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Coupe du monde 2018 : pourquoi deux aigles mimés par des Suisses ont relancé les tensions sur le Kosovo

La Fifa a ouvert, samedi, une procédure disciplinaire contre Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, deux joueurs suisses, après des célébrations de but à connotation politique contre la Serbie.

Le mythe de la neutralité de la Suisse sur le terrain diplomatique en prend un sacré coup. Deux joueurs de la sélection helvétique ont déclenché la fureur de la Serbie, vendredi 22 juin, lors de la Coupe du monde en Russie, en fêtant leurs buts d’une manière jugée provocatrice à l’égard des Serbes. La Fifa, allergique à toute intrusion de la politique sur les terrains, s’est emparée du dossier, samedi, et pourrait infliger des matchs de suspension aux deux buteurs. Voici comment la polémique est née.

1Xhaka et Shaqiri miment des aigles 

Lors de la rencontre Serbie-Suisse, à Kaliningrad, tout commence bien pour les Serbes, qui ouvrent le score dès la 5e minute de jeu. Puis patatras ! Tout s’effondre en seconde mi-temps : Granit Xhaka égalise à la 52e et Xherdan Shaqiri offre la victoire à la « Nati » à la 90e. Défaite sportive et claque politique pour la Serbie : les deux buteurs suisses ont célébré leur réalisation en mimant un aigle, ce qui est loin d’être anodin face à un tel adversaire. 

Granit Xhaka fête son but face à la Serbie en mimant un aigle, le 22 juin 2018, à Kaliningrad (Russie).Granit Xhaka fête son but face à la Serbie en mimant un aigle, le 22 juin 2018, à Kaliningrad (Russie). (GONZALO FUENTES / REUTERS)

Par ce geste, Granit Xhaka, né en Suisse de famille kosovare, et Xherdan Shaqiri, né au Kosovo, ont représenté l’aigle bicéphale qui orne le drapeau de l’Albanie. Une célébration qui peut être perçue comme une forme de défiance envers la Serbie et de soutien au Kosovo, une ancienne province serbe majoritairement albanaise.

Le drapeau de l\'Albanie.Le drapeau de l’Albanie. (HUBER & STARKE / IMAGE SOURCE / AFP)

« Ce geste était pour tous ceux qui m’ont soutenu, il n’était pas dirigé contre nos adversaires », a assuré Granit Xhaka, qui s’est réjoui d’« une victoire pour [sa] famille, pour la Suisse, l’Albanie, le Kosovo ». De son côté, Xherdan Shaqiri a affirmé que « cela n’avait rien à voir avec la politique ».

2 Des « provocations » mal perçues en Serbie

Interrogé sur les célébrations de la Suisse, le président serbe, Aleksandar Vucic, a estimé que cela « en [disait] long sur notre grandeur et la leur ». Le journal serbe Blic a, lui, dénoncé une « provocation honteuse », estimant que les buteurs helvètes avaient « célébré leur succès avec le signe de l’aigle noir effectué par ceux qui croient en la prétendue idée d’une ‘Grande Albanie' ». La « Grande Albanie » fait référence à une doctrine nationaliste visant à regrouper au sein d’un même pays tous les Albanais des Balkans.

Les médias, évoquant des « gesticulations albanaises », ont aussi remarqué la présence des drapeaux suisse et surtout kosovar sur les crampons de Xherdan Shaqiri. Selon la RTS, la Fédération serbe s’en était émue avant le match, en vain.

Xherdan Shaqiri arbore un drapeau kosovar sur le talon de sa chaussure droite, le 22 juin 2018, face à la Serbie, à Kaliningrad (Russie).Xherdan Shaqiri arbore un drapeau kosovar sur le talon de sa chaussure droite, le 22 juin 2018, face à la Serbie, à Kaliningrad (Russie). (ELENA RUSKO / SPUTNIK / REUTERS)

3Le Kosovo se dit « fier » des buteurs suisses

Du côté du Kosovo, la presse a salué une « prestation extraordinaire » de la part de Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri et raillé « l’hystérie » déclenchée par les gestes des deux buteurs. Le président de cet Etat reconnu par une partie de la communauté internationale, dont la France (mais pas la Serbie), y est même allé d’un petit tweet. Hashim Thaci a félicité les deux buteurs et toute l’équipe suisse pour leur « victoire bien méritée. Fier de vous ! Le Kosovo vous aime ! »

La victoire suisse a été fêtée « comme une victoire du Kosovo » à Pristina, la capitale, où des voitures ont klaxonné dans les rues, selon une journaliste néerlandaise sur place.

4La Suisse veut éviter « une affaire d’Etat »

« On ne devrait pas mélanger la politique et le football, a déploré le sélectionneur suisse, Vladimir Petkovic, natif de Sarajevo (Bosnie-Herzégovine). Il est bien clair que les émotions ressortent, et c’est ce qui s’est produit. » Dans la foulée, la Fédération suisse a tenté de minimiser ces gestes, assurant que les célébrations avaient été « spontanées » et appellant à ne « pas en faire une affaire d’Etat ».

Pour éviter tout spéculation : il n’y a pas de message politique derrière, c’était une façon d’exprimer leur joie, mais sans vouloir naturellement offenser.Claudio Sulserdélégué aux équipes nationales de la Fédération suisse

« Je pense que les intéressés vont en tirer leurs conclusions, et apprendre, et se dire que, peut-être, la prochaine fois, c’est mieux de ne pas le faire », a ajouté ce responsable de la délégation suisse, disant ne pas redouter de sanction de la Fifa.

5La Fifa diligente une enquête

La Fifa, qui interdit les messages politiques dans les stades, a ouvert, samedi, une procédure disciplinaire concernant Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri « en raison de leur célébration de but » lors du match face à la Serbie. Selon la BBC (en anglais), les deux joueurs seront suspendus pour deux matchs s’ils sont reconnus coupables de provocation.

L’instance de gouvernance du foot mondial a ajouté qu’elle allait également enquêter sur les propos du sélectionneur serbe, qui a critiqué l’arbitre de la rencontre. Le technicien a dit vouloir « envoyer » l’Allemand Felix Brych « à La Haye », aux Pays-Bas, siège de l’ex-Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, où « seuls les Serbes sont condamnés à une justice sélective ».


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