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Yodé et Siro fêtent leurs 25 ans de carrière : « le zouglou, c’est la Côte d’Ivoire »

Si à 46 et 45 ans à peine, Yodé et Siro fêtent déjà leurs 25 ans de carrière, c’est qu’ils se sont lancés tout jeunes dans le zouglou. Le genre a émergé avant eux, et quand les deux amis étaient au lycée, c’était déjà la musique des cérémonies, des matchs de football et des grands événements. « On a tout de suite aimé l’esprit, se souvient Siro, Sylvain Decavailles Aba à l’état civil. Le zouglou n’est pas forcément festif, il est avant tout social, engagé. Ce sont ces valeurs que nous avons épousées. » Dally Djédjé, alias Yodé, cite en vrac leurs premières influences : les Salopards, Maga Dindin, Esprit de Yop… À leurs débuts, ils forment un quatuor, les Poussins Choc, avant de devenir Yodé & Siro en 1996.

« Quand on n’avait pas cours, on se produisait dans des cérémonies funéraires, anniversaires, mariages et autres, raconte Siro. On ne pensait pas à la télé ou à la célébrité. On faisait ça parce qu’on aimait le zouglou, et c’est tout. Et puis un jour, on a participé à un concours et on s’est fait repérer. »

Yodé poursuit, sur le ton du conte de fée : « On voulait juste s’amuser au début. On aimait égayer les gens. Mais un producteur nous a lancés, et c’est devenu notre gagne-pain. » Siro commence comme lead vocal des Poussins Choc, mais cède vite sa place à Yodé « quand il s’est rendu compte que la meilleure voix, c’était moi ».

Artistes engagés ?

Peut-on prétendre faire du zouglou sans prendre position ? Pour Siro, c’est catégorique : « Oui, on peut faire un zouglou sans politique. Mais le zouglou dont nous avons hérité, c’est celui qui est né dans la contestation. » Celle de la fin de règne de Félix Houphouët-Boigny, au début des années 1990, des manifestations de rues et des grèves d’étudiants d’Abidjan.

« Notre premier album n’était pas si engagé que ça, reprend Siro. On faisait ce qu’on appelait de la “comédie musicale” : on racontait avec humour des faits de société, pour créer une cohésion sociale. » Leur premier tube, Asec-Kotoko, commente une sombre histoire de football, un match entre les clubs ivoirien ASEC Mimosas et ghanéen Asante Kotoko en Ligue des champions africaine –qui a dégénéré en bagarres meurtrières entre supporters et même finalement entre ressortissants de ces deux pays voisins – à travers une histoire d’amour entre Yodé et sa « go ghanéenne Adjoua ». « Je suis allé la voir / Je dis ‘Chérie coco’ / Elle dit ‘Faut pas me toucher / Vous Ivoiriens, vous est malades / Vous est cochons / Vous est imbéciles / Et puis, vous est chiens / À cause de ballon, vous avez même pas pensé’. »

L’engagement vient avec le deuxième album Antilaleca, en 2002, alors que le public a, selon le duo, « oublié l’esprit même du zouglou ». Eux choisissent de renouer avec la contestation sur le mode jovial, « car le zouglou ne doit jamais être frontal ». Yodé & Siro ont surtout réussi un numéro d’équilibriste, celui d’échapper à toutes les tentatives de récupération politique.

Quand on leur demande leur secret, ils retrouvent d’un coup leur sérieux. « Il ne faut pas avoir de prix, dit Siro. Notre parti, c’est la nation. Quand Bédié est venu, nous l’avons critiqué. Quand Gbagbo est venu, nous l’avons critiqué. Et quand le président Ouattara est venu au pouvoir, nous l’avons critiqué aussi. Nous sommes restés fidèles à nos principes. Si tu cours après l’argent, tu finiras toujours par te faire acheter. »

Mais il n’y a pas que l’argent pour bâillonner un satiriste. En décembre 2020, les deux hommes avaient été placés en garde à vue au terme d’une longue audition pour avoir critiqué publiquement le fameux procureur de la République Richard Adou, qu’ils qualifiaient de « procureur d’un seul camp ». « C’est quel pays ? avaient-ils chanté. Allez dire au procureur Adou Richard qu’un mort est un mort. »

Un « outrage à magistrat » qui leur avait coûté chacun un an de prison avec sursis et 5 millions FCFA d’amende. Aujourd’hui, l’anecdote les fait rigoler. « Les intimidations, ça ne marche pas avec nous, plastronne Siro. Deux grands gaillards comme nous, comment tu veux nous intimider ? Nous sommes de la rue, des enfants du bas-peuple. » Yodé vient d’un bas quartier de Marcory et Siro de Treichville, des quartiers à l’époque « difficiles ». « Nos parents n’avaient rien, raconte Yodé. Tout ce que nous faisons, c’est pour tous les enfants qui sont dans la rue. Si nous nous laissons intimider, ces enfants-là vont rester dans la boue. »

Pourtant l’ascension n’a pas été facile. Ce n’est qu’à partir de succès de Magic System, au tournant du millénaire, que l’industrie musicale ivoirienne a commencé à se structurer et le zouglou à devenir rémunérateur. « On a vendu 300 000 exemplaires de nos trois premiers albums, se souvient Siro, mais ça ne nous a pas rapporté grand-chose, à l’époque. »

Zouglou pour toujours

Désormais, les jeunes générations de zouglou comme les groupes Révolution, les Leaders et VDA peuvent prétendre vivre de leur art. Et profiter de cette liberté pour explorer de nouvelles pistes, en remplaçant notamment par des beats les percussions des années 1990. Des évolutions que les tauliers voient d’un œil bienveillant. « Beaucoup de styles différents sont venus en Côte d’Ivoire, philosophe Siro, et chacun a eu son succès avant de repartir. Mais le zouglou est comme un rocher solidement planté sur la plage. Le gnakpa est venu, le mapouka est venu, le youssoumba et le coupé-décalé, et tous ont reflué comme des vagues. Le zouglou est resté. »

Le secret de sa longévité ? « On ne crée pas de danse. Nous, on chante. Et l’originalité du zouglou, c’est qu’on y retrouve la manière de chanter des gars du Nord, celle des gars de l’Ouest, le djembe de Kimbirila, la castagnette du centre, le style du Sud, les timbales… Il y a toute la Côte d’Ivoire dans le zouglou. » Contrairement à des genres comme le reggae notamment, celui d’Alpha Bondy et du rock de Gnahoré Jimmy, le zouglou est la seule musique proprement ivoirienne à être entrée, surtout par Magic System, au répertoire des radios d’Europe. « Le zouglou ne vient pas d’ailleurs, dit simplement Siro. Le zouglou, c’est la Côte d’Ivoire. »

Les ambitions de Yodé et Siro dépassent aujourd’hui le champ musical, avec le lancement en 2019 de leur fondation YES (l’abréviation de leurs deux noms), destinée à reboiser le pays en partenariat avec la société de développement des forêts en Côte d’Ivoire (SODEFOR). Tous les ans pendant trois mois, leur caravane replante manuellement 15 hectares par jour, et en redistribue aux populations locales une part destinée à l’agroforesterie. « C’est un projet écologique, mais aussi social et éducatif, résume Siro. Ça aussi, c’est l’esprit du zouglou. Ce n’est pas une musique où on gagne, c’est une musique où on donne. »

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