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« Il ne reste plus rien de notre ville » : comment Lytton, le village canadien en proie à des températures flirtant avec les 50 °C, a été dévoré par les flammes

Que reste-t-il de Lytton ? A son plus grand regret, cette petite commune de Colombie-Britannique, au Canada, fait la une de l’actualité. Son maire, Jan Polderman, l’a confié à la presse locale : il aurait aimé qu’elle fasse les grands titres pour sa qualité de vie. Mais après avoir battu le record de chaleur pour le Canada, ainsi que le record de chaleur pour une commune située au-delà du 45° de latitude nord, en flirtant avec les 50 °C, Lytton a peut-être été, jeudi 1er juillet, rayée de la carte. 

Franceinfo revient sur la descente aux enfers d’un petite ville sans histoire, victime soudaine du dérèglement climatique

Lundi 28 juin : un record de chaleur en vue

Lytton héberge 249 âmes. Ce petit village de Colombie-Britannique, à environ 260 kilomètres au nord-est de Vancouver, fait la une de l’actualité. En ce lundi, elle vient de battre un record de chaleur : 46,6 °C. La température la plus élevée jamais enregistrée au Canada. L’ancien record – 45 °C, relevé dans deux stations de l’Etat de la Saskatchewan, en 1937 – a été pulvérisé. Environnement Canada a émis des alertes pour la Colombie-Britannique, l’Alberta et certaines parties de la Saskatchewan, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Mais déjà l’agence prévient que les hautes pressions qui emprisonnent l’air chaud dans la région devraient générer de nouveaux records pendant la semaine.

Lytton est une petite commune rurale, entourée de montagnes, à la confluence de deux rivières. Dans la région, elle est connue des amateurs de rafting, mais aussi en tant que « hot spot », un point chaud, où l’été, il est courant de dépasser ponctuellement les 40 °C. Mais cette fois, un « dôme de chaleur » installé sur le nord-ouest américain fait cuire l’Ouest sauvage. Et, en ce lundi, un nouveau feu de forêt se déclare au nord de la ville de Kamloops, à quelque 200 km à l’Est.  

Mardi 29 juin : 49,5 °C au thermomètre

Le record de la veille est battu. Pulvérisé même. A la station météorologique de Lytton, le mercure affiche désormais 49,5 °C.  Dans ces conditions, il a fallu moins de 24 heures pour que le feu de Sparks Lake s’étende sur 2 300 hectares, provoquant l’évacuation de 150 propriétés, écrit la presse locale*. Partout où ils interviennent, les soldats du feu doivent composer avec ces conditions extraordinares. Les moteurs des hélicoptères surchauffent et les engins, soumis à rude épreuve, peinent à transporter autant d’eau que nécessaire. « La fumée est visible depuis Kamloops et les villages alentour », poursuit News 1130. Alors à Lytton, Jan Polderman, le maire du village, invite ses administrés à la prudence : en raison de la sécheresse et de l’extrême châleur, le moindre mégot de cigarette est susceptible d’enflammer la région.

Les quelques incendies en cours dans les environs dégradent déjà considérablement la qualité de l’air. Interrogé par News 1130, le maire assure que la majorité des habitants sont ainsi cloitrés chez eux. Les conditions sont « insupportables », explique-t-il, pour les humains, qui cherchent l’ombre dès qu’ils mettent le nez dehors, comme pour la végétation : « Nous voyons ce que les températures de plus en plus élevées avec le réchauffement climatique font aux arbres et aux buissons, explique-t-il sur News 1130. Les feuilles se recroquevillent, elles sont brûlées par le soleil. En journée, les arbres s’affaissent sous l’effet de la chaleur. Ce n’est pas bon. » 

Le feu de George Road, à 7 km au sud de Lytton, grandit lui aussi. Déclenché le 16 juin, il a gagné une superficie proche des 350 hectares. Un nouvel incendie, le feu de fôret de Conte Creek, lui aussi attribué à une cause humaine, vient d’apparaître au nord de Lytton. Quand la chaîne en fait mention, il ne fait « que » 1,5 hectare. Dans le village, où l’on suffoque, on espère que les températures baisseront un peu.

Dans quelques heures, un petit vent se lèvera. Il permettra bien de perdre quelques degrés. Mais il mènera aussi Lytton à sa perte. 

