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Football : la France est aussi championne de la formation des joueurs

Kylian Mbappé, second plus jeune buteur en finale de la Coupe du monde derrière Pelé, symbolise la montée en puissance d’une génération française talentueuse.

Avec 52 représentants natifs de France et présents en Russie, jamais une Coupe du monde n’aura compté autant de participants nés et formés sur le sol français. L’équivalent de plus de deux sélections complètes. C’est ce que montrent les travaux du sociologue Darko Dukic, qui a compilé une base de données de 3 840 joueurs ayant participé à la Coupe du monde depuis 2002.

L’influence hexagonale ne se dément pas d’année en année, puisque le nombre de joueurs nés en France et participant à la Coupe du monde n’a cessé de croître depuis seize ans.

Sur les 52 joueurs nés en France et ayant été sélectionnés pour l’édition russe de la Coupe du monde, moins de la moitié joue pour l’équipe de France. Vingt-neuf d’entre eux jouent pour des sélections étrangères (neuf pour la Tunisie, huit pour le Maroc, huit pour le Sénégal, trois pour le Portugal, un pour l’Argentine). Un nombre qui a constamment crû depuis qu’une réforme de la Fédération internationale de football (FIFA) en 2003 a assoupli les règles de la participation aux sélections nationales pour les joueurs binationaux.

Ceux-ci peuvent désormais jouer autant de matchs amicaux qu’ils le souhaitent avec les sélections de leurs deux nationalités (un match officiel disputé avec l’une fermant toujours la porte à l’autre). Avec 2,2 millions d’immigrés accueillis entre 1946 et 1990 pour les besoins démographiques d’un pays alors en ruine, la France est particulièrement concernée et possède un vivier particulièrement important de talents binationaux, dont une partie fait le choix de jouer pour d’autres sélections.

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Exportatrice de joueurs

Au total, la France est le pays qui a fourni le plus de joueurs de Coupe du monde au XXIe siècle, avec 216 participants nés sur son sol, bien loin devant le Brésil et ses 148 joueurs, pourtant perçu comme le plus grand exportateur de talents. Bien loin, aussi, devant les quadruples champions du monde allemands et italiens, également.

Cette situation est soulignée par plusieurs travaux, dont ceux du site Sporting Intelligence, qui a analysé en 2012 le nombre de joueurs formés par chaque club et présents au meilleur niveau européen, en étudiant le parcours de 2 286 joueurs dans les 98 clubs des cinq plus grands championnats européens. Au total, la France a les meilleurs résultats avec treize clubs parmi les 42 qui forment le plus de joueurs, contre 8 pour l’Espagne, 7 pour l’Allemagne, 6 pour l’Angleterre et 5 pour l’Italie. L’étude sur les footballeurs expatriés, publiée par l’observatoire du football CIES en mai 2018, ne dit pas autre chose, puisque la France est à la deuxième place du classement des pays comptant le plus de footballeurs jouant dans d’autres pays, avec 821 joueurs formés sur son sol et pratiquant leur métier en dehors de ses frontières.

Les banlieues parisiennes, une mine de talents

Sur les cinq dernières éditions de la Coupe du monde, la métropole de Paris a fourni à elle seule 60 joueurs au plus haut niveau. Un nombre inégalé par les autres grandes métropoles footballistiques de la planète, qui fait de Paris la plus grande pourvoyeuse de joueurs internationaux de ces dernières années, encore une fois devant Sao Paulo, au Brésil, ou Buenos Aires, en Argentine.

Rien que sur cette édition 2018, quinze joueurs sont nés dans la capitale française. Six d’entre eux jouent en équipe de France, dont Kylian Mbappé, originaire de Bondy (Seine-Saint-Denis) ou encore Paul Pogba, natif de Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne). Rien d’étonnant donc, à ce que Paris soit également la métropole dont les joueurs qui en sont issus valent le plus cher sur le marché des transferts.

Une formation spécifique et méthodique

Si la belle victoire de cette génération dorée des Bleus prouve que la France et ses banlieues ne manquent certainement pas de talents, elle ne doit rien non plus au hasard, mais plutôt à la façon dont les jeunes joueurs sont détectés et formés dans l’Hexagone, une méthode dont l’efficacité est reconnue partout dans le monde.

Au départ, même si le football a été reconnu en France comme une activité professionnelle dès 1932, la formation des joueurs professionnels se fait majoritairement et, jusqu’en 1973, dans les clubs amateurs. Cette année voit la mise en place de la charte du football professionnel, un texte qui pose les bases du développement d’une formation spécifique et méthodique, et qui va complètement changer la façon dont les jeunes joueurs accèdent au métier de footballeur professionnel, en imposant aux clubs pros de se doter de centres de formation. En neuf ans, 24 sont créés partout en France.

Aujourd’hui, 36 centres de formations sont agréés par le ministère des sports et accueillent un peu moins de 2 000 jeunes âgés de 15 à 20 ans, venus y signer un premier contrat : soit un contrat d’apprentissage de deux ans, avec une formation en CFA, soit un contrat aspirant, d’une durée de trois ans. Les deux leur donnent droit à une rémunération. Suite à quoi, les meilleurs se verront proposer des contrats professionnels entre 18 et 20 ans.

En complément, la Fédération française de football (FFF) a ouvert depuis la fin des années 1980 des centres fédéraux de préformation qui préparent de jeunes joueurs (13-14 ans) à l’entrée dans les centres de formation. En 1974, l’Institut national du football installé à Vichy fut le premier. Il déménage en 1988 au sud de Paris, sur le site actuel – et désormais célèbre – de Clairefontaine. Aujourd’hui, 22 de ces « pôles espoirs interrégionaux » (15 masculins, 7 féminins) prennent en charge chaque année plus de 500 jeunes joueurs et joueuses. La moitié intégrera ensuite un centre de formation.

« Coût économique et humain »

Mais ce système de formation, bien qu’il soit jugé performant pour détecter les talents, se caractérise également par la rareté des débouchés qu’il offre. Le taux de réussite y est en effet assez faible par rapport à l’investissement mental et physique important qu’il demande aux adolescents qui souhaitent devenir joueurs professionnels. Environ 50 % des joueurs passant deux ans dans un « pôle espoirs » échouent à entrer dans un centre de formation, au bout duquel seuls 20 % réussissent à obtenir un contrat professionnel, dont la moitié seulement évoluera en Ligue 1 selon l’UNFP et le Sénat. Ainsi, chaque année, ce sont 300 à 400 jeunes joueurs qui intègrent les centres de formation, tandis qu’environ 75 joueurs, en moyenne, accèdent au circuit professionnel à leur sortie.

Dans son rapport « Accroître la compétitivité des clubs de football professionnel français » publié en 2008, Eric Besson, alors secrétaire d’Etat chargé de l’évaluation des politiques publiques, notait que, selon le directeur technique national adjoint de la FFF François Blaquart, « l’aptitude réelle d’un jeune joueur à évoluer au plus haut niveau est difficile à déceler jusqu’à l’âge de 17 ans et les aléas restent nombreux jusqu’à l’âge de 19 ans ». « Mais ce constat, partagé par la grande majorité des observateurs, ne semble pas inciter les clubs à la patience, et les encourage plutôt, d’une certaine façon, au recrutement en nombre, afin de multiplier les chances de voir éclore un talent ou de ne pas passer à côté d’un joueur d’exception », poursuivait-il, ajoutant que « cette stratégie du volume a un coût économique et humain ».

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