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Le Jazz de Joe : Roger « Kemp » Biwandu

Roger Kemp Biwandu, 2023. © Hervé Lefèbvre

Sans fanfaronner, depuis plus de 30 ans, le batteur Roger « Kemp » Biwandu déploie sa virtuosité métronomique auprès de personnalités issues d’horizons musicaux très divers. À 50 ans, il peut s’enorgueillir d’avoir magnifié sur scène ou en studio les œuvres de Salif Keita, Joe Zawinul, Jacques Higelin, Keziah Jones, Marcus Miller ou Dee Dee Bridgewater, entre autres… Il ne délaisse pas pour autant sa propre destinée. Son 4e album, Straight Outta Palmer, illustre à merveille son cheminement artistique enraciné dans l’âme africaine du jazz. 

Comme nombre de musiciens de sa génération, la révélation se produit au tournant des années 80. Le petit Roger se passionne davantage pour la fusion électrique des groupes de jazz-rock que pour la rumba congolaise de ses aïeux. Il vit en France où le mélange des genres est devenu une matrice du paysage musical. Il vibre à l’écoute de Sting, Miles Davis, Michael Jackson, Wynton Marsalis, notamment. Le répertoire de Franco Luambo et de l’Ok Jazz lui semble bien loin. Et pourtant… Insidieusement, ses racines congolaises infusent dans son être. Il ne le sait pas encore, mais le terreau africain guidera ses pas. Il deviendra l’un des cœurs battants d’un swing multiculturel encensé par ses aînés. 

Il grandit dans la région bordelaise et s’épanouit dans le sport (le rugby) et la musique (le jazz). Ces deux activités lui imposent rigueur et concentration, mais développent également son esprit de liberté et de camaraderie. Roger « Kemp » (diminutif emprunté au basketteur Shawn Kemp) Biwandu devient un sérieux compétiteur et un instrumentiste réputé. Les sollicitations ne manquent pas et ses premières prestations aux côtés des grandes figures du jazz font sensation. Le pianiste autrichien Joe Zawinul, fondateur du groupe Weather Report et africain de cœur, le tarabuste, mais l’encourage. Le pianiste martiniquais Mario Canonge le conseille. Le bassiste américain Marcus Miller l’inspire. 

Un jazz aux racines multiples

Au fil des années, l’irrépressible envie de mener sa propre carrière se concrétise à travers un premier album, Influences, qui s’ouvre sur le fameux Haka des All Blacks, les célèbres rugbymen néo-zélandais. Nous sommes alors en 2007 et Roger Biwandu veut immédiatement inscrire sa musique dans son quotidien. Il est un fervent sportif, un jazzman désormais aguerri, un citoyen attentif aux tribulations de la planète et un auditeur des musiques du monde. Ses compositions doivent donc refléter ses aspirations. 

Progressivement, son propos va s’affiner… Chacune de ses productions trouvera sa raison d’être. Par petites allusions rythmiques ou mélodiques, ses prises de position deviennent lisibles. Revitaliser Black or White, immortalisé jadis par Michael Jackson, n’est pas anodin. Outre son admiration pour le « King of Pop », cette adaptation, enregistrée en 2017, témoigne de son regard social indéniable. Roger Biwandu ne peut se soustraire aux soubresauts de son époque et distille, dans ses différentes créations, ses préoccupations et ses enthousiasmes. En participant au spectacle Dipenda de Fabrice Devienne en 2018, il manifeste son intérêt croissant pour son histoire ancestrale. Bien qu’il n’ait pas connu les indépendances africaines des années 60, l’image du combattant ultime, Patrice Lumumba, l’interroge sur cet héritage congolais qu’il doit apprivoiser. 

Le 25 décembre 2022, Roger « Kemp » Biwandu fêtait son demi-siècle. L’âge de la maturité, dit-on. Il faut croire que cet adage sied parfaitement à l’intention de son dernier album. Straight Outta Palmer exprime la vérité d’un homme en quête d’équilibre que sa double culture chahute parfois. Revendiquer son appartenance à une région française et à une terre africaine est un enjeu audacieux. 

Une énergie communicative 

Roger Biwandu en joue, sur ce nouveau disque, en évoquant à sa façon le « Zaïre » et le stade de Kinshasa qu’il renomme « Tata Raphaël » où eut lieu le célèbre combat de boxe entre George Foreman et Mohamed Ali en 1974. Il marque aussi de son empreinte le Rocher de Palmer, un espace d’expression artistique à Cenon en France qui le vit croître. Roger Biwandu a certainement pris la mesure du poids patrimonial. Il avance à son allure et marque son temps. Son jeu de batterie, parfois volubile, trahit sans doute une énergie revendicative. 

Né à Bordeaux, il a dû se plonger dans le récit tourmenté d’un Congo qu’il n’a pas connu pour se réapproprier une part de son identité africaine. Toujours positif, il croit en la jeunesse pour affronter l’avenir et dépasser les ressentiments d’hier. Roger Biwandu est un père de famille, un artiste engagé, un sportif accompli, qui a su embrasser les multiples sources de son existence pour s’affirmer et exceller.

Le 28 janvier 2023, il retournera jouer à Cenon, là où tout a commencé. Sa générosité musicale et son humour accompagneront, à coups sûrs, les applaudissements nourris de ses nombreux admirateurs.

Roger « Kemp » Biwandu Straight Outta Palmer (Jazz Family) 2022
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