Confusion, démentis et accusations après la destruction d’un avion russe en Syrie

Carte de Lattaquié en Syrie

Israël est entré en gestion de crise. Soucieux de limiter les conséquences diplomatiques et militaires après la destruction d’un avion de reconnaissance russe au large des côtes syriennes, attribuée à l’armée syrienne, l’Etat hébreu a publié mardi 18 septembre un communiqué inhabituel, dans le ton et la précision. L’état-major israélien y exprime sa « tristesse », provoquée par la disparition de l’appareil et des 14 personnes à son bord. « Israël tient le régime d’Assad, dont les forces armées ont descendu l’avion russe, pour pleinement responsable de l’incident », souligne toutefois le communiqué, qui met également en cause l’Iran et « l’organisation terroriste du Hezbollah ».

En somme, Israël s’excuse pour ce qu’il n’a pas fait, tandis que la Russie l’accuse de ce qu’a fait son allié syrien. Cette communication de guerre complexe montre que les intérêts engagés dépassent largement le sort de l’avion abattu. Tandis que l’ambassadeur d’Israël à Moscou était convoqué au ministère des affaires étrangères, les deux pays exprimaient, chacun à leur façon, une forme d’embarras. Jusqu’à lors, le mécanisme de désescalade mis en place entre les deux état-majors, pour éviter justement un dérapage de cette nature lors des raids israéliens en Syrie, avait bien fonctionné. Moscou affirme que ses forces n’ont pas été alertées, cette fois, de l’opération, ce que nie Israël. A présent se pose question de la liberté d’action future de l’armée israélienne, après ce grave précédent.

Mardi après-midi, le président russe Vladimir Poutine a toutefois expliqué le crash par « un enchaînement de circonstances accidentelles tragiques », semblant adopter un ton plus conciliant que son armée. « Israël n’a pas abattu notre avion », a-t-il ajouté depuis le Kremlin.

La région de Lattaquié, un lieu sensible

Les forces israéliennes, prêtes à transmettre les détails de leur opération à leurs homologues russes, expliquent qu’elle ont visé dans la nuit une infrastructure de l’armée syrienne, d’où « des armes létales de précision étaient sur le point d’être transférées au nom de l’Iran au Hezbollah au Liban. » Ce transfert d’armements est l’une des lignes rouges que s’est fixé Israël en Syrie ces dernières années, qui l’a conduit à multplier les raids aériens. Les autres lignes rouges sont tout tir intentionné ou non sur le plateau frontalier du Golan et enfin l’implantation iranienne dans ce pays voisin, avec des moyens de frappe contre l’Etat hébreu.

Dans la soirée de lundi, les frappes israéliennes ont eu lieu près des villes de Lattaquié, Baniyas et Tartous, sur la côte nord-ouest de la Syrie. Elles sont survenues quelques heures après que la Russie a annoncé le report d’une offensive sur la ville syrienne d’Idlib. La télévision d’Etat syrienne a précisé que des missiles d’origine « inconnue » avaient visé l’Etablissement des industries techniques, situé dans la zone industrielle de la ville de Lattaquié, et diffusait les images d’un incendie. Selon elle, les défenses aériennes avaient intercepté et abattu un certain nombre de missiles qui « venaient de la mer ».

La région de Lattaquié est un lieu particulièrement sensible, car elle accueille la base des forces aériennes russes de Hmeimim à 15 km de la ville portuaire. Moscou y a notamment déployé ses batteries de défense aérienne S-400. Selon les médias syriens, l’armée régulière a utilisé ses propres batteries pour répondre aux frappes, interceptant plusieurs missiles. Des images prises par les habitants de la région le confirment, en montrant des départs de missiles sol-air et des tirs de DCA. Un feu « nourri et imprécis », selon l’armée israélienne, dans lequel l’appareil russe a été touché alors qu’il ne se serait pas trouvé dans la zone d’opération, à un moment où les avions de chasse auraient déjà regagné l’espace aérien israélien.

Une résidente de Banias a confirmé au Monde avoir aperçu « une grande lueur rouge, lointaine, suivie d’une forte détonation. Cela venait de l’extérieur de la ville ». Au moins trois fortes déflagrations ont secoué la ville de Lattaquié, d’après des images diffusées sur les réseaux sociaux.

Paris dément toute implication

Vers 23 heures, l’avion de surveillance électronique de type Il-20 a disparu à 35 kilomètres des côtes syriennes, alors qu’il revenait à la base aérienne de Hmeimim, a précisé le ministère de la défense à Moscou. Au même moment, alors que quatre F-16 israéliens effectuaient leur raid sur Lattaquié, les radars russes auraient enregistré des frappes déclenchées par la frégate française Auvergne contre des installations militaires syriennes, prétend Moscou.

Avant la confirmation par Moscou de l’erreur de la défense anti-aérienne syrienne, Paris a démenti catégoriquement sa participation à une telle opération. « Nous démentons toute implication », a dit le colonel Patrik Steiger, porte-parole de l’état-major. Un représentant du Pentagone avait fait de même un peu plus tôt, au micro de Voice of America : « Je peux dire sans équivoque que ce n’est pas nous. »

La France s’est dite prête récemment à utiliser de nouveau la force militaire en Syrie, mais uniquement en cas d’usage d’armes chimiques dans une offensive de l’armée syrienne et de ses alliés contre Idlib. Paris avait participé à des frappes aériennes en avril, aux côtés du Royaume-Uni et des Etats-Unis, pour un tel motif. Dans un communiqué commun publié le 21 août, à l’occasion du cinquième anniversaire de l’attaque sanglante à l’arme chimique à la Ghouta, les trois pays s’étaient dits « résolus à agir si le régime de Bachar Al-Assad a de nouveau recours aux armes chimiques ».


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