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« Avant, Noël se faisait sans moi » : l’interview vérité du père Noël

Ses origines, sa mission, son départ à la retraite… Il en a assez des idées reçues qui circulent sur son compte. Le père Noël se confie à franceinfo.

Ce monsieur ne subit pas les effets du décalage horaire. En dépit d’un âge canonique, il ne craint pas les rhumatismes. Pire, il s’introduit chez vous la nuit, par la cheminée, sans que cela ne déclenche ni alarme, ni scène de panique. Le père Noël est une énigme. Mi-rockstar, mi-doudou, il existe (évidemment !) au moins dans l’imaginaire collectif. 

>> Quand avouer à votre enfant que le père Noël n’existe pas ?

Que savent vraiment les enfants sur ce personnage à la fois mystérieux et familier, son travail et son mode de vie ? Franceinfo lui a posé quelques questions.

Franceinfo : Quel âge as-tu, père Noël ?

Le père Noël Comme en témoigne ma longue barbe blanche, je ne suis plus tout jeune. Cette année, je fête mes 195 ans.

Mais c’est super vieux ! Tu es né où ?

Je suis né aux Etats-Unis, en 1823. A New York, plus précisément. Comme beaucoup de New-Yorkais, j’ai des ancêtres qui viennent d’un peu partout dans le monde et notamment d’Europe. Je suis né sous la plume d’un monsieur qui s’appelait Clement Clarke Moore. Il a parlé de moi dans un poème, La Nuit avant Noël, qui a été publié le 23 décembre dans un journal local. Avant cette date, personne ne savait vraiment à quoi je ressemblais. Surtout, Noël se faisait sans moi.

Noël existait avant toi ? Mais c’est trop bizarre !

En fait, c’est assez simple à comprendre. Je suis né au XIXe siècle, mais moi aussi j’ai une famille, des ancêtres, etc. Les gens font la fête à cette période depuis des siècles. Pas depuis les dinosaures, mais presque ! Avant que je n’existe, en fonction des endroits où les enfants se trouvaient dans le monde, tout un tas de gens jouaient mon rôle d’organisateur de Noël : dans certains pays, il y avait un « Bonhomme Noël ». Dans d’autres régions, c’était le rôle de saints, tandis que pour d’autres, c’est l’enfant Jésus qui apportait les cadeaux aux enfants. Pour beaucoup d’Européens, c’était mon vieux cousin saint Nicolas qui faisait mon travail. Il faut reconnaître que ça lui faisait beaucoup de boulot en plus de son activité de saint. Mais comme il est chrétien, il n’intéressait pas vraiment les gens des autres religions.

Pour faciliter les choses, Clement Clarke Moore a expliqué que c’était moi en fait, le « boss » de Noël.  Il a dit aux New-Yorkais à quoi je ressemblais, il leur a dit que je voyageais en traîneau, que je donnais des cadeaux en passant par la cheminée… Il a même raconté à tout le monde que j’avais de l’embonpoint ! Ça a plu à tout le monde et j’ai fini par remplacer tous les autres. Par exemple, je suis devenu très populaire en France après la seconde guerre mondiale. Comme pour les chewing-gums, les GI’s américains ont contribué à me faire adopter par les Français. Mais, pour tout vous dire, je n’en serais jamais arrivé là où j’en suis aujourd’hui sans l’aide de saint Nicolas. D’ailleurs, mon nom en anglais, « Santa Claus », vient de « Sinterklaas » en néerlandais, qui veut dire saint Nicolas.

Chez moi, on dit que le 25 décembre, c’est l’anniversaire du petit Jésus et que c’est pour ça qu’on se fait des cadeaux. Est-ce vrai ?

Si Noël signifie la naissance de Jésus pour les chrétiens, ma mission à moi, en tant que père Noël, n’a rien de religieux. D’ailleurs, j’ai des origines chrétiennes, mais aussi des origines païennes bien plus anciennes. Aujourd’hui, je ne suis pas plus chrétien qu’hindouiste ou juif ou musulman. On fête Noël dans de nombreux endroits du monde qui ne sont pas de tradition chrétienne, comme au Japon, par exemple.

Lorsque Clement Clarke Moore m’a construit l’identité sous laquelle vous me connaissez aujourd’hui, il s’est inspiré d’une légende du XVIIe siècle et non de la Bible, alors qu’il était protestant et très croyant. La légende raconte comment des marins hollandais ont fondé l’île de Manhattan, dans l’actuelle ville de New York. Après le naufrage de leur embarcation, Sinterklaas serait apparu en rêve à un marin survivant et lui aurait dit de fonder une ville, en échange de quoi il viendrait une fois par an sur un char volant distribuer des cadeaux aux petits.

D’un côté, il y a des gens qui vont à la messe de minuit avant d’ouvrir les cadeaux et, de l’autre, des religieux qui ne m’aiment pas trop à cause de mes origines païennes. En décembre 1951 par exemple, les autorités ecclésiastiques de Dijon ont pendu et brûlé une poupée à mon effigie, sur le parvis de la cathédrale. Et tout cela devant les enfants de la ville ! L’ethnologue Claude Lévi-Strauss disait que j’étais « la divinité d’une classe d’âge », parce que je m’adresse aux enfants, quelles que soient leurs croyances.

