Sciences

Dans la fragile Camargue, la danse des flamants roses

Aux dernières lueurs d’un magnifique soleil d’hiver, en plein cœur du parc ornithologique du Pont-de-Gau, se déroule une scène étonnante : dans une joyeuse cacophonie, deux groupes d’une centaine de flamants roses chacun se rejoignent au milieu d’un étang. S’éclaboussant les uns les autres, ils se précipitent à grandes enjambées, comme répondant à un mystérieux appel. Un comportement qu’Antoine Arnaud, spécialiste de l’oiseau migrateur, n’avait jamais vu.

Ingénieur d’études à la Tour du Valat (institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes) depuis vingt ans, il est venu observer les flamants qui ont trouvé refuge dans cette réserve ornithologique de la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer. Environ 1 700 individus s’y sont déjà installés pour leur « hivernage », quand on en dénombre environ 20 000 sur toute la Camargue (35 000 dans toute la France).

Transe

Chaque année, dès la fin du mois de novembre, les grands oiseaux entament leurs parades nuptiales. « Aux premiers froids, mâles et femelles se regroupent pour séduire leurs futurs partenaires, explique le chercheur. La saison de la reproduction aura lieu en avril. » Alors que visiteurs et photographes les observent depuis les chemins balisés du parc, les géants roses disséminés dans les étangs ont des comportements très variés.

Quand certains sont au repos, tête enfouie sous les ailes, d’autres entrent en transe : marche quasi militaire en hochant la tête, un coup à gauche, un coup à droite. D’autres tapent du pied frénétiquement avant de déployer leurs ailes. Chaque geste est furtif. Puis c’est l’heure du faux salut, avec mime de grattage avec le bec et de recherche de nourriture. Enfin, on s’étire en criant. « Ils sont en démonstration, comme sur un dance floor », s’amuse l’ornithologue.

Très rapidement, les voilà désynchronisés, et la parade vire à la débandade. Si les nuances de rose de leur plumage peuvent avoir leur importance, la répétition de ces parades dans le temps et le choix de partenaire restent encore mystérieux. « On a établi un appariement par tranche d’âge, les plus jeunes avec les plus jeunes, et les plus vieux avec les plus vieux. Certains très âgés retrouvent une simplicité de mouvement qui va les pousser à s’accoupler avec des jeunes. »

AAH, un flamant de 45 ans

Ces découvertes ont été rendues possibles grâce au baguage des oiseaux entrepris par la Tour du Valat dans les années 1970, et développé partout dans le monde dans les zones migratoires. En cette journée d’observation, Antoine Arnaud a ainsi relevé l’identité de 64 flamants différents bagués en Camargue, en Italie (Sardaigne et delta du Po), et en Espagne (Andalousie et Catalogne). « Le plus vieux se nomme AAH, bagué par nos soins ici en 1977. Il fait partie des plus vieux flamants répertoriés dans notre base de données internationale. C’est un bon signe, car s’il se reproduit encore à l’âge de 45 ans, c’est la preuve d’une bonne santé et la garantie d’une longue espérance de vie. »

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Si la grande majorité des flamants de Méditerranée vient se reproduire en Camargue, c’est parce qu’ils y sont protégés depuis cette époque, et qu’ils sont très adaptables. Malgré la sécheresse de l’été dernier et la salinisation de l’eau, les oiseaux continuent à se nourrir convenablement d’invertébrés [artemia salina, zooplancton qui leur donnent leur couleur rose, NDLR], de graines, de petits poissons et de coquillages.

Mais l’écosystème reste fragile, et les menaces sont grandes. « La Camargue est une zone humide parmi l’une des plus riches au monde, explique Jean Jalbert, directeur général de l’institut de recherche de la Tour du Valat, qui publie, en pleine COP15 Biodiversité, une tribune pour leur protection.

Sur 85 000 ha, 420 espèces d’oiseaux sont répertoriées, ainsi que 2 000 espèces végétales. Cette biodiversité, déjà mise à mal par les pollutions agricoles et industrielles apportées par le Rhône, est au cœur des enjeux de lutte contre le changement climatique. « En absorbant l’eau en excès, en rechargeant les nappes phréatiques, et en les relarguant pendant les périodes de sécheresse, cette zone humide est un amortisseur climatique qui protège contre l’érosion, les inondations, les crues et les tempêtes », précise Jean Jalbert.

Le programme de conservation des flamants, comme celui des grues cendrées, a porté ses fruits. « Preuve que la protection des espèces porte ses fruits, et qu’une résilience est possible dans ces écosystèmes, à condition que l’ensemble des acteurs, agriculteurs, collectivités et État se remontent les manches ensemble. » Pour que les jeunes flamants puissent venir parader comme leurs aînés dans les décennies à venir. Et continuer à nous charmer.

* Pour aller plus loin, profiter de documentations inédites, de conseils ou pour faire un cadeau original, il est possible de consulter le programme de parrainage de la Tour du Valat « Adopte un flamant ». Il permet de financer l’achat de matériel pour des associations des pays du Sud, membre du réseau d’observation des flamants roses.


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