Ile-de-France

Loi Elan : haro sur les architectes ?

Logement social : quelles procédures sont visées ?

“Construire plus, mieux et moins cher”. Tel est le leitmotiv introductif du projet de loi Elan, présenté mercredi 4 avril 2018 en conseil des ministres, vecteur législatif du « choc de l’offre » promu par Emmanuel Macron. Pour accorder plus de souplesse aux bailleurs sociaux, la loi entend supprimer l’obligation des concours d’architectures, proroger la conception-réalisation de 3 ans dès la fin de l’année 2018, allégeant ainsi les dispositions de la loi MOP.

Le concours d’architecture est hérité de la loi du 5 juillet 1977 qui indique que “les maîtres d’ouvrage publics et privés favorisent (…) l’organisation de concours d’architecture, qui participe à la création, à la qualité et à l’innovation architecturales et à l’insertion harmonieuse des constructions dans leur milieu environnant”, indique alors le législateur. Un décret du 10 avril 2017, – relatif à la loi du 7 août 2015 sur la nouvelle organisation territoriale de la République – conforte cette idée, en obligeant les Offices publics de l’habitat à recourir à ce mode de sélection.

Au delà du concours, la loi Elan entend remanier la loi MOP qui régule les rapports entre maîtrise d’ouvrage publique et maîtrise d’oeuvre privée. Les bailleurs sociaux se verraient ainsi exemptés des articles 7 à 10.1 de la loi MOP qui détaillent les missions attribuées à la maîtrise d’oeuvre privée pour mener à bien le programme établi par le maître d’ouvrage. Parmi ces missions : les études d’esquisses, l’assistance pour la passation de contrats de travaux, ou le pilotage du chantier qui implique la planification des étapes du chantier et la coordination de ses différents intervenants. Ce sont ces prérogatives dont les architectes pourraient se voir amputés, dans le cas d’un assouplissement de la loi MOP.

Depuis juillet 2017, un décret obligeait les Offices public de l’habitat à recourir aux concours d’architecture ©JGP

Le concours, un « obstacle » pour certains bailleurs sociaux

Sur la question des concours, la loi Elan divise architectes et bailleurs sociaux, les premiers craignant une perte de qualité architecturale, tandis que les seconds attendent plus se souplesse dans la construction publique . « Obstacle », « coûteux », ce processus de sélection est vécu par certains bailleurs comme un véritable frein. Et pour preuve, L’Union sociale pour l’habitat (USH) a expressément demandé la possibilité d’y déroger.

« Dans certains cas, les concours peuvent être extrêmement utiles et bénéfiques. Mais cela coûte cher et c’est parfois incompatible avec les délais de certaines collectivités », plaide Jean-Luc Vidon, à la tête de l’Aorif, l’antenne francilienne de l’USH. Parmi ces coûts, l’indemnisation des candidats perdants qui varierait « entre 30 000 à 50 000 euros par équipe ». Jean-Luc Vidon envisage plutôt un subtil équilibre entre conception-réalisation ( qui associe entrepreneurs et architectes dès la phase d’étude) et mise en concurrence des architectes par des appels d’offres. Mais il assure, « nous ne laissons pas tomber les architectes ». 

Jean-Luc Vidon

Jean-Luc Vidon, président de l’Aorif. © Jgp

Loi MOP, frein ou garde-fou ?

Si certaines mesures de la loi Elan interrogent encore Jean-Luc Vidon, celui-ci estime salutaire la simplification des normes de la loi MOP. « Dans un environnement de plus en plus concurrentiel sur l’acquisition foncière, la capacité de répondre à des appels à manifestation nécessite une certaine souplesse et réactivité. La loi MOP était très contraignante en terme de procédures et de délais ».

Du côté des architectes, c’est bien ce point de la loi Elan qui alimente le plus d’inquiétudes, et celles de la présidente du CROAIF pour qui la loi MOP « apporte un cadre contractuel qui, en plus de sécuriser l’argent public, assure un minimum de cadre pour les architectes dans le suivi de chantier synonyme d’une construction et d’un bâti pérenne, bien pensé, et de qualité ».