Tu dis que tu es né à New York, mais moi j’ai toujours cru que tu habitais en Laponie, dans le cercle polaire, dans une cabane en bois !

Tu sais, je ne serais pas heureux si je devais vivre à New York toute l’année ! J’ai plusieurs lieux de résidence, mais ils sont tous dans des endroits sauvages et enneigés. C’est indispensable pour moi, mais aussi pour mes lutins et mes rennes, qui ont besoin d’espace. Depuis 1880, j’ai emménagé au pôle Nord, qui est un coin vraiment tranquille. A l’époque, le dessinateur américain Thomas Nast (qui était vraiment le spécialiste pour me tirer le portrait) a écrit sur l’une de ses œuvres que je venais du pôle Nord. Depuis, c’est l’adresse à laquelle la plupart des gens m’écrivent.

Dans les années 1920 et jusqu’en 1942, j’ai même entretenu une relation épistolaire passionnante avec les enfants de J.R.R Tolkien, l’auteur du Seigneur des Anneaux. Mais dès 1927, j’ai commencé à vivre une partie de l’année en Laponie, dans le nord de la Finlande. Un conteur finlandais m’a imaginé une maison là-bas. Et des années plus tard, après la seconde guerre mondiale, alors qu’Eleanor Roosevelt, l’épouse du président américain, venait rendre visite aux Finlandais, ces derniers m’ont construit une vraie maison, pour la montrer à la First Lady.

C’est hyper gentil de leur part !

Je ne sais pas si c’est de la gentillesse ou juste un excellent coup promotionnel pour eux, mais j’aime à croire que c’est les deux à la fois. Depuis, de nombreux touristes se rendent chaque hiver chez moi, dans la ville de Rovaniemi. J’ai aussi une maison dans la ville de North Pole (qui veut dire « pôle Nord ») en Alaska (Etats-Unis). Ici aussi, la ville vit en partie du tourisme que j’ai engendré. Même si à North Pole, les parents travaillent aussi dans les raffineries de la ville, les enfants occupent tous la fonction de lutins quand ils sont à l’école. Ils sont chargés de trier l’énorme quantité de courrier qui m’est adressé. A part en 2006, où des lycéens ont été arrêtés pour avoir tenté d’organiser une fusillade (en anglais) dans leur école, la ville essaie d’entretenir l’esprit de Noël.

Mais j’ai vu à la télévision un reportage qui disait que les lettres qui t’étaient destinées arrivaient à Libourne (Gironde). Ce n’est pas vrai ?

Si, si. C’est bien là qu’arrivent mes lettres postées depuis la France. Mais j’ai des bureaux comme celui-ci dans d’autres pays. Au début, les lettres arrivaient à Paris, mais dès 1967, la Poste a installé mon secrétariat dans le centre de recherche du courrier qui venait tout juste de s’installer à Libourne.

Tu en reçois beaucoup ?

Chaque année, j’en reçois plus d’un million. Sans compter celles que les enfants m’ont envoyées par e-mail. On ne dirait pas comme ça, mais je suis quelqu’un de moderne ! J’ai de plus en plus de cadeaux high-tech dans ma hotte, même si les lutins n’arrivent pas encore à produire assez pour satisfaire tout le monde.

Ton travail te prend beaucoup de temps ?

Oh, tu sais, je ne travaille vraiment qu’un jour par an, lors de ma tournée de distribution de jouets. Le reste du temps, je supervise le travail des lutins. Cela consiste à faire des plannings, à lire le courrier que je reçois… En été, je me détends ou je vais rendre visite à des proches. Par exemple, depuis plus de cinquante ans, j’ai l’habitude d’aller voir des amis au Danemark, à Bakken, au mois de juillet. Je fais aussi pas mal de sport, pour garder la forme, jusqu’à fin septembre. C’est à cette période de l’année que j’entame l’organisation de ma prochaine tournée. Je commence par discuter de mon itinéraire avec les gens du Commandement de la défense aérospatiale nord-américaine (Norad), avec qui je travaille depuis 1998 (en anglais).

C’est bien payé comme métier, père Noël ?

En ce qui me concerne, c’est une occupation complètement bénévole. En revanche, j’ai la bonne surprise de trouver des biscuits et des sucreries pour mes rennes et moi dans certaines maisons, ce qui m’évite d’emporter des sandwichs. Sinon, même quand des marques utilisent mon image pour mettre en valeur leurs produits pendant les fêtes, comme Coca-Cola l’a fait dès les années 1930, je ne touche pas un centime. Je suis libre de droits. Alors parfois, les publicitaires se lâchent.

En revanche, les gens qui se chargent d’apporter l’esprit de Noël quand je ne suis pas là en enfilant mon costume, eux, sont payés. Mais pas beaucoup : en fonction de la prestation, de la durée et de leurs conditions de travail, ils touchent des salaires allant de plusieurs dizaines d’euros pour une visite à domicile à 100 euros pour une après-midi de représentation dans un comité d’entreprise.

Tu as l’intention de prendre ta retraite un jour ?

Oh non, voyons ! Pas tant que les enfants croiront en moi, en tout cas.


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