Sciences

« La vraie découverte, c’est de voir l’intérieur des premières galaxies »

Jeudi 17 novembre, la Nasa a levé un coin de voile sur les premières galaxies de l’univers en annonçant la découverte, par le télescope spatial James-Webb (JWST), de deux spécimens observés approximativement 450 et 350 millions d’années seulement après le Big Bang, dans les régions extérieures du superamas de galaxies Abell 2744, visible dans la constellation du Sculpteur. Celle vue 350 millions d’années après le Big Bang est à ce jour la plus jeune jamais détectée, le précédent record étant de 400 millions d’années. L’astrophysicien français Nicolas Laporte, chercheur à l’université de Cambridge au Royaume-Uni, spécialiste de la question, a répondu aux interrogations du Point.

Le Point : Cinquante millions d’années, est-ce un grand bond en avant pour l’astronomie ?

Nicolas Laporte : Clairement, non. On reste à peu près dans le même type de galaxie. Ce qui est vraiment intéressant dans cette découverte, c’est la résolution avec laquelle il est possible de regarder ces premières galaxies ! Hubble ne les voyait que sous forme de taches. Là, avec le télescope James-Webb, parce qu’il a une très, très grande résolution, on est capable de voir quasiment à l’intérieur. Je ne vais pas dire que l’on observe les étoiles en train de se former, mais on est capable de voir que ces toutes premières galaxies, ce sont de nombreuses petites régions avec plein d’étoiles qui sont en train de fusionner. Et c’est ça, la grande découverte !

Il faut aussi savoir que l’on parle ici de résultats scientifiques qui ont été soumis seulement quelques jours après la publication des toutes premières données du télescope. Même s’ils viennent seulement d’être acceptés. Autrement dit, c’était vraiment pour nous dire : voilà ce que l’on peut faire avec James-Webb. Alors, même si ce n’est pas un bond en avant énorme, on tient là de belles promesses.

Il me semble comprendre que ces galaxies sont étonnamment brillantes. Qu’est-ce que cela signifie ?

C’est vrai ! Si vous vous rappelez, nous avions échangé sur la toute première image de James-Webb et je vous avais dit que l’on voyait beaucoup de galaxies rouges. Or, quand une galaxie est rouge sur l’image d’un télescope, cela veut dire qu’elle est lointaine, ou alors qu’elle a beaucoup de poussière. En fait, ce dont on se rend compte, en analysant les données du James-Webb, c’est qu’il y a beaucoup plus de galaxies lointaines que ce qu’on s’attendait à voir, y compris des galaxies plus brillantes. Et les deux galaxies dont nous parlons sont effectivement un peu plus brillantes qu’attendu. Cela veut dire qu’elles ont beaucoup plus d’étoiles que ce que l’on pensait. C’est ça qui est intéressant.

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Le fait qu’elles possèdent plus d’étoiles, cela suggère-t-il qu’elles sont nées plus tôt que ce que l’on pensait ?

Moi, j’en suis convaincu. Maintenant, avec les données qu’ils ont eues, ils ne peuvent pas le dire. Ils n’ont pas suffisamment d’informations pour mesurer l’âge de la galaxie. Alors, il y a deux hypothèses pour avoir une galaxie aussi brillante. Soit on dit que c’est un sursaut de formation d’étoiles et que toutes les étoiles se sont formées en même temps. Ça, c’est une hypothèse dans laquelle la galaxie serait jeune. La seconde hypothèse, c’est de se dire que la galaxie a formé des étoiles à un taux à peu près constant pendant plusieurs millions d’années. Et ça, ça voudrait dire qu’on a une population vieille d’étoiles et que ces galaxies sont un peu plus âgées. Il va falloir qu’ils aient un peu plus de données, avec Webb, pour conclure et dire lequel des deux scénarios est le bon.

Ces deux galaxies ont été repérées dans une zone très restreinte du ciel. Est-ce étonnant qu’elles soient aussi rapprochées ? Est-ce que cela signifie que leur concentration est plus élevée que prévu, ou pas ?

Il y a quelque chose que l’on appelle la variance cosmique : c’est-à-dire que si vous regardez un endroit de l’univers, il n’est peut-être pas forcément exactement identique à un autre endroit de l’univers. Là, nous parlons des deux premiers champs de vue de James-Webb. Or le champ de vue de Webb, c’est vraiment tout petit ! Deux minutes d’arc par deux minutes d’arc, c’est comme si vous teniez une épingle à bout de bras tendue vers le ciel et, grosso modo, ce que va voir JWST, c’est le haut de la tête d’épingle. Tirer des conclusions sur uniquement deux petits champs de vue, c’est un peu compliqué. Il va falloir attendre à mon avis plusieurs mois que Webb fasse des observations sur une zone beaucoup plus grande pour que l’on puisse avoir des contraintes fortes sur la densité de ces galaxies-là.

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Finalement, ces galaxies sont-elles très différentes de celles que nous connaissons ?

Eh bien oui ! Parce qu’elles n’ont pas eu le temps de faire de bras par exemple. Les beaux bras spiraux qu’on observe dans la galaxie d’Andromède ou même dans la Voie Lactée ne devaient pas exister au début de l’univers. Là, avec Webb, on est en train de le voir. Ce que l’on observe, ce sont de toutes petites galaxies qui sont en train, petit à petit, de s’assembler. Ensuite, elles vont fusionner pour donner des galaxies un peu plus grandes. Mais, pour l’instant, il n’y a pas de bras, il n’y a pas de bar au milieu, etc. Ce sont des galaxies sans forme. Il faut compter peut-être un milliard d’années pour qu’elles commencent à abriter des structures un peu robustes.

En commençant cet entretien, vous me parliez de promesses. Le JWST tient-il pour l’instant les siennes ?

Ah ça oui ! Les images sont fabuleuses. La résolution avec laquelle on peut voir ces galaxies en train de se former, c’est vraiment incroyable. Et on ne parle là que des images mais, en spectroscopie, Webb peut nous montrer des éléments, des métaux que nous n’avions jamais vus avant dans les galaxies. On peut voir et mesurer précisément leur distance. Ça aussi, c’est assez incroyable. En attendant, avec le lancement d’Artémis qui a eu lieu il y a deux jours, James-Webb ne peut plus observer. Toute la bande passante de la Nasa est maintenant réservée à cette mission. Nous, nous avions un programme qui devait commencer aujourd’hui et, pas de chance, on nous a dit : vous allez attendre quinze jours ! Mais bon, on laisse bien volontiers notre place à la Lune… (Rires)


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