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Corridas : un modèle économique en péril

Fronde anti-corrida, prix des places très élevés (de 21 à 108 euros), désertion de la clientèle entreprises… Le modèle de la corrida semble en difficulté. Même les toreros les plus talentueux, comme El Juli ou Sébastien Castella, ne remplissent plus les 14.000 places des arènes de Nîmes. Seul « le meilleur d’entre tous, José Tomás, y parvient », commente Philippe Michel, président du club taurin Col y Toros. Un signe qui ne trompe pas : Simon Casas Production, titulaire de la délégation de service public pour les spectacles taurins (corrida, corrida équestre et novillada) de la feria de Nîmes, a obtenu de la ville que ses objectifs de fréquentation passent de 79.900 à 72.900 spectateurs au total. « Cet engouement popularisé par Canal+ s’est beaucoup fait sentir à Nîmes, et c’est d’ailleurs là que la baisse a été la plus sensible », observe André Viard, ancien matador et président de l’Observatoire national des cultures taurines.

Un spectacle « élitiste »

La baisse se rencontre pourtant plus ou moins dans les six autres villes possédant des arènes de première catégorie : Béziers, Arles, Vic-Fezensac, Bayonne, Mont-de-Marsan et Dax. Rares sont celles qui font le plein. On espère 5.000 personnes pour les cinq corridas de Vic-Fezensac en fin de semaine à l’occasion de Pentecôteavic. « Tout dépendra du temps, c’est au moins aussi important que le plateau », insiste le maire, Michel Espié.

Le problème serait d’abord économique. « La corrida n’a pas remis en question ses tarifs, et les toreros refusent de baisser leurs cachets, qui peuvent atteindre 160.000 euros », décrypte Corentin Carpentier, président des jeunes aficionados nîmois. « C’est devenu un spectacle élitiste car, sans régulation du marché, les grands toreros font la loi », confirme André Viard. Sans oublier le prix des taureaux de combat, dont les meilleurs sont vendus aux alentours de 10.000 euros. « Sachant qu’un taureau de quatre ans coûte 3.500 euros à élever », insiste André Viard.

Un intérêt qui décline

Par ailleurs, l’intérêt purement tauromachique décline. Selon certains, les meilleurs toreros s’entendraient depuis plusieurs années, pour imposer des animaux plus « faciles », c’est-à-dire des bêtes moins massives et aux cornes plus resserrées. Au grand dam des aficionados (public connaisseur) : « En 1990, il y avait 90 % de corridas dures, et c’était au professionnel de s’adapter à l’animal », explique Eric Dumond, président de l’association Les Amis de toros et chroniqueur taurin. A Vic-Fezensac, on cultive cette tradition de la corrida « torista », où la bête est mise en avant. Par opposition aux corridas « toreristas », plus artistiques.

Les entreprises, friandes des espaces VIP des bodegas, rechignent de plus en plus à inviter leurs clients aux corridas. « Ce n’est plus dans l’air du temps. Et ceux qui achètent des places ne communiquent pas dessus », s’inquiète Eric Dumond. Certains sponsors, qui investissent par amour de la tauromachie, demandent même… à ne pas être cités, « pour ne pas être inondés d’e-mails réprobateurs », ajoute Philippe Michel.

Une tradition vivace

Les partisans maintiennent que la tradition reste vivace. « La tauromachie est le seul spectacle non subventionné et aucune arène n’a été fermée », insiste André Viard. A Vic-Fezensac, le budget d’organisation du club est de 900.000 euros. « Sans aucune subvention, car nous équilibrons les comptes avec la billetterie tout en intégrant le loyer payé à la mairie », assure Bernard Pupin, le secrétaire de l’association. La municipalité de Bayonne s’était pourtant fait épingler par la chambre régionale des comptes, qui, en 2013, pointait d’« importants déséquilibres » pour le budget de la ville et une charge cumulée de 1,1 million d’euros de 2006 à 2011.

Les organisateurs veulent croire à une nouvelle progression après avoir stabilisé la baisse. A Mont-de-Marsan, les abonnés assistant à toutes les corridas sont choyés. Ils sont plus de 1.600 à avoir acheté leurs billets pour juillet. Et, à Dax, 200 abonnements jeunes à très bon marché ont été vendus dans l’heure.

Une corrida est-elle rentable ? « Ce discours sert les milieux anticorridas mais il n’y a pas de déclin. C’est un cliché. Je suis à Madrid et nous avons démarré une saison de 31 jours de corridas d’affilé avec retransmission à la télévision et les arènes sont pleines. Il peut y avoir des fluctuations comme dans toutes les industries du spectacle qu’il s’agisse du sport ou du théatre », assure Simon Casas le plus important organisateur de corridas dans le monde qui dirige plusieurs arènes dont celles de Nîmes et Madrid. Une chose est sûre il est difficile de se faire une idée précise de la santé du secteur.  « Les corridas, non régies par une convention collective, sont un univers relativement opaque, observe Eric Dumond. Un organisateur peut aussi être éleveur, manager de torero, voire torero lui-même… » En d’autres termes, il peut récupérer d’un côté ce qu’il perd de l’autre côté. La corrida, menacée ? Inconcevable, selon les Nîmois. « Pas de feria sans corrida et pas de corrida sans feria. Les deux sont indissociables », tranche Philippe Michel.


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