La grogne des architectes

Le 15 février 2018, soit une semaine après les conclusions de la conférence de consensus organisée par le Sénat, près de 300 architectes et urbanistes, dont Jean Nouvel, Roland Castro, Rudy Ricciotti ou Ariella Masboungi, signaient dans Le Monde une tribune pour rappeler que « se loger est un droit fondamental”. Face à la loi Elan, les signataires craignent des mesures productivistes avec une construction au rabais, qui engendrerait des coûts de rénovation grandissants pour les propriétaires et une perte de qualité architecturale. Entre les lignes, c’est aussi le spectre du retour des grands ensembles qui semble hanter les architectes. Avec cette prise de position collective, Christine Leconte a souhaité lancer « des alertes mais aussi des propositions pour donner plus de moyens aux objectifs déterminés par la loi Elan, c’était aussi une façon de dire de manière sociétale qu’il fallait continuer à assurer la qualité dans la construction du bâti ».

Christine Leconte, ordre des architectes d’Ile-de-France ©Jgp

Christine Leconte redoute également une dilution du métier par l’assouplissement de la loi MOP qui limiterait les compétences de l’architecte dans la construction de logements sociaux. « Nous devons veiller à ce que ce qui a été dessiné soit ce qui est  construit. Sinon, cela reviendrait à faire rédiger une recette à un cuisinier, sans qu’il n’ait le droit de préparer le plat par la suite ».

Pour l’architecte Francis Soler, instigateur de l’Initiative logement transmise au Sénat, la pilule a du mal à passer.. Lui qui espérait une tutelle de gouvernance constituée de 4 ministères pour rédiger la loi sur le logement, il peste : « on a laissé croire que seuls les entrepreneurs étaient capables de gérer la construction car ils maîtrisent l’économie ». « Face à l’urgence du logement, et la nécessité des économies, on risque de retrouver ces immeubles faits de béton, d’enduit et de fenêtres en PVC, un retour aux années Sarcelles ! », ajoute-t-il.

Les bailleurs sociaux y gagnent-ils vraiment ?

Rare voix à s’être publiquement exprimée en faveur des concours d’architecture, Michèle Attar, directrice générale de la SA HLM « Toit&Joie » (Poste Habitat) a vivement plaidé pour les concours d’architecture. Celle qui promet de continuer à recourir à ce mode de sélection assure « que la bonne architecture ne coute pas plus cher que la mauvaise et que la réflexion amont est un facteur de qualité et de progrès. ».

« Il ne faut pas croire que le fait de supprimer les concours ou de déroger à la loi MOP créera un choc de l’offre », lance franchement Michèle Attar qui tient à souligner que « c’est la suppression d’un certain nombre de nos moyens qui sont à pointer, nous sommes littéralement ponctionnés par la réduction de loyer de solidarité (RLS). C’est bien cela qui réduit notre production ».

Un constat partagé par Jean-Luc Vidon: « c’est une chose de nous donner des outils, c’en est une autre de disposer de moyens. Et c’est là que le bât blesse, entre la baisse des APL, l’augmentation de nos charges, et les compensations de la Caisse des dépôts dont les conditions ne sont pas totalement définies ».

La dimension francilienne

En quoi les mesures qui sortiront de la loi Elan seront plus prégnantes en région francilienne ? « Sur la construction de logement social, voire très social, la région est extrêmement tendue (…) s’il y a bien un lieu où il faut marquer l’effort, c’est l’Ile-de-France », prévient Jean-Luc Vidon qui rappelle « la centaine de quartiers aujourd’hui concernés par la rénovation urbaine ». Alors que l’on réhabilite l’héritage urbain des années 60 et 70, Christine Leconte appelle à « ne pas reproduire les erreurs du passé ». A l’échelle francilienne, elle appréhende davantage les mesures de la loi Elan: « On voit déjà des salariés contraints à vivre dans de petits appartements parisiens, sinon à déménager en petite ou en grande couronne. L’achat souvent plus abordable dans ces zones ne doit pas se faire au détriment de la qualité de construction ».

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