Ile-de-France

Elisabeth Borne vue par Pascal Auzannet

« Elisabeth Borne, nommée ministre déléguée des transports après l’élection présidentielle de 2017, sera très impliquée pour préparer les arbitrages du Premier ministre. Contrairement à ses prédécesseurs, totalement absents du dossier », écrit Pascal Auzannet en introduction du portrait qu’il a consacré à Elisabeth Borne dans son ouvrage « Les Secrets du Grand Paris ».

« Ses premiers pas sur le dossier ne seront pas simples car dans la dérive globale des coûts, il y a celle de la ligne 14 au sud qui doit relier Paris à l’aéroport d’Orly et dont la maîtrise d’ouvrage est confiée à la RATP. Entreprise dont elle était présidente quand la dérive de 31 % a été constatée. D’ailleurs, les présidents des sept conseils départementaux d’Ile-de-France – hors Paris – ne manquèrent pas de dénoncer dans un communiqué : “La RATP creuse le déficit de la SGP.” Et de rajouter : “Elisabeth Borne aujourd’hui ministre des Transports, demande aux départements franciliens de payer la note pour sa gestion”. Il en fallait, sans doute davantage, pour la déstabiliser. Cela ne l’empêcha pas non plus d’être active pour le limogeage de Philippe Yvin.

Dans la cour de l’Elysée, mardi 7 juillet 2020, pour le 1er conseil des ministres du gouvernement Castex. © Jgp

Elisabeth Borne. © Jgp

Elisabeth Borne, alors présidente de la RATP. © Jgp

Je la connais bien. Notre première rencontre remonte à juillet 1997, c’est à dire après la victoire de la gauche aux législatives suite à la dissolution ratée du Président Chirac. Elle était responsable du pôle transport auprès de Lionel Jospin, son mentor, et moi conseiller au cabinet du ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot. Nous sommes les rares à être restés en cabinet ministériel pendant toute la législature. Soit cinq ans. Ce qui est un critère de bonne santé… Pendant toute cette période, nos contacts étaient réguliers et nombreux. C’est à dire plusieurs fois par semaine : réunions interministérielles, préparatoires. Et beaucoup d’échanges téléphoniques. Après “le coup de tonnerre” du 21 avril 2002 et l’élimination de Lionel Jospin du deuxième tour de la présidentielle, nous sommes toujours restés en contact.

Dès l’annonce du départ de Pierre Mongin de la RATP, je lui envoie un SMS pour l’inviter à être candidate, connaissant son intérêt pour le poste. Quelques minutes après, elle me téléphone : “J’ai le soutien du président de la République, du Premier ministre et de la ministre de l’Environnement.” Cela doit suffire… Et très vite je vais la voir au ministère où elle était pour quelques jours encore, directrice de cabinet de Ségolène Royal, pour parler de la RATP et préparer ses auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Une bonne connaissance de l’Ile-de-France

Elle a une bonne connaissance de l’Ile-de-France, ayant occupé plusieurs postes en rapport avec les transports dans la région Capitale. Notamment, comme jeune ingénieure, à la Direction régionale de l’équipement d’Ile-de-France où elle sera corédactrice du livre blanc (janvier 1990), document préalable à la révision du schéma directeur de 1994. Ce document de référence préconise la réalisation d’une “grande rocade de transport en commun”. Prémices de ce que l’on appellera plus tard, Orbital, Métrophérique, Arc express et qui constitue aujourd’hui le cœur du Grand Paris avec la ligne 15.

Au cabinet de Lionel Jospin, nous travaillerons ensemble sur la définition du contrat de plan Etat-Région (2000-2007). Mais l’orientation principale était plutôt axée sur le tramway et ce qu’il apportait en termes de requalification urbaine, plutôt que les développements en métro. Elle sera impliquée sur tous les dossiers transport qui nécessitaient une validation de Matignon. Et bien sûr, son passage à la présidence de la RATP lui a permis d’actualiser ses connaissances du système francilien.

Comme il se doit après sa nomination au gouvernement, la presse a souhaité mieux la connaître et de nombreux portraits ont été réalisés. Pas toujours flatteurs. Ce n’est pas une grande oratrice même si, après une période d’apprentissage, elle se débrouille très bien dans ses interviews sur les plateaux radios et télévision. Inutile d’attendre de sa part une envolée lyrique ou une petite phrase qui va faire le buzz. Toujours, elle privilégie le fond. C’est incontestablement une femme de dossier. Elle ne laisse rien au hasard et veut tout comprendre. Une très belle mécanique intellectuelle. Elle pense vite et travaille beaucoup. Donc difficile de la suivre pour ses proches collaborateurs. Pas de place pour les lambins… Ce n’est pas une “pure techno” de la société civile comme on peut l’entendre régulièrement. Elle connaît parfaitement les codes politiques. Mais elle ne parvient pas à être un acteur politique. Pour transformer l’essai. Pourtant, pour avoir travaillé pendant plusieurs années auprès de Jack Lang et de Lionel Jospin, elle a été à bonne école.

En quittant le poste de présidente de la RATP pour devenir ministre, elle a aussi accepté une réduction de sa rémunération pour servir l’Etat. Elle a un vrai sens de l’éthique et de l’intérêt général. Très élevé. En réalité, elle est bien meilleure dans la résolution des équations que dans l’alchimie des relations humaines.

Pascal Auzannet.© Jgp

Elle sera très active sur le Grand Paris, demandant beaucoup  d’expertises complémentaires. Mais pas toujours écoutée. Les lignes 17 et 18 sont dans son collimateur, compte tenu des niveaux de trafic beaucoup plus faibles que les autres tronçons du Grand Paris express. Et souhaite plutôt privilégier pour ces dessertes des modes de transport plus légers de type tramway. Et le fera savoir au Premier ministre. Sauf qu’un tel revirement est inacceptable pour Valérie Pécresse qui reste très vigilante et en contact direct avec Edouard Philippe. Saclay est situé sur “son” territoire où elle a une base politique forte. Et la ligne 17, en desservant notamment le Triangle de Gonesse, constitue une ouverture vers le Val d’Oise, département dont la présidente de Région a besoin dans les équilibres politiques avec les autres départements. Notamment le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis et Paris situés à gauche. Ayant mal anticipé le poids de Valérie Pécresse et son influence auprès du Premier ministre, Elisabeth Borne perdra les arbitrages sur ces points. Elle sera trop technique avec des fiches de prévision de trafics et pas assez politique en créant des alliances avec les territoires. Pour créer des rapports de force. Un haut fonctionnaire m’expliquera que souvent “elle a dû manger son chapeau”.

Elle ne perdra pas tous les arbitrages. Elle saura en gagner d’autres. Notamment l’abandon du projet Europacity. Et depuis, elle est très attentive à ne pas heurter Valérie Pécresse. La ministre a compris la leçon. Elle participera à toutes les discussions, mais les décisions structurantes seront prises par le Premier ministre, très impliqué personnellement. Une nouvelle fois, le portage politique du Grand Paris se situe au plus haut niveau de l’Etat. Donc à l’Elysée et à Matignon. »

Les Secrets du Grand Paris – Gouvernance, révolution numérique et mobilités, de Pascal Auzannet – 2020, 236 p. édition revue et augmentée, préface de Maurice Leroy, éd. Hermann


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Author: Jacques Paquier