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La situation alarmante du contrôle aérien français

Des vols annulés par centaines, des millions de passagers retardés dans toute l’Europe, un coût de plusieurs milliards d’euros pour l’économie européenne et une multiplication d’incidents techniques, mettant parfois en cause la sécurité : telle est la situation alarmante vécue par les services français de la navigation aérienne.

Et  si les grèves focalisent l’attention des médias et du public, la source de tous les maux est bien l’obsolescence des outils utilisés quotidiennement par les 3.500 contrôleurs aériens français et le retard pris par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) et sa principale composante, la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) dans la modernisation de ces outils.

Un rapport sénatorial sans concession

Mise en lumière par un rapport très documenté du sénateur Vincent Capo-Canellas, la vétusté des systèmes de contrôle du trafic aérien a trouvé une nouvelle illustration inquiétante, avec la panne survenue le 26 juin dernier. Lors d’une mise à jour du système de traitement des plans de vols, une grande partie des informations relatives aux avions en vol, a brutalement disparu, obligeant les contrôleurs aériens à ressaisir manuellement dans l’urgence, les plans de vol.

Au centre de Brest, un avion a même carrément disparu des écrans, occasionnant une belle frayeur aux contrôleurs aériens. Un « événement sécurité hors norme » dans le jargon de la DSNA, qui aurait pu se terminer par une collision en vol.

Un tiers des vols retardés

Pour les millions de passagers amenés à voyager dans l’espace aérien français, cette crise se traduit par de longues attentes dans les aéroports français ou étrangers, cet été. Le mois dernier,  30 % des vols en France étaient déjà retardés et tout indique que le seuil des 40 % pourrait être franchi en juillet. Car si le nombre de vols contrôlés a encore augmenté de 2 % depuis le début de l’année, les capacités des traitements des centres de contrôle français, en charge de 20 % du trafic aérien européen, sont déjà au taquet.

« Sur le seul mois de mai, nous avons accumulé plus de retards que sur l’ensemble de l’année 2017 et nous étions déjà presque à la limite de nos capacités », déplore un contrôleur de l’un des cinq centres de contrôle en route français. « Nous devons travailler dans le stress, avec des outils et une organisation hérités d’un lointain passé, et qui ne favorisent pas la productivité, souligne un autre. Quand des collègues européens voient dans quelles conditions nous travaillons, ils n’en reviennent pas du nombre de vols que nous arrivons malgré tout à faire passer ».

Un retard technologique de 25 ans

Le symbole de ce retard technologique est la survivance dans trois des cinq centres de contrôle français, des « strips » : des bandelettes de papier sur lesquelles figurent les principales informations concernant les vols (numéro de vol, type d’avion, destination, route, altitude prévue) et les instructions transmises aux pilotes. Alors que partout ailleurs, les strips ont disparu au profit d’outils informatiques depuis de très nombreuses années – dès 1994 pour le centre de Maastricht – la majorité des contrôleurs aériens français doivent continuer de se référer à ces bouts de papier.

« Dans un centre moderne, le contrôleur rentre d’un seul clic dans l’ordinateur, les instructions qui sont transmises automatiquement au pilote et l’ordinateur contrôle que les instructions sont bien exécutées. Si par exemple, un vol monte à une altitude incorrecte, ou si les instructions données entrent en conflit avec un autre vol, l’ordinateur donne l’alerte, explique un représentant syndical français. Mais en France, le contrôleur doit surveiller l’écran radar tout en vérifiant constamment sur ses bouts de papiers que les routes des avions sont conformes aux instructions notées sur les strips. C’est très chronophage et cela explique en partie pourquoi les contrôleurs français suivent 20 % à 30 % de vols de moins que leurs collègues européens ».

Un nouveau système attendu depuis 2015

Pour rattraper son retard, la DSNA compte essentiellement sur la mise en place du  futur système 4-Flight , en cours d’élaboration avec le groupe Thales. Mais le chantier, piloté au sein de la DGAC par la direction de la technique et de l’innovation (DTI), accumule les retards et les surcoûts. Prévue pour 2015, l’entrée en service de 4-Flight a officiellement été reportée à l’hiver 2020-2021 et pourrait bien tarder jusqu’à l’hiver 2022-2023. Or le trafic devrait avoir augmenté d’ici là d’au moins 1,8 % par an selon les prévisions les plus conservatrices. Soit 1.200 vols quotidiens supplémentaires en 2023.

A ces retards s’ajoute le dérapage des coûts. Initialement chiffré à 500 millions d’euros, le coût de programme 4-Flight atteint désormais 850 millions. Et une nouvelle rallonge budgétaire est d’ores et déjà prévue. En y ajoutant le coût des programmes annexes, la facture totale de la modernisation de la DSNA atteindrait 2,1 milliard d’euros selon le rapport du sénateur Capo-Canellas.

Un système à la pointe… dans 4 ou 5 ans

Chez Thales, on explique ces retards par le niveau de sophistication nécessaire pour la gestion d’un espace aérien aussi complexe que le ciel français. La prise en compte des nouvelles menaces liées aux cyber-attaques a également contribué à retarder le programme. Mais une fois achevé, le système français sera le plus performant d’Europe, affirme-t-on, et permettra même de prendre une longueur d’avance dans la mise en place du futur système européen SESAR.

Une première tête tombe

Toutefois, au sein même de la DGAC, nombreux sont ceux qui incriminent l’incapacité de la Direction technique et de l’innovation (DTI) à conduire correctement de tels projets et à travailler en bonne intelligence avec un industriel. Face à la pression interne et externe, le directeur de la DGAC, Patrick Gandil et le numéro deux, le patron de la DSNA, Maurice Georges, tous deux en place depuis plus de 10 ans, semblent vouloir faire le gros dos. 

Pour la première fois, l’un des principaux dirigeants de la DGAC, le directeur de la DTI, Pascal Planchon, a finalement dû annoncer son prochain départ. Dans un courrier interne adressé à ses troupes, il avait dénoncé « la violence des propos, au demeurant injustifiés » du rapport Capo-Canellas, sans exprimer le moindre regret. Cela suffira-t-il ?


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