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Abstention : quelles pistes peut-on suivre pour réconcilier les jeunes avec la politique ?

Près de 9 jeunes sur 10 ont boudé les urnes lors du premier tour des élections régionales et départementales, dimanche 20 juin, selon une enquête Ipsos/Sopra Steria pour France Télévisions. Ils étaient près de 87% d’abstentionnistes chez les 18-24 ans et 83% chez les 25-34 ans, ce qui constitue un record pour cette élection. Les chiffres n’ont pas été meilleurs au second tour, avec 79% d’abstention chez les moins de 35 ans, d’après le même institut. 

Ce phénomène n’est pas nouveau et semble s’accentuer d’élection en élection. Quel que soit le type de scrutin, le taux d’abstention « est supérieur de dix points en moyenne à celui de l’ensemble de la population », décryptait la sociologue Anne Muxel pour Le Monde (article payant), juste après les élections municipales de 2020.

Franceinfo examine trois pistes avancées pour inciter les jeunes citoyens à s’exprimer dans les urnes.

Faciliter l’inscription sur les listes électorales

Un sondage de l’Ifop réalisé avant le premier tour des municipales en 2020 s’était penché sur les causes de l’abstention massive des 18-25 ans. La première raison qu’ils avançaient pour justifier le fait de ne pas voter était qu’ils ne pouvaient pas voter dans la ville où ils vivent ou étudient. Car, à 18 ans, tous se retrouvent automatiquement inscrits sur les listes électorales de leurs communes d’origine, mais beaucoup ont quitté le foyer familial pour partir étudier ailleurs.

« Affectant 15% des inscrits, et plus d’un tiers des 25-35 ans, la ‘mal-inscription’ sur les listes électorales continue d’alimenter mécaniquement l’abstention des étudiants comme des jeunes cadres, catégories particulièrement mobiles géographiquement et plutôt sociologiquement prédisposées à voter quand elles peuvent le faire aisément », analyse ainsi Céline Braconnier, professeure des universités en science politique et directrice de Sciences Po Saint-Germain, dans Le Monde (article payant). L’une des solutions évoquées pour faciliter leur participation pourrait être de mettre en place des bureaux de vote situés sur leurs lieux d’études, afin qu’ils n’aient pas à rentrer au domicile familial le jour du suffrage, suggère La Tribune.

Abaisser l’âge du vote 

Autoriser le vote dès l’âge de 16 ans : l’idée revient sur la table à chaque échéance électorale, tel un vieux serpent de mer. En mars, elle a de nouveau été proposée dans une tribune publiée dans Le Journal du dimanche par le député MoDem du Val-d’Oise David Corceiro et signée par une centaine de députés MoDem, LREM et anciens LREM. Tous plaident pour que les jeunes puissent voter aux élections municipales dès 16 ans, ce qui constituerait selon eux « un véritable progrès démocratique pour notre pays ». Interrogée à ce sujet sur Sud Radio, la secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, Sarah El Haïry, a estimé : « Ça vaut le coup de creuser ! » tout en précisant ne pas avoir « d’avis très tranché sur le sujet ».

C’est habituellement plutôt à gauche que l’on trouve les principaux défenseurs de cette mesure. En octobre, les députés du groupe Écologie Démocratie Solidarité (EDS) avaient déposé une proposition de loi en ce sens, portée par Paula Forteza et Matthieu Orphelin. Mais ils se sont heurtés à l’opposition de Jean Castex, qui a rapidement clos le débat à l’Assemblée. « Le gouvernement partage les préoccupations que vous avez exprimées, mais ne pense pas que l’abaissement à 16 ans de la majorité électorale – qui supposerait une modification de notre Constitution – soit la réponse la plus adaptée. Les jeunes à partir de 18 ans utilisent-ils aujourd’hui suffisamment leur droit de vote ? La réponse est non », a déclaré le Premier ministre.

