Scandale du chlordécone aux Antilles : « l’Etat a fait en sorte d’en dire le moins possible »

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Vous retrouverez bientôt un compte-rendu de cette discussion.

Faustine Vincent : Le chlordécone était commercialisé par l’entreprise Laguarigue, en Martinique. Le nom de son ancien directeur général est très connu aux Antilles. Il s’agit d’Yves Hayot, l’aîné d’une puissante famille béké (du nom des Blancs créoles, descendants des colons). Son frère est Bernard Hayot, l’une des plus grosses fortunes de France (300 millions d’euros), et patron du Groupe Bernard Hayot, spécialisé dans la grande distribution. 

Des associations et la Confédération paysanne ont déposé une plainte contre X en 2006 pour « mise en danger d’autrui et administration de substances nuisibles ». Le Monde a pu consulter le procès-verbal de synthèse qu’ont rendu en 2016 les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Le document révèle que l’entreprise Laguarigue a reconstitué un stock gigantesque de chlordécone – 1 560 tonnes – alors que le produit n’était déjà plus homologué. Or, « au moins un service de l’Etat a été informé de cette ‘importation’ », puisque ces 1 560 tonnes « ont bien été dédouanées à leur arrivée aux Antilles » en 1990 et 1991, précisent les enquêteurs.

La responsabilité de la société Laguarigue et de l’Etat se pose.

Mais Yves Hayot ne sera pas inquiété par la justice : il est mort en mars 2017.

Stéphane Foucart : Il existe des parallèles intéressants : en 1979, le chlordécone avait déjà été interdit depuis trois ans aux Etats-Unis, mais le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ne le classait que “cancérogène possible”, estimant n’avoir pas assez de preuves pour le classer “cancérogène probable” ou “cancérogène avéré”. Aujourd’hui, le CIRC classe le glyphosate “cancérogène probable”, mais les agences de sécurité sanitaire étant en désaccord avec cette opinion, les Etats ne l’interdisent pas. Une grande différence entre les deux substances est leur persistance : le chlordécone est bien plus persistant que le glyphosate et, surtout, il s’accumule dans les organismes, ce qui n’est pas le cas du glyphosate. Attention cependant : de nouveaux travaux sur l’animal sont en cours à l’Institut Ramazzini et suggèrent, de manière inattendue, que le glyphosate pourrait avoir de telles propriétés de bioaccumulation.  

Stéphane Foucart : Un décalage dans le temps, sans être fréquent, peut se produire lorsque des agences de sécurité sanitaire parviennent à des conclusions divergentes sur les dangers que représentent un produit et/ou les risques — acceptables ou non — qu’il représente pour la population. En règle générale, un produit interdit dans un espace économique important (comme l’Union européenne ou les Etats-Unis) finit assez rapidement par être interdit ailleurs. Un décalage dans le temps de 16 ans (le chlordécone a cessé d’être utilisé légalement aux Antilles en 1993) est un délai très long. Cela dit, l’atrazine (un herbicide commercialisé par Syngenta) a été interdit en Europe au début des années 2003 et est toujours utilisé outre Atlantique.

De l’eau contaminée en Guadeloupe

Depuis la découverte de la contamination des eaux de consommation, au tout début des années 2000, des sources ont été fermées, et les autres traitées. Des traces de chlordécone ont pourtant été retrouvées en avril dans une source en Guadeloupe. Une fois encore, la population n’a pas été avertie aussitôt.

Si vous n’avez jamais entendu parler de chlordécone, voici quelques éléments d’explication :

Vous pouvez retrouver notre enquête ici :

La Guadeloupe et la Martinique sont contaminées pour des siècles par un pesticide ultra-toxique, le chlordécone, utilisé massivement dans les bananeraies de 1972 à 1993.

La quasi-totalité des Antillais sont eux aussi contaminés, comme le révèle une étude de Santé publique France, dont les résultats seront présentés à la population en octobre prochain.

Pourquoi sont-ils exposés aujourd’hui encore au pesticide ? Que risquent-ils ? Quand a surgi le scandale ? Comment l’Etat gère-t-il ce dossier ? Comment réagissent les Antillais ?

Posez vos questions à Faustine Vincent et Stéphane Foucart, journalistes au Monde. Ils vous répondent à partir de 15h.


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