Economie

Le groupe IPM dévoile sa stratégie pour faire grandir la chaîne LN24

Un peu plus de deux ans après sa mise sur orbite, la chaîne de télévision LN24 change de pilote. À partir de ce jeudi, c’est le groupe de médias IPM qui est officiellement aux manettes de la seule chaîne d’information en continu éditée en Belgique francophone. Réunis en assemblée générale extraordinaire, les actionnaires historiques de LN24 ont en effet donné leur feu vert, mercredi en fin de journée, à l’offre de reprise déposée par le groupe de la famille le Hodey. Le feu vert a été donné à l’unanimité des actionnaires présents. Un seul (petit) actionnaire n’était pas représenté à l’assemblée, à savoir Ice Patrimonial.

Fin octobre, le conseil d’administration de LN24 avait décidé d’entrer en négociation exclusive avec IPM. L’objectif était de faire entrer l’éditeur de La Libre, de La DH et de L’Avenir, entre autres marques média du groupe, dans le capital de la jeune chaîne d’information afin de « financer la poursuite de son développement et lui assurer un financement pérenne et durable ».

Actionnaire et opérateur industriel

Les négociations n’auront pas traîné, même si elles ont été parfois complexes et compliquées (vu le nombre de parties prenantes au dossier). Mais le résultat est là : moyennant une recapitalisation de 3 millions d’euros (dont 2,7 millions apportés par IPM et 300 000 euros réinvestis par Belfius Insurance, dont la participation est à présent de 17 %), le groupe de la rue des Francs, à Etterbeek, devient l’actionnaire majoritaire de LN24 avec 68 % du capital et, surtout, l’opérateur industriel qui manquait à la chaîne.

« LN24 est un exemple d’esprit d’innovation et d’entreprise dans le secteur des médias. Les fondateurs et les équipes professionnelles ont fait un travail impressionnant. Nous sommes enthousiastes de poursuivre l’aventure avec cette jeune génération talentueuse. Au sein d’IPM, LN24 aura les moyens pour devenir la chaîne d’information et de débats de référence. Nous avons toujours cru en la convergence presse, audiovisuel et Internet », a réagi François le Hodey, administrateur délégué de IPM et nouveau président exécutif de LN24, alors que la vice-présidence est confiée à Denis Pierrard. Ce dernier, directeur général de IPM Group, aura en charge la coordination des activités de LN24 avec le reste du groupe IPM.

Frédéric Van Der Schueren, directeur financier de Belfius Insurance, s’est également réjoui de l’issue de la négociation de LN24 avec IPM. « Je salue la volonté d’IPM, acteur médiatique de premier plan, d’investir dans LN24. Ces investissements permettront à LN24 de poursuivre son expansion audiovisuelle et ses ambitions digitales en profitant des synergies fortes avec un groupe média solide ».

Joan Condijts s’en va, Martin Buxant reste

L’augmentation de capital de 3 millions d’euros s’accompagne d’une dilution importante des actionnaires historiques de LN24. Outre IPM et Belfius Insurance, on retrouve désormais Besix avec 9 % du capital et Finance&Invest Brussels avec 3,6 %. Ice Patrimoine (société de Jean-Pierre Lutgen), 1954 (société de Giles Daoust) et Martin Buxant (cofondateur de LN24 avec Joan Condijts) se partagent le solde.

Joan Condijts, qui occupait le poste de CEO de LN24 après avoir été rédacteur en chef du quotidien L’Écho, a fait le choix de céder ses parts et de quitter la chaîne. Ce n’est pas le cas de son comparse Martin Buxant. Cet ancien journaliste de La Libre et de L’Écho devient directeur de l’information de LN24. Il aura pour mission de concevoir et d’animer de nouvelles émissions phares de la chaîne. Le poste de rédacteur chef devrait, en principe, être occupé par Didier Defawe (actuel rédacteur en chef adjoint). Une nouvelle équipe de direction, dont un directeur général, sera mise en place dans les prochains jours.

Contacté peu après l’assemblée générale extraordinaire, Joan Condijts dit se réjouir de la reprise de LN24 par IPM. « L’aventure peut continuer, c’est le plus important, même si, personnellement, j’ai considéré que ce n’était plus à moi de piloter l’entreprise mais bien à IPM ». Le CEO de LN24 quittera son poste dès le 31 décembre, mais il s’est engagé, auprès de François le Hodey, à accompagner la transition durant quelques mois. Joan Condijts ne partira pas avec le sentiment d ‘avoir échoué. « Au contraire! Nous sommes parvenus à inscrire un nouveau média dans le paysage francophone belge, ce qui n’est vraiment pas mince! Je pars avec le sentiment d’avoir participé à la création de quelque chose de beau ». Il est très probable que M.Condijts rebondisse assez rapidement dans le secteur des médias. « Je vais d’abord prendre le temps de la réflexion. LN24 a été un projet très prenant ».

Des comptes dans le rouge

La prise de contrôle de LN24 par IPM a nécessité un effort collectif non négligeable de la part des actionnaires. Pour une raison très simple : les comptes de LN24 sont dans le rouge. Le montant des pertes cumulées de la chaîne s’élève à plus de 7 millions d’euros pour un chiffre d’affaires qui devrait avoisiner, fin de cette année, 2,5 millions. Même s’il a pratiquement doublé par rapport à 2020, le chiffre d’affaires n’atteint que la moitié du budget de fonctionnement de l’entreprise. LN24 emploie une cinquantaine d’équivalents temps plein (journalistes, techniciens, producteurs, personnel administratif,…).

