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Hommages à Chavez, brouille avec Alain Soral et Quenelles d’or : le parcours sinueux de Vincent Lapierre, le reporter star chez les « gilets jaunes »

Depuis le début du mouvement, celui qui se décrit comme un « journaliste indépendant » s’est fait remarquer pour sa couverture au plus près des manifestants.

« Les médias, ils sont à leur botte ! Et après, ils s’étonnent qu’on gueule ‘BFM enc****’. » En colère, ce manifestant pointe du doigt le toit d’un bâtiment des Champs-Elysées où de nombreux journalistes sont réunis, samedi 8 décembre, pour couvrir l' »acte 4″ de la mobilisation des « gilets jaunes ». « Eux, ils sont pas avec le peuple et ils sont planqués là-haut. Vous, si vous étiez contre le peuple, vous ne seriez pas là », continue-t-il, face à la caméra de Vincent Lapierre

Ce « journaliste indépendant » – comme il se décrit – couvre chaque semaine les manifestations parisiennes du mouvement. Dans ses reportages, tous visionnés plusieurs centaines de milliers de fois sur YouTube, on le suit dans le cortège, accompagné de gros bras qui établissent un cordon de sécurité autour de lui quand éclatent les grenades lacrymogènes.

Mais contrairement aux nombreux journalistes agressés pendant les manifestations, Vincent Lapierre, qui n’a pas de carte de presse, ne craint pas d’être pris à partie par les « gilets jaunes ». Sur les groupes Facebook du mouvement, il est régulièrement remercié et qualifié d’« honnête », « pas corrompu » et considéré comme quelqu’un qui « dévoile comment fonctionne ce gouvernement avec tous ses journalistes mafieux ». « On a l’impression que les autres journalistes prennent toujours le parti de Macron ou des policiers. Lui, c’est pas le cas », estime Suzy, une « gilet jaune » du sud de la France, interrogée par franceinfo.

« Quand on va en manif, on se fait tabasser par les CRS. Mais quand on regarde BFM, on nous dit qu’il n’y a que des casseurs et qu’ils attaquent les policiers. On a besoin de journalistes comme lui, qui vont sur le terrain et qui montrent vraiment ce qui se passe », ajoute Jonathan, qui a participé à plusieurs reprises aux cortèges parisiens. Micro à la main, Vincent Lapierre laisse les manifestants exprimer une colère sans filtre où les insultes et invectives visant le gouvernement sont fréquentes. Il n’hésite pas non plus à apporter son soutien au mouvement, notamment sur sa page Facebook : « Ça sent le régime qui a peur et qui vacille. Les #GiletsJaunes doivent tenir bon, écrit-il ainsi le 21 décembre. Je serai encore avec eux demain pour relater ce qu’il se passe réellement. »

Eric Drouet, l’un des leaders des « gilets jaunes », l’a lui-même adoubé en affirmant, le même jour, que pour l' »acte 6″, il n’avait contacté que deux médias : Vincent Lapierre et Brut, qui couvre les manifestations en direct vidéo.

Sollicités à plusieurs reprises pour cet article, Vincent Lapierre et Eric Drouet n’ont pas souhaité répondre à nos questions.   

Est-ce parce que Vincent Lapierre a fait de son opposition aux « médias traditionnels » son fond de commerce ? Son nom n’a jamais été autant recherché sur Google que depuis le début du mouvement. En plus des abonnements payants qu’il propose sur son site, il se rémunère via une cagnotte en ligne, qui lui permet de collecter 1 204 euros par mois, selon un décompte en date du 9 janvier. « Nous allons créer un média de terrain sans passer par les dollars de l’oligarchie, y explique-t-il. Un média du peuple, par le peuple et pour le peuple ! »

En plus de ses reportages sur les manifestations, une de ses vidéos, plus ancienne, est massivement partagée sur les réseaux de « gilets jaunes ». Face à la caméra, Vincent Lapierre s’insurge contre la loi anti-fake news, qu’il considère comme un danger pour la liberté d’informer. « La France glisse de plus en plus vers la dictature, affirme-t-il. Plusieurs organisations financées par l’Etat ont pour but de traquer les propos non-conformes sur internet. » Dans son viseur : le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).

L’objectif de cette vidéo, publiée en juin, était de dénoncer la suppression temporaire de la chaîne YouTube d’Egalité et réconciliation, le site d’Alain Soral. Car Vincent Lapierre a travaillé pendant trois ans pour l’organisation de l’essayiste d’extrême droite connu pour ses sorties antisémites, misogynes et homophobes, qui lui ont valu plusieurs condamnations, notamment pour « incitation à la haine ». 

