C’est un dossier maudit. De coups de théâtre en rebondissements, l’enquête sur le meurtre du petit Grégory Villemin, en 1984, confirme jour après jour le naufrage judiciaire qu’elle est depuis son origine.
Par un arrêt du 16 mai, dont Le Monde a pris connaissance, la chambre de l’instruction de Dijon a annulé les trois mises en examen prononcées depuis la réouverture du dossier : celles de Murielle Bolle, qui avait 15 ans à l’époque des faits, et des époux Jacqueline et Marcel Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory Villemin. Leurs contrôles judiciaires ont été levés, et toutes les pièces relatives à leurs mises en examen, en juin 2017, ont été annulées.
C’est sur un point de droit que les défenseurs de Murielle Bolle et des époux Jacob ont obtenu gain de cause, la chambre de l’instruction renonçant à se prononcer sur le fond. Cette décision n’en constitue pas moins un coup porté à l’accusation.
Régularité des mises en examen contestée
Le 1er décembre 2017, les avocats de Murielle Bolle, Christophe Ballorin et Jean-Paul Teissonnière, avaient saisi la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de plusieurs actes de la procédure, dont la mise en examen de leur cliente pour « enlèvement suivi de mort », le 29 juin 2017. Leur requête était motivée sur le fond comme sur la forme.
Les avocats contestaient notamment la régularité des mises en examen prononcées par la juge Claire Barbier. Alors présidente de la chambre de l’instruction, la magistrate avait été désignée en septembre 2011 pour instruire la réouverture de l’information judiciaire qui s’était close par un non-lieu en 2001.
Faisant valoir ses droits à la retraite, elle avait été remplacée en 2017 à la tête de la chambre de l’instruction par Dominique Brault, et n’avait plus pour seule mission que d’instruire l’affaire Grégory.
Pouvoirs outrepassés
Or, ont fait valoir les avocats de Murielle Bolle, si la magistrate avait reçu pouvoir pour ordonner des expertises et des compléments d’investigation, elle n’était pas habilitée à procéder seule à des mises en examen, une mission qui aurait dû revenir à la chambre de l’instruction collégialement. La magistrate a donc à leurs yeux outrepassé ses pouvoirs pour s’arroger ceux d’un juge d’instruction.
La chambre de l’instruction, présidée depuis 2017 par Dominique Brault, le successeur de Mme Barbier, leur a donné raison : dans son arrêt, elle rappelle que la chambre de l’instruction « doit être en mesure d’apprécier les charges ou indices graves ou concordants » avant qu’un magistrat délégué puisse « envisager la mise en examen ». Or Murielle Bolle a été mise en examen par Mme Barbier « sans que la chambre de l’instruction n’ait été préalablement saisie », « en violation des articles 201, 204 et 205 du code de procédure pénale. »
La chambre de l’instruction a par ailleurs cancellé (partiellement annulé) tous les actes de procédure portant mention de la mise en examen de Murielle Bolle, et annulé la sa confrontation avec son cousin le 28 juillet 2017, ainsi qu’une expertise psychologique.
Les époux Jacob, qui avaient également déposé une requête en nullité le 8 janvier, ont bénéficié de ce même raisonnement et vu leurs mises en examen annulées, ainsi que leurs interrogatoires et expertises psychologiques.
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« Une grande victoire »
« C’est une grande victoire de la défense de Murielle Bolle, qui va pouvoir reprendre une vie normale », a réagi Me Ballorin, qui veut y voir la preuve que sa cliente est « innocente ». Une interprétation contestée par le procureur général de Dijon, Jean-Jacques Bosc, qui avait requis le rejet de cette requête en nullité. Dans un communiqué, il souligne que cette annulation « porte sur des points de procédures et non pas sur des éléments touchant au fond du dossier », et précise qu’il avisera « sur les éventuelles suites procédurales » à y donner.
Les avocats des parents du petit Grégory, Thierry Moser, François Saint-Pierre et Marie-Christine Chastant-Morand, soulignent eux aussi que « le bien-fondé de ces mises en examen n’a en rien été remis en cause par cet arrêt de la cour d’appel de Dijon ». Ils demandent donc par communiqué « que la procédure reprenne maintenant son cours sur de bonnes bases » et que « la chambre de l’instruction convoque à nouveau Murielle Bolle et les époux Jacob pour leur notifier à nouveau leur mise en examen, en bonne et due forme ».
Si la juge Barbier sort fragilisée de cet épisode, rien n’empêche en effet la chambre de l’instruction à remettre en examen Murielle Bolle et les époux Jacob. De nombreuses pièces ayant été annulées, une telle décision impliquerait cependant de reprendre une partie de l’instruction au mois de juin 2017, date des mises en examen annulées, renforçant l’impression d’éternel recommencement qui hante ce dossier depuis meintenant 33 ans.
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