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Comment les trottinettes électriques ont envahi les grandes villes (et leurs trottoirs)

Pratique, silencieux et relativement rapide, ce nouveau mode de transport se faufile partout, avec un certain flou juridique. Passion durable ou effet de mode dont on n’a pas encore exploré tous les revers ?

Ah, le délicieux plaisir de renouer avec la patinette enfantine… un brin améliorée. Slalomant sur les trottoirs ou glissant sur les pistes cyclables, les citadins sont de plus en plus nombreux à adopter la trottinette électrique pour économiser de précieuses minutes de transport. Au point qu’il se serait vendu l’an dernier, trottinettes et monoroues confondues, quelque 50 000 « engins de déplacement personnel » (EDP) en France, selon le patron des magasins Mobility Urban, Christophe Bayart.

Ce marché en pleine croissance doublerait tous les ans, à en croire la Fédération des professionnels de la micro-mobilité (FP2M). Mais pourquoi la trottinette électrique s’est-elle ainsi faufilée dans nos vies, et sur nos voies urbaines ?

Premier atout : pliable, elle s’emmène partout, prête à servir dès la porte du domicile ou le portillon du métro franchis. Car la trottinette électrique s’inscrit dans un déplacement « multimodal », pour reprendre le jargon des experts en mobilité. Pour leurs trajets, les habitants des grandes agglomérations puisent désormais dans toute la panoplie à leur disposition, des véhicules individuels (voiture, vélo, trottinette…) aux transports collectifs (tram, RER, bus…). Et les conjuguent à leur façon.

Typiquement, devoir attendre un bus pour quatre ou cinq stations seulement est un élément déclencheur pour l’achat d’une trottinette, qui franchira aisément ces quelques kilomètres.Jocelyn Loumeto, administrateur délégué de la FP2Mà franceinfo

Autre exemple, « des automobilistes décident d’en acquérir une pour éviter d’entrer en zone dense avec leur voiture. Ils garent leur auto un peu plus loin et prennent la la trot’ ensuite », poursuit-il. « L’acheteur-type est un adulte de 35 à 50 ans, un homme dans 55% à 60% des cas », analyse Grégoire Hénin, PDG du distributeur de trottinettes électriques Micro Mobility France et vice-président de la FP2M. « Il vit dans une grande ville ou dans sa périphérie, et emmène sa trottinette dans le train, le métro, le RER ou le coffre de sa voiture. La trottinette électrique le transforme en piéton 2.0 : grâce à elle, il ira trois fois plus vite qu’à pied », poursuit ce lobbyiste assumé.

En moyenne, les utilisateurs de trottinette s’en servent « entre 3 et 7 km par trajet », selon les estimations de la FP2M. Mais certains vont au-delà.

Chaque matin, je fais entre 8 et 9 km pour aller à mon travail à la Cité internationale de Lyon. Je passe vingt minutes de bonheur en plein air.Frédéric Roussange, utilisateur régulier de trottinette électrique à franceinfo

Enthousiaste, cet administrateur d’un groupe Facebook consacré à une marque de trottinettes électriques, qui regroupe 1 500 internautes,loue « un moyen de transport exceptionnel pour une ville plus verte, plus écolo, plus silencieuse. A Paris, je suis toujours surpris par le bruit des scooters et des voitures alors qu’on peut agir là-dessus avec d’autres modes de transport. »

Après deux ans d’utilisation, ce père de famille lyonnais de 50 ans affiche déjà quelque 5 000 km au compteur. Cet engin n’était pourtant pas son premier choix. Le quinquagénaire voulait au départ un vélo électrique. « Ça coûtait de 1 500 à 3 000 euros, pesait 20 kg et nécessitait des antivols de qualité, plus une assurance. Je me suis interrogé », se souvient-il. D’autant que les prix des trottinettes électriques sont de plus en plus compétitifs, variant de 200 à 1 600 euros ou plus, avec des modèles fiables à moins de 400 euros. Frédéric Roussange a opté pour le haut de gamme, « un beau modèle électrique à 1 200 euros. Ça a fait tilt : la trottinette pesait deux fois moins lourd que le vélo, de 10 à 11 kg. C’est pratique : vous la pliez, vous la rechargez à votre bureau, et surtout vous évitez les vols, qui sont un gros problème dans tout Lyon. » Secrétaire générale du Club des villes et territoires cyclables, Véronique Michaud confirme :

Les usagers de trottinette sont souvent des cyclistes contrariés qui ne peuvent pas garer leur vélo chez eux, à la gare ou au travail dans des conditions optimales, sans risque de se le faire faucher.Véronique Michaud, du Club des villes et territoires cyclablesà franceinfo

Ces « défaillances » dans le système vélo – combinaison imparfaite avec les transports collectifs, difficulté à abriter sa bicyclette près de son bureau, etc. – favoriserait, selon elle, la trottinette électrique. Un véhicule, souligne-t-elle toutefois, moins « vertueux » que le vélo à assistance électrique en termes d’exercice physique.