Mathieu Molard, journaliste à Streetpress et coauteur du livre Le Système Soral, enquête sur un facho business (Calmann-Lévy, 2015), a croisé à plusieurs reprises la route de Vincent Lapierre. « C’est un journaliste d’extrême droite. Il a un énorme parti pris, mais il a une démarche journalistique », estime-t-il, tout en décrivant un homme « plutôt cordial si on met de côté son idéologie ». 

Vincent Lapierre et Alain Soral apparaissent pour la première fois côte à côte en 2013 pour un hommage à Hugo Chavez, le président du Venezuela mort quelques semaines plus tôt. Car Vincent Lapierre est un spécialiste de ce pays d’Amérique du Sud. Soutenue en 2013, sa thèse en sciences économiques portait sur l’accès à la santé dans un cadre de pauvreté extrême au Venezuela et en Colombie. 

Sa directrice de thèse se souvient d’un étudiant « attachant », qui « aimait l’aventure ». « Il avait eu le courage de se rendre dans des quartiers chauds de Caracas pour ses recherches, se rappelle Chantal Euzéby. Le chemin qu’il a emprunté par la suite m’a un peu surprise. Il a toujours été engagé, mais pas du tout à l’extrême droite comme aujourd’hui. C’était plutôt un contestataire doux, sympathique. » 

Un côté « doux et sympathique » qu’il n’hésite pas à mettre en scène dans ses reportages. Surtout quand il est identifié comme un journaliste d’extrême droite et que les choses dégénèrent. En 2016, il est pris à partie par le journaliste Frédéric Haziza lors du dîner du Crif, mais reste calme. « J’étais dans une discussion très paisible avec un juif, très gentil, et Haziza est intervenu en plein milieu de l’interview », affirme, face à la caméra, ce proche de Dieudonné – qu’il a interviewé à plusieurs reprises et qui a été récompensé de trois Quenelles d’or en 2016, 2017 et 2018 – avant de se tourner vers des agents en tenue pour leur demander d’une voix douce et posée : « Messieurs les policiers, Monsieur Haziza nous agresse, qu’est-ce que vous faites pour nous défendre, s’il vous plaît ? »

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Même scénario en mai 2018, lorsque Vincent Lapierre est agressé et insulté lors d’une manifestation de cheminots à Paris. « La liberté d’expression en France, la liberté d’information en France (…). Tout cela va se retrouver sur internet », hurle-t-il lorsqu’il est évacué, manu militari, par des policiers.

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Ces séquences sont reprises dans le générique de ses reportages et chaque altercation donne lieu à une série d’articles sur Egalité et réconciliation ou sur d’autres sites d’extrême droite. C’est notamment le cas lorsqu’il se rend sous une fausse identité dans l’imprimerie d’Ivan Ginioux, un militant du PS qui a réalisé les documents de campagne de François Hollande et Ségolène Royal. Vincent Lapierre affirme avoir été séquestré et porte plainte. Le procès-verbal, publié par le site d’Alain Soral, relate un épisode digne d’un film d’espionnage, entre intimidation, « loge maçonnique » et montre-caméra.

La version d’Ivan Ginioux est tout autre : « Il m’a contacté en se faisant passer pour un étudiant qui faisait une thèse sur la communication électorale, mais on s’est rendu compte de qui il était vraiment quelques heures avant qu’il arrive, raconte-t-il à franceinfo. On lui a dit de ne pas nous prendre pour des imbéciles et on a appelé la police. » Il poursuit : « Quand les policiers sont venus, il s’est mis à pleurer (…). Contrairement à Soral, c’est vraiment pas un méchant, juste un illuminé. » La plainte a été classée sans suite. 

A la fin 2018, Vincent Lapierre quitte Egalité et réconciliation pour se lancer en solo. Mais la rupture se fait dans la douleur : sa page YouTube, intitulée Le Média pour tous, est supprimée après un bras de fer autour des droits d’auteur avec Alain Soral. Ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à copieusement l’insulter sur les réseaux sociaux, explique le jeune homme dans une vidéo sur sa nouvelle chaîne, Le Média pour tous – Officiel. 

Dissensions idéologiques ou peur de la concurrence ? Alain Soral n’a pas répondu aux sollicitations de franceinfo. « Soral, c’est une entreprise et il n’apprécie pas qu’on marche sur ses plates-bandes, analyse, sous couvert d’anonymat, un acteur de l’extrême droite française. En tout cas, Vincent Lapierre a tout à gagner à s’éloigner de lui, s’il veut asseoir sa crédibilité. » Celle-ci semble aujourd’hui établie chez les « gilets jaunes ». « Facho ou pas facho, c’est pas la question, tranche Jonathan. La seule chose qui compte, c’est qu’il dise la vérité sur le mouvement. Et c’est l’un des seuls à le faire. » 


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