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Réfugiés de la Roya: «Libre» de Michel Toesca, une caméra solidaire

« Paysan breton calabrais » autrement dit une vraie tête de bois, c’est ainsi que se définit lui-même Cédric Herrou dans le documentaire de Michel Toesca. Il est le fil rouge du film au risque de mécontenter ceux qui avancent que les histoires de solidarité avec les migrants sont souvent des aventures collectives et qui reprochent au réalisateur d’héroïser le producteur d’olives. Pourquoi lui ? Parce que faire un film, c’est raconter une histoire et qu’il faut un personnage, nous explique Michel Toesca. Et Cédric Herrou n’a « jamais lâché l’affaire ». « Ce combat politique et juridique est devenu sa vie, alors il était le personnage le mieux placé pour raconter l’histoire de bout en bout ».

« Si on ne tourne pas la tête et qu’on s’engage, on est happé ». Certains, à un moment ou à un autre, ont levé le pied parce que la solidarité c’est énergivore et chronophage. Cédric Herrou lui a mis sa vie personnelle et son travail de producteur d’olives entre parenthèses pour accueillir les migrants avec l’aide des associations locales. Il a élevé des poules pour avoir des oeufs pour les nourrir, a transformé sa maison en campement, a accueilli jusqu’à 200 personnes sur son exploitation. Il a aussi accepté de sacrifier sa liberté, pris le risque de la prison pour une cause qu’il estime juste. Rappelons que Cédric Herrou a été condamné en août 2017 à quatre mois de prison avec sursis. Sa liberté, un terme qui revient fréquemment dans sa bouche et qui a donné le titre du film, elle est là.

Une caméra empathique

Cédric Herrou n’est ni un théoricien de la solidarité, ni un agitateur professionnel, ni un donneur de leçon. Tout juste se revendique-t-il lors d’une soirée particulièrement festive et arrosée entre potes comme « anarchiste », pour se faire aussitôt rembarrer par un camarade. Ses amis, ce sont aussi ceux de Michel Toesca, et cela se sent. La caméra est empathique et militante au point que, prenant le risque de fâcher les tenants de l’orthodoxie documentaire, Michel Toesca intervient devant et derrière la caméra. Ce sont des gens ordinaires ou presque comme Isabelle l’infirmière, bénévole de Médecins du monde, qui soigne les migrants dans un sabir mêlant un anglais hésitant et quelques mots d’arabe.

Cédric Herrou est presque toujours présent à l’image y compris face caméra dans des séquences en forme de confidence, expliquant sa démarche et ses questionnements. « On me dit tout le temps ce qu’il ne faut pas faire, mais jamais ce qu’il faut faire » enrage l’agriculteur qui accuse l’État d’être hors la loi en empêchant les migrants de déposer leur demande d’asile et en renvoyant en Italie les mineurs isolés. Comment faire pour que les réfugiés qui arrivent chez nous, dans la vallée de la Roya, mineurs isolés ou adultes, puissent aller jusqu’au bout de leur démarche et demander l’asile, interroge-t-il.

« Le rire sauve de tout »

Comment faire pour que ce droit soit respecté par la préfecture des Alpes maritimes, condamnée à deux reprises en 2017 par le tribunal administratif. Pour éviter Nice et sa préfecture récalcitrante, les soutiens des migrants tentent de leur faire atteindre Marseille au prix d’une longue marche de trois jours par cols et forêts sur l’ancienne route du sel. Des scènes qui, avec d’autres évacuations clandestines, filmées de nuit au téléphone portable, font écho à d’autres épopées et à d’autres époques.

Moments de tension dramatique aussi lorsque les migrants, après des kilomètres de marche, sont refoulés à Vintimille, accueillis par un « forza » compatissant par les douaniers italiens ; lorsque ce jeune Nigérian raconte les larmes aux yeux son frère enlevé par Boko Haram qui a obligé la famille à se réfugier au Tchad, précaire asile ; lorsque cette Libyenne enceinte raconte la guerre dans son pays… Des sourires aussi à l’évocation du « pantaï niçois » ; lorsque le « big chief » cuistot Joseph se vante de régaler 90 convives sur la ferme ; lorsqu’une caravane est livrée par hélicoptère au nez et à la barbe des forces de l’ordre pour servir d’abri… ou encore ces oies qui se dandinent sous la guirlande de chaussures de sport qui sèchent sur un fil. La solidarité, c’est aussi joyeux et « le rire sauve de tout » confie Cédric Herrou.

Illustré d’une belle bande-son originale signée Magic Malik, ce film militant raconte l’histoire de ces hommes poussés par le vent et de ceux qui les aident à s’accrocher aux branches. Un éternel recommencement comme en témoigne ce vieil homme au début du documentaire qui se souvient des trente jours de prison effectués par sa mère, une Italienne sans papier arrivée à La Roya au début du siècle. Un film pour faire bouger les consciences – et la consécration du principe de « fraternité » début juillet par le Conseil constitutionnel en est le fruit- et pour que l’histoire cesse de bégayer.

► À (ré)écouter: Cédric Herrou et Michel Toesca sur RFI

► Le film, qui tourne dans les réseaux associatifs de soutien aux migrants, a été présenté en avant-première au festival de Douarnenez en août. Il sortira aussi en salle en Italie et en Grèce, pays également concernés par l’accueil des réfugiés.


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