A la Une

Tennis de VGE, paparazzis pour les Sarkozy, testament de Pompidou… Sept instantanés de vacances présidentielles à Brégançon

Vue imprenable et eau turquoise, Brégançon est un paradis qui s’est parfois mué en piège pour chefs d’État imprudents. Sept instantanés de vacances présidentielles dont vous ignorez peut-être les coulisses.

Le fort de Brégançon ? Un cauchemar pour les uns, un Éden pour les autres. Dans les années 1970, les présidents Georges Pompidou ou Valéry Giscard d’Estaing ont adoré cet îlot rocheux qui domine les îles de Port-Cros, Porquerolles, ou du Levant, à proximité de la côte varoise. À l’aube des années 1980, François Mitterrand, si jaloux de sa vie privée, l’a moins fréquentée. Pour des raisons différentes, Nicolas Sarkozy et François Hollande l’ont très vite désertée.

Fidèle à la tradition et désireux de s’inscrire dans une lignée, Emmanuel Macron y prend ses quartiers à partir du vendredi 3 août. Après un mois de juillet agité par l’affaire Benalla, le chef de l’État pourra se détendre quinze jours dans la piscine « hors-sol en bois, d’environ 10 mètres par 4″, détaille Var Matin, qu’il a fait installer, au prix de quelques remous. Une petite histoire de plus pour un lieu rempli d’anecdotes sur les vacances présidentielles à Brégançon. 

De Gaulle dévoré par les moustiques

En 1963, l’État remet la main sur le fort, loué depuis des lustres à des particuliers. Si la forteresse médiévale s’est muée en « grosse demeure bourgeoise », pour reprendre l’expression d’un de ses administrateurs, elle manque de confort. Charles de Gaulle le constate à ses dépens. Il s’y rend pour la première – et dernière fois – le vendredi 14 août 1964, à la veille de la commémoration des vingt ans du débarquement allié en Provence. Une nuit de cauchemar : ses pieds dépassent d’un lit non conçu pour un hôte mesurant 1,93 m, et il se fait dévorer par les moustiques. « Il explique le lendemain à tante Yvonne [sa femme] que, même durant ses campagnes d’Afrique, il n’a jamais connu de moustiques aussi féroces », rapporte L’Express.

Il n’y reviendra plus, même s’il fut tenté à l’été 1968. « Yves De Gaulle [le petit-fils du général] se souvient que son grand-père leur avait demandé s’ils avaient envie de passer quelques jours à Brégançon, raconte le journaliste de France 2 Guillaume Daret, auteur du fort de Brégançon, Histoire, secrets et coulisses des vacances présidentielles (éditions de L’Observatoire). Mais Yvonne De Gaulle s’y est fermement opposée, expliquant que les vacances, c’était à Colombey et nulle part ailleurs. » Le général (qui démissionnera le 27 avril 1969 après un référendum perdu) passera donc ses ultimes vacances d’été présidentielles dans la sévère bâtisse de Haute-Marne, loin des golfes clairs de la Méditerranée.

Pompidou y rédige ses dernières volontés

Boudé par le couple De Gaulle, le fort retrouve vie avec son successeur. Encore Premier ministre, Georges Pompidou avait dû, sur ordre présidentiel, renoncer à passer ses vacances à Saint-Tropez (Var). Trop clinquant pour l’électorat gaulliste. Brégançon lui permet de fuir la Bretagne et de renouer avec ses vraies amours, d’autant que sa femme Claude, comme lui, adore l’endroit. Restos, pétanque, escapades en bateau à Porquerolles… Avec ses loisirs, le couple tend, en ces années d’avant-crise, un miroir aux autres Français en vacances sur la Côte d’Azur. À quelques détails près : chez les Pompidou, les invités s’appellent Pierre Soulages, maître du noir et blanc, ou Niki de Saint-Phalle, célèbre sculptrice, et le budget décoration excède celui des bourses ordinaires. “Il fait du fort de Brégançon un laboratoire d’art contemporain pour l’Élysée”, relate le journaliste politique de France 2. Fauteuil « dos-à-dos », table, bibliothèque,… « Georges Pompidou teste notamment le designer Pierre Paulin, qui rénovera ensuite les appartements privés de l’Élysée ».

Le président de la République Georges Pompidou et son épouse Claude Pompidou, au fort de Brégançon, lors de leurs vacances d\'été en août 1970.Le président de la République Georges Pompidou et son épouse Claude Pompidou, au fort de Brégançon, lors de leurs vacances d’été en août 1970. (AFP PHOTO / UPI)

La carte postale reflète-t-elle une sérénité sans ombre ? C’est dans ce lieu de détente que le chef de l’État rédige son testament à l’été 1972, confie son fils, Alain Pompidou, à Guillaume Daret. Au printemps, Georges Pompidou a ressenti les premiers symptômes du cancer de la moelle osseuse qui devait l’emporter, le 2 avril 1974. Au soir de sa mort, les intimes découvrent la teneur de ces papiers qui ont été confiés au secrétaire général de l’Élysée, Édouard Balladur, selon les journalistes Alexis Brézet et Solenn de Royer (Le deuil du pouvoir, Perrin). Aucun message politique (les prétendants au trône en seront pour leurs frais), mais une lettre pour son épouse Claude (« j’ai pris des dispositions en matière d’assurance-vie pour que tu ne sois pas dans le besoin ») et une autre,« très affectueuse », pour son fils. Le troisième texte énonce ses dernières volontés pour les obsèques : « une messe à Saint-Louis-en-l’Île chantée en grégorien et une inhumation dans le cimetière d’Orvilliers, dans les Yvelines [où le couple possédait une maison]« . Ainsi fut-il.

