Sciences

« Le Visiteur du futur », ou comment désinformer sur le nucléaire

Certains diront que c’est une fiction ou une pochade, ou les deux. Sans doute. Mais une fiction ou une pochade, ou les deux, peuvent-elles justifier qu’on torde la réalité au point de désinformer, potentiellement, un très large public ? Le Visiteur du futur, du Français François Descraques, joue avec la vérité à propos de l’énergie nucléaire. Et le public, plutôt jeune (le film est tiré d’une série à succès d’abord diffusée sur le Web), ne s’en rend sans doute pas compte.

L’un des premiers plans met la puce à l’oreille. C’est la panique en France, de nos jours : une centrale nucléaire explose. Plus exactement, les tours aéroréfrigérantes explosent dans un fracas invraisemblable, avec plein d’éclairs, de fumée, de gravats qui volent partout. Certes, ces immenses tours de béton d’où sort souvent un panache de fumée sont caractéristiques des centrales nucléaires ; les utiliser à l’écran est un procédé classique pour figurer un réacteur, bien que les centrales thermiques (gaz et charbon) en soient aussi parfois pourvues. Mais les tours aéroréfrigérantes ne peuvent pas exploser de l’intérieur, comme c’est le cas ici. Elles sont constituées de béton, de tuyau de ferraille et… d’eau, puisqu’elles servent à refroidir le circuit d’eau. C’est à peu près tout, et ça n’explose pas.

À LIRE AUSSICes menaces que le nucléaire a fait peser sur le monde

Nuage d’orage toxique

Cette bizarrerie pourrait être pardonnable. Après tout, elle ne modifie en rien la perception qu’on peut avoir de l’atome. La suite du film, en revanche, est critiquable. Nous sommes en 2555, plus de cinq cents ans, donc, après l’explosion de la centrale évoquée plus haut. Le nuage radioactif dégagé après l’accident fait le tour de la Terre et, pile tous les soixante-dix ans, ravage tout sur son passage. La masse noire et pétaradante, sorte de nuage d’orage toxique, détruit les immeubles, casse en deux la tour Eiffel, met en charpie les voitures et, surtout, foudroie les humains dès qu’ils la touchent. Les pauvres explosent et disparaissent, comme avalés par le nuage.

Passons sur l’incongruité météorologique qui charrierait, avec régularité, cette masse meurtrière autour du globe. L’important est surtout dans le message : dans le film, un nuage toxique détruit tout et tue ceux qui l’approchent. On imagine la réaction des jeunes spectateurs à la vue des effets meurtriers du nuage ; même s’ils n’y croient pas, le doute peut s’installer dans leur esprit.

À LIRE AUSSIL’increvable mythe du « nuage de Tchernobyl »

Tsunami radioactif

Il ne s’agit évidemment pas de faire croire à l’innocuité des rejets après un accident sur un réacteur, mais d’en tempérer les effets. D’abord, une fuite radioactive n’est pas une bombe nucléaire comme celles qui ont ravagé Hiroshima et Nagasaki ; c’est un rejet impalpable de matières toxiques. Son impact est géographiquement limité. Dans un rapport publié en 2016, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire concluait que, cinq jours après l’accident de Tchernobyl, des « éléments radioactifs sont détectés en Amérique du Nord et au Japon », mais « avec des concentrations extrêmement faibles ». En France, les pluies ont déposé dans les sols certains rejets de césium à des concentrations élevées, notamment en Corse, mais en 2016 ils étaient sans effet sur la santé. L’Institut notait ainsi qu’une sieste dans un endroit où les concentrations avaient été majeures équivalait à un vol ParisMarseille en avion, du fait des rayonnements cosmiques. Trente ans avaient donc passé depuis l’explosion du réacteur ukrainien. Comment imaginer, même au cinéma, qu’un nuage radioactif ravage tout sur Terre pendant plus de cinq cents ans, comme un tsunami radioactif ?

Non ! Mon film n’est pas un tract antinucléaire.

Le film s’achève bien. Le député qui avait signé pour la construction d’une centrale au rabais change d’avis après l’intervention du fameux visiteur du futur. Informé des catastrophes dues à l’explosion d’une centrale – l’extinction de l’humanité, rien de moins –, le député (Arnaud Ducret) préfère s’engager pour… des énergies renouvelables. Là encore, le message est contestable : les énergies renouvelables, intermittentes, nécessitent du gaz, voire du charbon, pour fonctionner (en tout cas en 2022), ce qui dégage bien plus de CO2 que l’atome, et la plupart des experts jugent improductive l’opposition de l’énergie nucléaire avec l’éolien ou le solaire. Même les organismes comme l’Agence internationale de l’énergie soutiennent le développement des centrales nucléaires pour atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre, parallèlement aux énergies renouvelables.

À LIRE AUSSIFOG – Mais qui a cassé le nucléaire français ?

Interrogé par Le Point début septembre, le réalisateur François Descraques se défend d’être un opposant de l’atome. « Non ! Mon film n’est pas un tract antinucléaire, je tiens à rassurer les lecteurs du Point : ce n’est pas un film de bobo gauchiste, on nuance le propos et les personnages, même celui que joue Arnaud [Ducret, NDLR]. Le nucléaire n’est pas ma hantise et c’est même pour moi, à court terme, la meilleure solution de production d’énergie. Je voulais surtout traiter du sujet du film sous l’angle du conflit générationnel et de la notion de court terme/long terme. Comment les générations du futur doivent supporter les conséquences de problèmes qui n’ont reçu que des solutions de court terme de la part de leurs aînés. »

« Liberté d’expression »

Le nucléaire n’est pourtant pas seulement une solution de court terme : plusieurs pays, dont la France, s’engagent dans des programmes de réacteurs conçus pour fournir de l’électricité pendant au moins un demi-siècle, et des projets de recherche (transmutation des déchets nucléaires, fusion, etc.) sont prometteurs. Reste, sans doute, le problème des déchets, qui semble avoir trouvé une solution de long terme en France avec l’enfouissement en zones argileuses et profondes.

Le Visiteur du futur recèle d’autres curiosités. Pour les dénicher, il faut regarder la liste des partenaires financiers du long-métrage. Et là, qui trouve-t-on ? La région Grand Est, entre autres. Or, dans cette région se trouvent au moins deux sites liés à l’industrie de l’atome, défendus par le président de la collectivité, Jean Rottner : le centre de stockage souterrain de Bure, et la centrale de Fessenheim, arrêtée en 2020 malgré l’opposition du président de région. « Le principe de notre soutien est celui de la liberté d’expression, on ne juge pas du message qu’un film transmet », explique une porte-parole du Grand Est. Jean Rottner, ardent défenseur de Fessenheim lorsqu’il était maire de Mulhouse, est-il heureux de financer un film qui descend en flamme l’atome ?

À LIRE AUSSI« Cette crise aurait dû être le moment de gloire du nucléaire français ! »


Continuer à lire sur le site d’origine