Plusieurs chercheurs s’accordent pourtant à dire que cette mesure pourrait encourager la participation des plus jeunes, comme la sociologue Anne Muxel, dans Le 1 hebdo (article payant). « Plus on intègre les jeunes de façon précoce dans un apprentissage de la vie civique et politique, plus les chances sont grandes que leur participation soit durable. Tous les travaux de science politique sur la participation électorale et la socialisation politique ont bien mis en évidence ce phénomène », assure-t-elle.

Pour Céline Braconnier, l’abaissement de l’âge électoral serait intéressant si les premières expériences électorales sont accompagnées « par les familles et surtout par les établissements scolaires », a expliqué la chercheuse sur France Culture. « Les accompagner au début, c’est plus facile à 16 ans qu’à 18 ans, tout simplement parce qu’en France, l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans et que de 16 à 18 ans, on est moins mobile. »

S’adresser davantage à eux

Beaucoup de jeunes ont du mal à voir leur intérêt dans le fait d’aller voter, a fortiori après une année de crise sanitaire où ils sont nombreux à avoir eu la sensation de ne pas être réellement pris en compte par les dirigeants politiques. « Ils pourraient rendre les programmes clairs et disponibles sur une application, et faire de la ‘pub’ sur les réseaux sociaux. Je trouve qu’ils ont une communication un peu dépassée », pointe Léane, 18 ans, interrogée par franceinfo.

Pour créer davantage de proximité avec la jeune génération, les politiques ont tenté de se fondre dans les codes des réseaux sociaux, comme Emmanuel Macron qui s’est prêté au jeu des youtubeurs McFly et Carlito. Le chef de l’Etat a aussi investi TikTok, l’application de vidéos des 12-25 ans, l’année dernière, suivi de peu par le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui lui a répliqué un cinglant : « Tu hors de ma vue, va voir ton Parcoursup ! » Mais le succès de ces stratégies est très inégal, les communautés présentes sur ces plateformes se montrant plutôt méfiantes vis-à-vis des personnalités politiques. Elles considèrent que leur arrivée s’apparente à « une tentative d’instrumentalisation », décrypte Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, sur franceinfo.

L’émission « Sans Filtre » du porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a beaucoup agacé les étudiants. Le principe ? Réunir des jeunes pour discuter de la politique du gouvernement. Des influenceurs comme EnjoyPhoenix ou Fabian ont par exemple été conviés. Mais ces vedettes du web semblaient bien loin des réalités économiques des étudiants, qui ont exprimé leur réprobation sur Twitter. Résultat : le hashtag « #etudiantspasinfluenceurs » s’est retrouvé en tête des tendances pendant toute une journée. 

La sensation de déconnexion de la jeunesse vis-à-vis des politiques ne viendrait donc pas tant de la forme que du fond, comme l’explique Laurent Lardeux, chargé d’études et de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, dans un tchat organisé par Le Monde. « Souvent, ce qui revient dans les entretiens que nous menons sur le sujet, c’est que l’offre politique actuelle ne correspond pas ou plus à leurs aspirations, ou ils considèrent que ‘les politiques’ ont été défaillants depuis la récession de 2008 pour prévenir les inégalités ou la précarité », décrypte le sociologue.

Les discours politiques doivent donc évoluer pour toucher au plus près les jeunes qui « doivent être écoutés, inclus, associés et représentés. C’est l’unique condition pour qu’ils retrouvent un intérêt en la politique », martèle dans une tribune publiée dans le Huffington Post David Reviriego, étudiant au Celsa, qui s’est engagé dans la campagne Cettefoisjevote.eu contre l’abstention des jeunes aux élections européennes. Le fait de voir davantage de jeunes dans les rangs politiques serait aussi un signal positif pour Hervé Mortiz, président de l’association Les jeunes Européens, « mais attention à ce que ces personnalités ne soient pas des cautions jeunes », nuance-t-il dans Les Echos.


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