Giscard s’invite au tennis chez le voisin

Fondu de tennis, le fringant chef de l’État compte sur ses vacances pour se garder en forme. Hélas ! Le vieux fort ne brille pas par ses installations sportives. Qu’à cela ne tienne : Valéry Giscard d’Estaing avise « un fabuleux domaine tout proche qui possède un court de tennis », détaille Guillaume Daret. « Il s’agit du château de Brégançon, à 3 ou 4 km de là ». Et le chef de l’État décroche son téléphone : « Bonjour, c’est le président de la République Valéry Giscard d’Estaing. Est-ce que je peux venir jouer au tennis chez vous ? »

Le président de la République Valéry Giscard d\'Estaing pose avec son épouse Anne-Aymone, le 6 mai 1979, lors de leur séjour au fort de Brégançon.Le président de la République Valéry Giscard d’Estaing pose avec son épouse Anne-Aymone, le 6 mai 1979, lors de leur séjour au fort de Brégançon. (AFP)

« Au bout du fil, les Tézenas n’y croient pas », rigole Guillaume Daret. « Et l’Élysée doit rappeler pour confirmer la venue du président de la République. Mais quelques jours plus tard, au bout de leur allée, ils voient effectivement Valéry Giscard d’Estaing qui débarque avec sa raquette sous le bras ». 

Ce terrain de tennis, Giscard va quasiment l’annexer ! À chaque fois qu’il vient à Brégançon, il vient chez eux jouer au tennis. Il arrive même une fois directement de Paris, encore en costard-cravate, et va se changer dans une pièce à côté”.Guillaume Daretà franceinfo

Le pli est tel que le chef de l’État s’offusque de ne pouvoir accéder au court le 15 août : conviés à une fête familiale, les Tézenas n’entendent pas ouvrir la maison en leur absence. Froissé, mais pas rancunier, le président les invitera un soir au fort, les plongeant au passage dans l’anxiété (une « tenue blanche de gala », introuvable dans leur garde-robe de vacances, était exigée). Il les conviera aussi à l’Élysée, avec un petit cadeau à la clé : un jeu de photos le montrant en train de jouer au tennis, sur leur court, avec l’un ou l’autre d’entre eux. Faut-il le répéter ? Le fils Tézenas jugeait mauvais perdant ce prestigieux partenaire.

Mitterrand ne trouve pas le salon

Homme du Sud-Ouest, François Mitterrand aimait l’Atlantique, sa maison de Latche (Landes), et le Lubéron, où il retrouvait sa fille Mazarine. Il a montré peu de goût, en revanche, pour la Méditerranée et son fort présidentiel, comme en témoigne cette scène qu’a relatée l’ancien ministre de la Culture, François Léotard.

« Député de la circonscription, François Léotard rendait toujours une visite de courtoisie aux présidents qui séjournaient à Brégançon, contextualise Guillaume Daret. La première fois que François Mitterrand y va, dans la première moitié des années 80, il demande donc un rendez-vous, et arrive assez tôt, à l’horaire fixé. Il frappe, il entre, il ne voit personne. Puis, il aperçoit, descendant sur la droite par un escalier François Mitterrand quasiment en pyjama, à l’air totalement perdu. ‘Monsieur Léotard, lui lance-t-il, vous savez où se trouve le salon ? La salle à manger ?’ Le maire de Fréjus se rend alors compte qu’il connaît mieux les lieux que lui ! »  

François Mitterrand ne se souciera pas outre-mesure d’explorer les recoins de la forteresse. Il ne se rendra que trois ou quatre fois à Brégançon, pour de courts séjours à visée politique. C’est là qu’il recevra, en 1985, un chancelier allemand Helmut Kohl apparemment ravi.

Le chancelier Helmut Kohl s\'entretient le 24 août 1985 avec le président François Mitterrand, au fort de Brégançon.Le chancelier Helmut Kohl s’entretient le 24 août 1985 avec le président François Mitterrand, au fort de Brégançon. (PIERRE CIOT / AFP)

Chirac y est photographié nu

Quoiqu’il ait souvent affirmé s’y « emmerder », Jacques Chirac passera de multiples séjours sur l’îlot fortifié pendant les douze ans de sa présidence (1995-2007). Avec quelques légèretés parfois. “Le président de la République, Jacques Chirac, en vacances cet été au fort de Brégançon, est-il vraiment apparu entièrement nu sur la terrasse qui domine la mer, dans la matinée du 4 juillet ?”, s’émeut Le Monde du 1er septembre 2001. L’éditorial, à la Une, fait suite aux révélations du Canard enchaîné du 29 août. Sous le titre « Le roi est nu ! Panique au château », l’hebdomadaire révèle que des photographes, postés sur la plage voisine, ont saisi au téléobjectif le président « en slip », puis « dans le plus simple appareil », observant aux jumelles « le beau yacht des frères Schumacher, les pilotes allemands de formule 1 ».