À moins de déclencher une « PRJ » (procédure en réorganisation judiciaire), avec toutes les conséquences et les risques que cette procédure comporte, les actionnaires historiques de LN24 n’avaient d’autres choix que de se serrer les coudes, soit sous forme de dilution de leur participation, soit en effaçant une partie de leur créance (ce qui a été le cas pour Finance&Invest Brussels et la SRIW). « Même s’il y a pu avoir des divergences de vue sur la stratégie à adopter et la valorisation de l’entreprise, nous confie l’un d’eux sous couvert d’anonymat, aucun n’a voulu prendre le risque de faire capoter le deal avec IPM dès lors qu’il allait dans le sens de l’intérêt de LN24″.

D’après L’Écho, seul l’entrepreneur wallon Jean-Pierre Lutgen aurait fait de la résistance en tentant, via un rachat des parts détenues par Besix, de faire monter les enchères. Mais le patron de Besix serait intervenu pour contrer la manœuvre. Hier, M.Lutgen n’était pas représenté à l’assemblée générale extraodinaire. D’après nos informations, il n’aurait pas validé le nouveau pacte d’actionnaires.

Depuis la création de la société LN24 en octobre 2018 (soit un an avant le démarrage des émissions), la chaîne a dû être recapitalisée à cinq reprises. Au total, près de 9 millions d’euros ont été investis dans LN24.

Stratégie de relance

Interrogé mercredi soir sur les ambitions de IPM pour LN24, François le Hodey met en avant deux priorités : doubler la part de marché de la chaîne en trois ans (en la faisant passer de 1,5 % à plus de 3 % sur son « cœur de cible » des 25-54 ans) et rétablir l’équilibre financier d’ici la fin de 2024. Le patron de IPM est donc prêt à donner du temps et des moyens aux équipes de la chaîne pour atteindre le plein potentiel de LN24. « Même s’il y aura des synergies et des réallocations de moyens, nous ne prévoyons pas de mener une stratégie de réduction des coûts pour LN24. Notre pari est celui de l’investissement, de la convergence des médias et de l’audience, avec des programmes de qualité en matière d’information, de débat, mais aussi de magazines d’infotainment », assure François le Hodey.

Pour atteindre ses objectifs, IPM va inscrire LN24 dans la stratégie de convergence des médias (presse, Internet et audiovisuel) que le groupe suit depuis plusieurs années. « L’objectif est de travailler de manière coopérative avec toutes les rédactions du groupe en vue de disposer d’une information de première qualité et d’installer LN24 comme l’agora de référence des grands débats de société en Communauté Wallonie-Bruxelles », précise le CEO de IPM. Signe de cette convergence, les équipes de LN24 s’installeront dans les bâtiments de IPM d’ici quelques mois pour être au cœur du dispositif des rédactions du groupe, des équipes technologiques et marketing.

“Matinale” et “prime time” revisités

IPM occupe, aujourd’hui, la place de co-leader du paysage de la presse francophone belge. Chaque jour, de l’ordre de 1 million de lecteurs consultent les sites en ligne et les applications mobiles de ses différentes marques (lire ci-dessous). IPM est aussi l’éditeur de DH Radio, radio musicale et d’information.

À ce propos, DH Radio et LN24, qui étaient en litige depuis 2019 sur l’attribution de fréquences FM, ont prévu de coopérer étroitement. Cela passera, principalement, par une « matinale » d’information commune, disponible en télévision, en radio et sur Internet. Parallèlement, le projet vise à mettre le paquet sur le « prime time » (tranche horaire avec le plus gros potentiel de téléspectateurs et d’auditeurs). L’objectif est de proposer des programmes « intelligents, divertissants et percutants » pour atteindre un public plus large.

Un paysage média chamboulé

Avec le rachat de LN24 par le groupe IPM, on assiste à un nouvel épisode de la vague de transformation du paysage francophone belge des médias. IPM, dont l’actionnaire unique est la famille le Hodey, avait déjà bouclé une opération stratégique, mi-2020, en faisant l’acquisition du groupe de presse régionale Editions de l’Avenir. Le groupe wallon, qui édite les différentes éditions du quotidien L’Avenir, mais aussi les périodiques Moustique et Télé Pocket, faisait partie des actifs du groupe public Nethys. Avec ce rachat, le groupe IPM et son portefeuille de titres (La Libre, La DH, Paris Match Belgique, Courrier International, Logic Immo,…) avait acquis une taille lui permettant de faire jeu égal avec Rossel et ses quotidiens (Le Soir et Sud Presse) en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Cette année, le chiffre d’affaires consolidé de IPM sera de l’ordre de 170 millions d’euros. L’effectif global est de 350 personnes. La reprise de LN24 ajoutera une cinquantaine de personnes à cet effectif.

L’entrée de IPM dans le métier de la télévision intervient quelques mois après une autre opération stratégique, à savoir le rachat de RTL Belgium et de ses chaînes (télé et radio) par les groupes Rossel et DPG Media. La transaction, toujours en cours d’examen pour approbation de l’Autorité belge de la concurrence, s’élevait à un montant total de 250 millions d’euros.