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Le Jazz de Joe : Same Player Shoot Again

Pochette de l’album « Our King Albert » du groupe Same Player Shoot Again. © Illustration : Philips

Bien que le nom du groupe ne l’indique pas, Same Player Shoot Again est une formation française dont l’inspiration repose sur une parfaite connaissance de la culture afro-américaine. Déjà salués en 2018 pour leur première révérence au regretté Freddie King, nos disciples du blues ancestral honorent, cette fois-ci, un autre roi disparu, le légendaire Albert King, dans une relecture aussi révérencieuse que pertinente. Certes, l’exercice est périlleux mais revitaliser un répertoire suppose une part de risque que ces intrépides interprètes ont su mesurer et maîtriser.

Il faut avoir un peu de bouteille pour oser toucher à un patrimoine sonore enraciné depuis des décennies dans le vécu d’une population malmenée, mais résiliente. Quand sept musiciens étrangers à cette destinée africaine-américaine pesante se persuadent de rendre justice à leurs lointains cousins d’Amérique, le défi est de taille. Puiser dans un idiome très sensible et comprendre un art, pétri de petites gloires et de douloureux renoncements, n’est pas une mince affaire.

Pourtant, l’approche artistique de nos fins instrumentistes français ne laisse pas de place au doute. L’héritage musical auquel ils font face ne les intimide pas. Il les motive, les enthousiasme et les convainc du bien-fondé de leur projet. Suffisamment aguerris pour s’approprier les œuvres de leurs aînés sans les dénaturer, nos sept virtuoses réaniment une époque, un esprit, une tonalité, que les auteurs originels ne renieraient pas.

Chacun de ces officieux légataires a déjà œuvré dans le paysage blues de notre temps. Bill Deraime, Paul Personne, Jean-Jacques Milteau, Lucky Peterson, entre autres, ont souvent fait appel à leurs services pour magnifier leurs œuvres.

Hommage musical

Il serait donc malvenu de contester leur légitimité d’autant que l’enjeu n’est pas ici de singer un genre ou une personnalité majeure de l’histoire noire-américaine, mais davantage de soumettre un hommage musical aux adeptes et admirateurs de Feu Albert King.

Le titre de l’album est d’ailleurs très explicite. « Our King Albert » (« Notre Roi Albert ») est autant l’expression d’une affectueuse pensée pour un être cher que l’adaptation mélodique personnelle de chansons à redécouvrir. La sélection des compositions est donc nécessairement subjective, mais elle épouse les aspirations des différents membres du groupe.

Il était évidemment impossible d’éluder Born Under A Bad Sign, l’hymne d’Albert King enregistré pour le label Stax Records en 1967, mais l’exploit de Same Player Shoot Again est aussi de réhabiliter des ritournelles oubliées comme Till My Back Ain’t Got No Bone paru en 1974.

Au-delà du coup de chapeau à un artiste unique, c’est une humeur qui capte nos sens dans ce disque saupoudré de soul music, celle des années 1960 et 1970, quand Stax concurrençait Motown, quand la rugosité sudiste targuait la légèreté nordiste, quand le jeune et bouillonnant Otis Redding écoutait, amusé, les jérémiades encore édulcorées du crooner Marvin Gaye.

Cette vérité brute transpirait dans la musicalité d’Albert King, elle se révèle avec autant de force dans les ornementations harmoniques choisies par Same Player Shoot Again. Finalement, comme nous l’avions pressenti lors de la parution du premier album dédié à Freddie King, l’hommage est un prétexte bien commode pour développer une intention beaucoup plus vaste.

Somme toute, savourer My Babe est également l’occasion de se souvenir de Willie Dixon, de Little Walter, de Muddy Waters, de Bo Diddley ou d’Howlin’ Wolf, du label Chess Records, de se plonger dans l’encyclopédie de la musique noire américaine, de voyager dans le temps, avec une exaltation inassouvie.

King of blues

Cette réelle gourmandise pour le swing soul-blues afro-américain s’accompagna d’un prix honorifique décerné à nos sept indécrottables « Frenchies » en 2019 par le Cahors Blues Festival, institution française depuis 1982, qui a accueilli en 40 ans les plus grandes figures d’antan, Buddy Guy, Junior Wells, Luther Allison et B.B King, notamment.

Tiens, tiens… Et s’il manquait un « King » aux célébrations de Same Player Shoot Player, serait-ce le roi du blues lui-même ? Ne précipitons pas les événements et délectons-nous, pour le moment, de cette ode à un géant du blues américain, Albert King, que Vincent Vella (chant), Romain Roussouliere (guitare), Max Darmon (basse), Florian Robin (piano), Steve Belmonte (batterie), Loïc Gayot (saxophone) et Jérôme Cornelis (guitare) ne manqueront pas d’invoquer sur scène lors de leurs futures prestations. Rendez-vous, par exemple, le 14 septembre au New Morning à Paris et, d’ici là, écoutez et réécoutez Our King Albert !

Reste une interrogation légitime qui ne cesse de faire tilt dans notre réflexion fertile… B.B King sera-t-il, à son tour, choyé dans un avenir proche par la respectueuse inventivité de sept musiciens français audacieux ? Après tout, ils le disent eux-mêmes : « Same Player Shoot Again » (« On prend les mêmes et on recommence »). Vivement !

Same Player Shoot Again Our King Albert (Five Fishes/Socadisc) 2021

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