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Succession : menace fiscale sur le transfert de la nue-propriété

Le diable se cache dans les détails et le vocabulaire… Par le simple ajout d’un adverbe, la modification d’un article du livre des procédures fiscales met en émoi la communauté des notaires, des fiscalistes et des gestionnaires de patrimoine et bientôt leurs clients… De quoi s’agit-il ? D’une extension de la notion d’abus de droit qui pourrait toucher de nombreux contribuables.

Beaucoup choisissent de leur vivant de transférer la nue-propriété de leurs biens immobiliers à leurs enfants, tout en en gardant l’usufruit. Ce démembrement, très classique, peut servir à anticiper, à simplifier ou à organiser une succession. Mais ce type de montage, qui s’applique aussi au transfert de parts d’entreprises, a également souvent pour but d’alléger les droits de succession : la valeur de l’usufruit s’éteignant au moment du décès de son bénéficiaire, le calcul de la somme à payer à l’administration se réduit alors à la valeur, moindre, de la nue-propriété.

Des opérations à but « principalement » fiscal

La pratique est courante et souvent conseillée, en toute légalité, par les notaires et les gestionnaires de patrimoine. L’article 109 de la loi de finances 2019, devenu l’article L.64-a du livre des procédures fiscales, pourrait introduire une autre interprétation. Ce nouveau texte, qui ne concerne pas spécifiquement l’immobilier, étend la notion d’abus de droit : il caractérise aujourd’hui un acte réalisé dans un but « exclusivement » fiscal, répréhensible et lourdement taxé s’il est constaté. A partir du 1er  janvier 2020, il s’appliquera aussi aux opérations dont le but serait « principalement » (et non plus seulement exclusivement) de diminuer les sommes dues au titre de l’impôt.

Plusieurs notaires et avocats ont mis le doigt sur cette nouvelle formulation qui contient, selon eux, un fort risque juridique pour des opérations jusqu’alors banales. « La portée de ce texte est très vaste. Il est à craindre que l’administration soit en mesure de remettre en question les décisions de démembrements et renverse la charge de la preuve : en cas de contentieux et de saisine du comité de l’abus de droit, il reviendra au contribuable de prouver qu’il n’a pas imaginé ce montage dans le seul but de diminuer son dû », plaide David Janiaud, avocat au cabinet Picovschi.

Ce dernier n’est pas le seul à souligner la difficulté d’appréciation et le risque d’inégalité de traitement auquel seront soumis les contribuables selon les interprétations des différents services fiscaux. Même s’il est généralement possible de trouver des raisons familiales à ces transferts, les juristes savent bien que leur but est généralement d’alléger les droits : certains avocats regrettent ce soudain buzz, susceptible surtout d’attirer l’attention de l’administration.

L’immobilier, victime collatérale

Bénédicte Peyrol, la députée LREM de l’Allier, auteure de cet amendement devenu un article de loi, se dit très surprise de la levée de boucliers suscitée par ce texte, issu d’un rapport de l’assemblée nationale, qui vise d’abord la lutte contre l’optimisation agressive et l’évasion fiscale internationale des entreprises. « Il sera possible aux familles de prouver dans quel but la succession est organisée, en informant l’administration a priori via des rescrits fiscaux, et peut-être faudra-t-il dans les prochains mois préciser la position de l’administration sur cette question du démembrement de propriété », reconnaît-elle, en ajoutant toutefois que les pratiques frauduleuses ne sont pas rares, notamment dans le secteur de l’immobilier.

Une mesure similaire proposée dans le projet de loi de finances de 2014 avait été censurée par le Conseil constitutionnel au motif que la sanction envisagée (l’annulation de l’acte et le paiement de 40 % à 80 % de droits) avait été jugée confiscatoire. Cette fois, les sages n’ont pas invalidé le texte : « Nous avons rajouté un étage intermédiaire, explique Bénédicte Peyrol, qui n’induit pas de sanctions aussi fortes. Si l’opération est requalifiée parce que son but considéré comme principalement fiscal, elle pourra être annulée et donner lieu au paiement d’intérêts de retard ». Les redressements fiscaux pour abus de droit rapportent aujourd’hui à l’Etat 171 millions d’euros. Pour Bénédicte Peyrol, « l’outil, qu’il soit répressif ou dissuasif, mérite d’être amélioré ».


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