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Réforme des retraites : les cinq dossiers qu’il va falloir déminer

Pas question de remettre en cause les pensions de réversion des veufs et veuves, a répété le Premier ministre, Edouard Philippe, ce lundi sur RTL. Au-delà de cette polémique que le gouvernement peine à endiguer, d’autres questions sensibles vont surgir lors de la concertation sur la réforme des retraites, qui vise à homogénéiser des règles aujourd’hui très différentes selon les régimes.

Les retraites des cadres menacées

Dans un régime par points où l’intégralité des salaires sert pour le calcul de la retraite, il y a beaucoup à perdre pour les cadres aux carrières ascendantes. Les futurs retraités ne pourront plus sélectionner  leurs 25 meilleures années ou, dans la fonction publique, s’en tenir aux 6 derniers mois de carrière. Or les très hauts salaires du privé peuvent gagner un tiers de pension en plus grâce à cette règle même si, en fin de compte, ce gain est ramené autour de 12 % par le jeu des plafonds de cotisation.

Les plafonds de cotisation, justement, sont le deuxième sujet à risque pour les cadres. Via le régime complémentaire du privé Agirc-Arrco, ils cotisent jusqu’à huit fois plus qu’au régime de base : l’assiette maximum de salaire sur laquelle s’appliquent les cotisations est de 26.500 euros, contre 3.300 euros. Du coup, les pensions sont plus élevées. En moyenne, les cadres doublent leur pension totale grâce à l’Agirc-Arrco.

Mais le futur régime universel (base plus complémentaire) devrait être plus restrictif : on s’achemine  vers un plafond de salaire pris en compte pour les cotisations aux alentours de 10.000 euros mensuels . Pour conserver les avantages des cadres supérieurs, il faudra soit s’en remettre à la capitalisation, soit reconstruire des régimes supplémentaires spécifiques.

Le casse-tête des primes des fonctionnaires

Faut-il intégrer le montant des primes des fonctionnaires dans le calcul des pensions ? Aujourd’hui, seuls les traitements sont pris en compte. Or les primes pèsent 22,6 % de la rémunération moyenne. Pour les agents de l’encadrement supérieur, ce ratio grimpe même à 46 %. Pour compenser ce manque à gagner, les fonctionnaires ont la possibilité de cotiser au sein de leur régime de retraite supplémentaire par capitalisation, le régime additionnel de la fonction publique (RAFP). Mais seulement sur 20 % de leurs primes.

Cette évaporation des primes à la retraite peut être source d’injustices. Car le taux de remplacement de la pension par rapport au dernier salaire varie fortement si l’on est dans un métier avec primes ou sans – par exemple, les enseignants, qui en touchent très peu.

Le futur système universel de retraite pourrait donc élargir l’assiette de cotisation des fonctionnaires aux primes. Mais alors il y aura évidemment des gagnants et des perdants parmi les agents publics. Et c’est toute la politique salariale de l’Etat qui serait à revoir. Des années durant, on a privilégié le levier des primes, car elles permettent de bonifier les salaires sans prendre d’engagements de retraite. A l’avenir, il pourrait y avoir un peu plus de pension, un peu moins de rémunération.

Le chantier explosif des droits familiaux

Le futur régime universel de retraite sera-t-il plus généreux avec les femmes que le système actuel ? Ce serait une façon de compenser des préjudices de carrière, des interruptions d’activité, et de favoriser le renouvellement démographique. Les pensions féminines sont inférieures de 26 % à celles des hommes, un fossé plus grand que  l’écart des salaires de 24 % .

Cependant, les retraitées toucheraient encore moins sans une série de dispositifs réducteurs d’inégalités : les réversions, qui comblent à elles seules  15 points d’écart de pensions  et  les droits familiaux . Ces derniers augmentent de 11,3 % la pension des mères et de 3,8 % celle des pères. Ils pèsent 18 milliards d’euros, dont près de 7 milliards en trimestres d’assurance offerts, 9 milliards de majorations financières, et 2 milliards d’allocations réservées aux parents démunis.

Ces droits vont croissant avec le nombre d’enfants. Ils représentent un quart des sommes touchées par les retraitées les plus modestes (premier décile). Mais le dispositif aggrave parfois les inégalités. Ce sont les pères qui profitent de 65 % des majorations pour parents de trois enfants, proportionnelles à la pension. Ce n’est pas forcément l’effet recherché. Tous ces droits familiaux, qui diffèrent selon les régimes, vont être rediscutés et harmonisés. Un chantier explosif.

Le sort indéterminé des travailleurs modestes

Comment éviter que les travailleurs modestes touchent des pensions à peine supérieures aux minima sociaux ? Avec l’augmentation programmée du minimum vieillesse à 903 euros par mois dès janvier 2020 (830 euros aujourd’hui), l’incitation à travailler va se réduire. Un salarié du régime général avec une carrière complète ne touche que 945 euros, pension complémentaire incluse. Guère plus que le dernier filet de sécurité tendu par la solidarité nationale.

Il toucherait encore moins s’il n’y avait le minimum de pension financé par son régime de retraite. Ce « minimum contributif » – ou « Mico » – s’élève à 412 euros pour un smicard, dès lors qu’il a au moins travaillé à mi-temps et qu’il a effectué tous ses trimestres. Les bénéficiaires, qui sont 8 fois sur 10 des femmes, améliorent ainsi de 27 % leur pension.

Les minima de type Mico ne devraient pas disparaître, mais être harmonisés. La CFDT veut même les porter au niveau du SMIC pour les smicards. Quoi qu’il en soit, il faudra réintroduire une notion de durée d’assurance dans le régime par points. Comme il est prévu de conserver l’âge minimal de départ à 62 ans, les travailleurs modestes devraient être doublement dissuadés de rendre leur tablier trop tôt.

Les départs anticipés sur la sellette

La retraite anticipée pour carrière longue est-elle menacée ? Dans le futur régime par points, la durée de la carrière deviendra secondaire. Mais on conservera la barre des 62 ans comme âge minimal de départ.

C’est trop haut pour les bénéficiaires de retraites anticipées. Ils étaient 307.000 au régime général en 2017, pour 3,4 milliards de pensions versées. Tous régimes confondus, le coût s’est élevé à 6,3 milliards. C’est dire si la formule créée en 2003 a fait florès. Le législateur a voulu adoucir le sort des assurés qui ont commencé à travailler à 17 ans ou plus tôt, et qui ont accumulé tous les trimestres requis.

Pour conserver cet avantage, il faudra donc probablement réintroduire une notion de durée d’assurance. A moins que l’on ne décide de mettre fin aux départs anticipés, pour les échanger contre de meilleures pensions.

D’autres départs anticipés sont sur la sellette, en particulier ceux des fonctionnaires en catégorie dite « active » (policiers, infirmières, etc.), qui peuvent partir dès 57 ans, comme c’est le cas aussi pour la plupart des agents des régimes spéciaux (52 ans pour un conducteur SNCF). Ces avantages pourraient être conservés en tout ou partie, si l’employeur (l’Etat ou l’entreprise) cotise à due proportion pour compenser la perte pour le régime universel.


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