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Les entreprises américaines commencent à rapatrier leurs milliards stockés à l’étranger

C’était la dernière inconnue de la réforme fiscale de Donald Trump. Les multinationales américaines ont rapatrié plus de 305 milliards de dollars au premier trimestre, selon les dernières statistiques du ministère du Commerce , puisant dans leur gigantesque trésorerie stockée à l’étranger depuis des années. Au total, ce sont donc 10 % à 15 % des fonds dormant dans des coffres étrangers qui ont été renvoyés vers les Etats-Unis.

Pour échapper à un impôt sur les sociétés longtemps parmi les plus élevés en Occident, les grandes entreprises américaines ont en effet thésaurisé les profits dégagés par leurs filiales étrangères . Constituant au fil des années un pactole estimé entre 1.000 et 3.000 milliards de dollars, souvent investi en valeurs liquides comme des bons du Trésor. Pour les inciter à rapatrier ces milliards, le Congrès a adopté fin 2017 une taxe à taux réduit, s’appliquant en une fois sur tous les profits accumulés à l’étranger depuis 1986 (les actifs liquides étant taxés à 15,5 % et les actifs illiquides à 8 %) et dont le paiement peut s’étaler sur huit ans.

Des chiffres sans ambiguïté

Mais cette taxe, censée rapporter plusieurs centaines de milliards de dollars au Trésor, n’oblige pas les entreprises à rapatrier les fonds . Depuis l’adoption de la réforme, les analystes  se demandaient si les milliards seraient effectivement renvoyés par les entreprises , faute d’avoir un besoin de financement particulier, comme des rachats d’actions, des investissements ou une acquisition. Les chiffres sont sans ambiguïté : « Les entreprises ont rapatrié en un trimestre l’équivalent de ce qu’elles avaient renvoyé sur une année entière lors de la précédente amnistie, votée sous George Bush en 2005, qui portait certes sur une assiette très inférieure », estime Gregory Daco, chez Oxford Economics.

D’autres indicateurs révèlent d’ailleurs le même phénomène : l’Irlande a battu en avril un record mensuel en se délestant de 6,6 milliards de dollars d’obligations américaines, un mouvement « sans doute lié aux rapatriements des profits logés à l’étranger par des entreprises américaines », avance Morgan Stanley. Certaines comme  Apple, dont la trésorerie offshore atteignait en fin d’année dernière 252 milliards de dollars, ont promis d’en rapatrier l’essentiel, sans toutefois donner de calendrier.

De l’argent pour faire quoi ?

Reste une question essentielle. « Ce qui n’est pas clair, c’est ce que les entreprises vont faire de cet argent, confirme Joseph Song, économiste senior chez Bank of America-Merrill Lynch. On ne peut pas déduire grand-chose de ces rapatriements au point de vue macroéconomique, car il est probable qu’une partie des fonds ait servi à payer la taxe elle-même. » Celle-ci devrait rapporter, selon le ministère du Commerce, 250 milliards de dollars par trimestre cette année En 2005, le gros de l’argent rapatrié avait servi à financer des rachats d’actions, alors même que la loi spécifiait que les fonds devaient être fléchés vers des créations d’emplois et des dépenses en R & D, plutôt que vers des rachats d’actions ou des rémunérations de dirigeants.

La même dynamique semble jouer cette année. Au premier trimestre, les entreprises ont annoncé un montant record de rachats d’actions (158 milliards de dollars pour les entreprises du S & P 500, selon Dow Jones), un mouvement clairement encouragé par la réforme fiscale, qui devrait se traduire aussi par un boom des dividendes. Goldman Sachs table sur une hausse de 22 % de l’enveloppe consacrée aux dividendes et rachats d’actions à 1.200 milliards de dollars cette année, devant les investissements et la R & D (+11 %, à 1.000 milliards). « Le redémarrage de l’investissement n’est pas encore vraiment visible, note Joseph Song. Les variations qu’on observe dans les chiffres mensuels sont davantage liées au prix de l’énergie. »

Le mouvement pourrait se poursuivre au cours des prochains trimestres. En 2005, près de la moitié des flux rapatriés l’avait été en fin d’année. « Le flux d’argent pourrait continuer à revenir vers les Etats-Unis au même rythme pour payer la taxe, estime Gregory Daco. Mais les entreprises n’en ont pas vraiment besoin. Si les opportunités d’investissement sont mieux rémunérées ailleurs, comme c’est le cas aujourd’hui, elles laisseront leur trésorerie à l’étranger. »


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