Le président Jacques Chirac lors de son arrivée au fort de Brégançon, le 11 avril 2001.Le président Jacques Chirac lors de son arrivée au fort de Brégançon, le 11 avril 2001. (ERIC ESTRADE / AFP)

Les clichés ne seront jamais publiés. À l’époque, le patron de Paris Match, Alain Genestar, affirme au Monde n’avoir pas acheté ces photos qui « n’avaient aucun intérêt comme information, comme document, comme photographie ». Il précise : « Le chef de l’État n’était pas nu, mais en tenue légère (…)  Enfin, il est absurde de dire que nous avons reçu des pressions de l’Élysée. Je n’ai pas reçu un coup de fil, rien ! »  Pas de pressions ? Seize ans plus tard, Claude Chirac confirme à Guillaume Daret être « bien intervenue auprès des dirigeants de Paris Match. Je me rappelle avoir appelé Jean-Luc Lagardère pour lui décrire la situation. Très choqué, il m’a assuré qu’il s’en occupait ».

Sarkozy y montre sa femme enceinte

Plus spacieuse, plus discrète, plus facile à protéger des regards indiscrets… La maison familiale des Bruni Tedeschi, au cap Nègre, est le lieu de villégiature favori de Nicolas Sarkozy, selon Le Figaro (article payant). Mais, poursuit le journal, en 2011, il « vint tout de même [à Brégançon] trois semaines au moment de la grossesse de Carla : ce fut d’ailleurs l’occasion pour le pays varois d’apercevoir le président lors de son jogging ou grimper à vélo sur la côte de Bormes ». « Au cours de cet été, précise Guillaume Daret, Nicolas Sarkozy rejoint régulièrement [Carla Bruni] afin de passer le week-end dans le Var. Des paparazzis parviennent à photographier le chef de l’État et son épouse au ventre arrondi par la grossesse”. 

Le président Nicolas Sarkozy, accompagné de sa femme Carla Bruni-Sarkozy, conduit une voiture de golf au fort de Brégançon à Bormes-Les-Mimosas, le 15 juillet 2011. Le président Nicolas Sarkozy, accompagné de sa femme Carla Bruni-Sarkozy, conduit une voiture de golf au fort de Brégançon à Bormes-Les-Mimosas, le 15 juillet 2011. (GERARD JULIEN / AFP)

« Une photo en guise de faire-part », commentera ironiquement Le Figaro. Un membre de l’entourage de Nicolas Sarkozy a d’ailleurs confirmé au journaliste de France 2 que le risque était pleinement intégré : « Nicolas savait que c’était compliqué et que chaque fois qu’il descendait se baigner, il pouvait être photographié. »

Hollande y va en train

Voulant rompre avec l’image bling-bling de son prédécesseur, François Hollande force sur l’image de Français comme les autres. Au lieu de prendre l’avion pour Hyères, il choisit, sous l’objectif d’une nuée de reporters, d’y aller en train à l’été 2012, quelques semaines après son élection. Exaspérée, sa compagne, Valérie Trierweiler, dépeindra avec acrimonie la scène dans Merci pour ce moment, son best-seller vengeur paru en 2014, après la rupture.

Je dois subir la comédie de notre départ en train. Les vacances d’un « président normal » sont dramatiquement mises en scène par la communication de l’Élysée devant des dizaines de caméras et de photographes massés sur les quais de la gare de Lyon devant notre TGV.Valérie Trierweiler« Merci pour ce moment » (édition des Arènes)

« Je trouve cela ridicule, conclut-elle, je déteste cette exhibition. Je n’ai été prévenue qu’à la dernière minute. Sur les photos j’ai d’ailleurs la tête des mauvais jours, les sourcils froncés et les traits figés. » 

Le président François Hollande et sa compagne Valérie Trierweiler arrivent gare de Lyon, à Paris le 2 août 2012, pour se rendre en vacances au fort de Brégançon.Le président François Hollande et sa compagne Valérie Trierweiler arrivent gare de Lyon, à Paris le 2 août 2012, pour se rendre en vacances au fort de Brégançon. (BERTRAND LANGLOIS / AFP)

Sur ce piton isolé et espionné, la pause estivale ne réussit guère au couple. Elle s’ennuie, lui s’enfonce dans les sondages. François Hollande se le tiendra pour dit. Il abandonnera les vacances à Brégançon, et ouvrira les portes du fort au public. Une initiative couronnée de succès : 40 à 50 000 visiteurs s’y pressant chaque année. Mais, en 2017, Emmanuel Macron a décidé que Brégançon serait à nouveau réservé en priorité à la présidence.


Continuer à lire sur le site France Info