Là, on est en Afrique avec Smarty, DJ Mix Premier, Fally Ipupa. C’est une mutation des musiques urbaines africaines que de nous rencontrer à cet endroit-là aussi. La rumba est à Kinshasa ce que le zouglou est à Abidjan. Ces deux musiques ont pour point commun la proximité avec les populations. Cette collaboration avec Fally a plusieurs angles ; le métissage culturel, la collaboration intergénérationnelle et l’intégration culturelle entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

Pourquoi vous autoproduire aujourd’hui ?
Si on produit les autres, il faut qu’on puisse se produire nous-mêmes. Il y avait un paradoxe entre le fait que nous produisions de jeunes artistes africains, mais que nous soyons produits par d’autres en Europe. Après 25 ans de carrière, si on ne peut pas se produire, c’est qu’il y a quelque chose qui a manqué dans la carrière.

La carrière des Magic System commence en 1997 avec un premier album qui ne marche pas. Ça reste pourtant un album fondateur.
Nous avons appris, avec ce premier album, Papitou, que le talent seul ne suffit pas. D’autres facteurs s’ajoutent ; l’organisation, la promotion, la communication et une manière d’appréhender le monde du show business. Il faut être dans ces situations difficiles pour connaitre comment fonctionne cette machine. Dans le succès, tout le monde court derrière vous et vous ne voyez pas les vraies facettes de ce monde. Ce premier album a fixé des valeurs fortes comme la détermination, la persévérance, la foi en soi.

Comment s’est nourri au fil de ces 25 ans de carrière le besoin de diversification ? Vous avez créé le Femua, lancé Gaou Productions ainsi qu’une fondation…
C’est une vision. L’expérience que nous avons acquise est à mettre à profit. Le Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua) est l’une de nos plus belles réalisations, lancé en 2008. Le premier album nous a appris que nous pouvons échouer avant de réussir. C’est avec cela en tête que nous avons commencé le Femua. J’ai mis tous mes droits d’auteurs pour payer les trois premières éditions. Quand les professionnels ont compris la vision, ils ont commencé à nous soutenir et nous avons eu des partenaires. Mais il a fallu de la détermination. Il faut croire en son projet pour tenir, quand tu dois investir des millions euros. Le festival s’est imposé dans le paysage musical africain et on espère qu’il va traverser des générations.

Vous avez aussi profité de la crise sanitaire pour vous former à HEC, l’École des hautes études commerciales de Paris. Pourquoi ?
Beaucoup d’étudiants sont surpris de me voir sur le campus, ils pensent que je n’en ai pas besoin. L’argent seul ne fait pas le bonheur. J’ai besoin d’apprendre. Je dirige déjà 22 personnes sur Gaou Productions et la fondation. Les défis se présentent à nous et il faut les relever avec des outils. Je prépare ma thèse sur les industries culturelles et créatives qui sont encore à développer en Afrique. Je me suis dit que j’allais m’investir dans ce secteur pour pouvoir donner la chance aux autres et être utile pour le milieu du show business africain. J’ai envie d’ouvrir une grande salle de spectacle fusionnée à un centre de formation. À Abidjan sûrement. Gaou est aussi en train de devenir une holding avec la communication, le marketing, la production, l’événementiel. Ce ne sont pas les talents qui manquent en Afrique, mais des espaces d’accompagnement.

Vous produisez de jeunes artistes. Quel est votre regard sur la nouvelle génération à qui vous vous adressez aussi dans le nouvel album…
Parfois, les jeunes artistes brûlent des étapes. Certains chantent dans leur douche, ils enregistrent dans leur chambre, ils partagent sur les réseaux sociaux et ils se rendent compte que cette chanson devient un succès. Mais ils ne se sont pas appropriés toutes les valeurs qui entourent la carrière d’artiste. Et généralement, c’est fatal ; plus tu vas haut, plus la chute est brutale, et ce, par manque d’organisation. La jeune génération gagnerait à ne pas travailler en solitaire et à se faire entourer de professionnels.

Magic System Envolée zougloutique (Gaou Productions / Universal Music Africa) 2021
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