L’appétit grandissant pour les trottinettes n’a d’ailleurs pas échappé à certaines entreprises. Les américains Lime et Bird, ainsi que la start-up estonienne Taxify (soutenue par le chinois Didi) inondent déjà Paris de leurs engins en libre-service, dont la location coûte 1 euro (mise de départ), puis 15 centimes la minute. Derrière cette offensive, la volonté de chacun de se tailler la part du lion dans le transport à la demande en couvrant toute la gamme des déplacements, du VTC au scooter.

A grandes ambitions – Taxify compte à terme concurrencer Uber, selon Les Echos –, grands moyens. Lime assure avoir mis à disposition des Parisiens « quelques milliers de trottinettes électriques ». Un chiffre difficile à vérifier. « Le nombre exact est confidentiel pour des raisons concurrentielles évidentes, et évolue tout le temps », répond l’entreprise lorsqu’on insiste pour avoir des données plus précises. Elles permettent en tout cas aux hésitants de les essayer avant de se décider : « On teste le produit, philosophe en bon vendeur Grégoire Hénin, et quand on est convaincu, on passe à l’achat. »

Enfin, autre avantage de la nouveauté, la trottinette électrique apparaît encore peu dangereuse aux yeux de ses utilisateurs. Faute de recul ? « Pour l’instant, on n’a pas de remontée d’accidents de trottinette ayant causé des arrêts de travail. Mais ça va se passer comme pour le vélo : plus les gens en font, plus il y a une hausse de l’accidentologie », affirme Jocelyn Loumeto, de la FP2M.

Outre-Atlantique, c’est déjà le cas. Aux Etats-Unis, affirme Courrier international citant le Washington Post, les victimes d’accidents de trottinettes en libre-service « affluent aux urgences (…) avec un ensemble de blessures que les médecins associent d’habitude aux accidents de voiture – le nez, le poignet et l’épaule cassés, le visage lacéré, et de violents traumatismes crâniens susceptibles d’entraîner des lésions cérébrales permanentes ».

En termes de sécurité, de désencombrement des voies ou même d’écologie (le sujet épineux du recyclage des batteries, classé « secret industriel » chez Lime), quelles sont les obligations en France des entreprises de location qui investissent les rues comme des nuées de sauterelles ? « Nous n’avons pas de prise sur ces opérateurs », plaide la mairie de Paris, qui prépare néanmoins, à leur intention, une « charte de bonne conduite », à l’image de celle conclue avec les scooters électriques et les vélos en libre-service. Plus largement, le maire-adjoint Christophe Najdovski réclame à l’Etat « qu’il puisse y avoir un permis accordé par les collectivités, une sorte de licence », et une régulation pour « assurer la bonne intégration ou la bonne acceptabilité sociale de ces véhicules ».

L’élu écologiste pointe avec cette formule polie la guerre qui couve sur les trottoirs entre piétons et utilisateurs de trottinettes électriques. Saisi du problème, l’exécutif devrait bientôt siffler la fin de la récréation.

On va clarifier le fait que les trottoirs, c’est d’abord pour les piétons, y compris les personnes fragiles qui doivent pouvoir les utiliser sereinement. Donc les trottinettes, ce sera sur les pistes cyclables ou la chaussée !Elisabeth Borne, ministre des Transportssur Europe 1

Le gouvernement se dirigerait donc vers une interdiction absolue de la trottinette électrique sur les trottoirs, malgré les demandes de la Fédération de la micro-mobilité. Celle-ci souhaitait, en l’absence de piste cyclable, que l’engin y soit autorisé « jusqu’à une vitesse de 6 km/h ». Une limite difficile à contrôler alors que la plupart des trottinettes vendues en France peuvent atteindre les 25 km/h (et davantage si elles sont débridées) et qu’il existe des modèles tutoyant les 50 km/h.

« Un consensus se dégage pour accepter la trottinette électrique sur les pistes cyclables et l’autoriser sur les voies limitées à 30 km/h. Mais pas sur les chaussées à 50 km/h, ni sur les trottoirs, d’où les vélos sont descendus, à l’exception des cyclistes de moins de 8 ans ! » s’étrangle Véronique Michaud. Du côté du Club des villes et territoires cyclables, on attend surtout « une norme européenne, importante en termes d’assurances, et une meilleure définition pour savoir de quoi on parle avec les ‘engins de déplacement personnel' », un terme qui englobe les trottinettes électriques, les monoroues et autres hoverboards.

Aujourd’hui, précise l’Institut national de la consommation, les trottinettes électriques ne devraient, en théorie, être utilisées ni sur la route, ni sur les pistes cyclables, réservées aux vélos, ni sur les trottoirs. En clair : nulle part. Dans la pratique, elles sont tolérées dans ces deux derniers cas, ainsi que « dans les zones piétonnes à condition de ne pas gêner les piétons et de circuler à l’allure du pas (environ 6 km/h) ». Mais leurs jours sur les trottoirs sont comptés : le gouvernement doit annoncer une nouvelle réglementation, fin octobre.


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