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Pour élargir le raï, Khaled met le passé au présent

Album « Cheb Khaled » du chanteur algérien Khaled. © DR

Acteur de la mondialisation comme de la modernisation de la musique qu’il incarne sur la scène internationale depuis trois décennies, le roi du raï emprunte des directions aussi multiples qu’audacieuses voire disruptives sur son nouvel album basiquement intitulé Cheb Khaled. Pour l’occasion, le sexagénaire algérien a privilégié les featurings avec des artistes d’horizons et de générations différentes.

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, dit un proverbe populaire français. À sa façon, en musique, le plus célèbre de chanteur de raï se l’est approprié pour son nouvel album. Cette référence au passé se retrouve jusque sur la pochette où l’artiste reprend son nom de jeunesse en rajoutant le « Cheb » qui avait disparu devant son prénom au moment où sa carrière avait pris un virage international aux débuts des années 90.

En 2019, quelques vidéos tournées en Californie et postées sur les réseaux sociaux indiquaient qu’il avait repris outre-Atlantique le chemin des studios et qu’il y avait retrouvé entre autres la productrice américaine Dawn Elder, très orientée vers la pop aux sonorités moyen-orientales. Elle était déjà intervenue dans la carrière de la star algérienne au moment de l’album Ya-Rami en 2004, crédité à Khaled & Friends et auquel celui-ci fait écho dans une certaine mesure. L’intéressé ne dit-il pas de ce nouveau projet qu’il est « familial, entre potes » ?

En guise de lien entre les deux disques, il y a Love to The People, avec l’intervention du prestigieux guitariste Carlos Santana. Un peu étrangement, le morceau n’a pas été retouché et figure dans sa version de 2004, à côté des titres du répertoire réalisés depuis 2019 ! Une partie des chansons, en réalité, n’est pas si nouvelle. À commencer par Trygue Lycée : « C’est mon premier enregistrement 45 tours fait à Oran. Je voulais faire revire mon histoire, faire remonter des souvenirs et qu’un autre public en profite », explique Khaled. À l’époque, il rappelle qu’il avait “donné un autre souffle à cette musique qui était populaire, mais pas diffusée à la radio” en lui apportant d’autres arrangements.

Pour continuer à « casser les frontières » et « donner une nouvelle atmosphère » à ce titre emblématique (qu’il avait déjà repris sur Kenza en 1999), il s’est donc adressé à DJ Snake, avec lequel des liens se sont noués puisque le jeune Franco-Algérien a aussi fait appel à lui sur la récente chanson Disco Maghreb (presque cent millions de vues sur Youtube !), rendant hommage au label phare du raï. S’il est conforme aux attentes de son auteur et remplit la fonction demandée, ce remix évolue dans une sphère très éloignée de l’original. Son crédo n’est-il pas de « faire des musiques qui donnent de la joie, de l’espoir, sans agressivité et pacifiquement » ?

Autre survivance du passé, Salama So Good remonte à l’association du chanteur oranais avec l’Égyptien Hakim et l’Iranien Andranki « Andy » Madadian. Leur tournée Desert Roses devait sillonner les États-Unis fin 2001, mais fut repoussée à l’année suivante en raison des attentats du 11 septembre 2001 – et sans Andy.

Par la suite, le trio s’était retrouvé en studio le temps d’y enregistrer Salam Alikoum, qui n’a pas connu l’exposition souhaitée par les protagonistes. La modifiant pour l’adapter aux sonorités actuelles, Khaled a tenu à la refaire avec l’Iranien. Également présent sur le nouvel album, le percussionniste argentin Luis Conte avait déjà été invité par Khaled lors de sa tournée américaine de 2005, tout comme le chanteur Elan Atias, connu pour avoir été le chanteur des Wailers à la fin du siècle dernier, que l’on retrouve en duo sur le latino Come Together – il partage aussi le micro avec l’Algérien sur Love to The People.

Enfin, c’est en repensant à sa collaboration avec l’Indienne Amar sur El Harba Wine (basée sur Zwuit Rwit d’Idir et parue sur Kenza en 1999), que le roi du raï a trouvé les clés artistiques pour articuler son chant et la mélodie bhangra de Riffat Sultana, fille du célèbre chanteur pakistanais Salamat Ali Khan sur Love Forever.

« Le monde est grand et ma musique n’est pas raciste ; elle se marie avec tout le monde », aime souligner Khaled, qui rappelle s’être inscrit depuis longtemps dans cette démarche de rapprochements musicaux, comme en témoignent ses morceaux enregistrés à Kingston avec des pointures du reggae pour le disque Sahra en 1993. Son nouvel album illustre cet universalisme débridé, tous azimuts, et sa capacité à savoir évoluer sans se cramponner à la recette initiale de son succès. Quitte à alimenter la controverse entre les anciens et les modernes.

Khaled Cheb Khaled (Aalia publishing) 2022

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