Mercredi 30 juin : 15 minutes pour quitter la ville

L’ordre d’évacuation est tombé dans la soirée : dans un message à ses administrés, le maire de Lytton, Jan Polderman, leur demande de quitter la ville et de se mettre à l’abri. « C’est très grave. Toute la ville est en feu, déclare-t-il sur CBC News, le média national. Il y a eu 15 minutes entre le premier signe de fumée et, soudainement, des flammes partout. » Lui est parti vers le Sud, en direction de la petite ville de Boston Bar. Dans le chaos, d’autres ont rejoint Lillooet, au Nord, ou Merritt, à l’Est. Depuis plusieurs jours, les pompiers affrontent deux feux de forêts, mais c’est un troisième feu, déclaré en fin d’après-midi, qui a pris cette petite communauté de court. 

C’est « partout où l’on regarde. » Partout, les flammes. A Lytton, les pins qui jonchent la route, les commerces et les voitures garées dans la rue partent en fumée, comme le montre une vidéo relayée par la presse locale et tournée par des habitants en fuite. 

Quand le feu s’est déclaré, les autorités de la ville ont demandé à Edith Loring-Kuhanga, directrice d’école, d’y monter un point de rassemblement. Mais la vitesse à laquelle le feu s’est propagé ne lui en laisse pas le temps. Au milieu d’une caravane de véhicules transportant une centaine d’habitants, elle a finalement fui pour Lillooet. « Il ne reste plus rien de notre ville », regrette-t-elle, interrogée par CBC Radio. « Nous sommes tous sous le choc. » « Nous n’avons pas eu le temps de réfléchir », abonde Robert Leitch, un élu municipal, cité par Global News. « Juste rassembler des affaires, les mettre dans la voiture, alerter les voisins et partir ». Dotti Phillips peut ainsi remercier la bienveillance d’un autre habitant. « S’il n’était pas venu [nous dire de partir], 15-20 minutes plus tard nous aurions été dans la maison quand elle a pris feu », raconte-t-elle.

Jean McKay a elle aussi quitté soudainement sa maison de Kanaka Bar, une communauté des Premières Nations à une quinzaine de kilomètres de Lytton. Pas le temps de faire ses bagages, même si, dans la précipitation, sa fille a sauvé un portrait de son grand-père. « Elle m’a dit : ‘Je ne sais même pas pourquoi je prends mes clés. », raconte-t-elle à Global News, convaincue qu’il n’y aura plus de maison à retrouver quand tout cela sera fini. Avec sa mère, ses deux filles et sa petite-fille, Jean s’est réfugiée à Boston Bar, dans l’établissement où elle travaille comme responsable du nettoyage. 

A Merritt, l’accueil s’organise. Sur Twitter, la mairie tente d’orienter les évacués de Lytton vers des lieux d’hébergément. Dans ces communautés rurales, il faut aussi préparer l’accueil du bétail, pour venir en aide aux fermiers dont les exploitations ont été rattrapées par les flammes. Les hôtels font de la place pour les voisins de Lytton, en coordination avec la Croix-Rouge, tandis que les particuliers ouvrent leurs portes, comme à Ashcroft, rapporte News 1130. Mais à Merritt, les autorités demandent aux habitants de « garder les habitants de Lytton dans leur prière et leurs pensées » plutôt que d’intervenir, « à ce stade ». 

Un nouveau feu se déclare à McKay Creek, proche de la ville de Lillooet, au nord de Lytton. Le média local News 1130 explique que la chaleur extrême et la sécheresse sont à l’origine de ce nouveau départ de feu. Rapidement, il est incontrôlable et se répand sur 5 000 hectares, devenant le plus important feu de la région. Mae Webster, cheffe des services de protection de l’environnement, de la santé et de la sécurité à Merritt, la ville voisine, confirme : « L’hôpital, la rue principale et la station d’ambulance de Lytton ont brûlé. Nous avons l’impression que beaucoup d’habitants sont partis vers le Sud, car il est impossible de quitter Lytton par le Nord à ce stade », dit-elle à la radio locale Q101 FM.

Jeudi 1er juillet : prendre la mesure de la catastrophe

Le jour se lève sur Merritt. Sur place, nul ne sait ce qu’il reste du village de Lytton. « Nous craignons que le petit village de Colombie-Britannique ait été détruit (…). Il y a la crainte que certains ne soient pas parvenus à en sortir », tweete la journaliste Monika Gul sur place. Dans un centre d’accueil, elle interroge les sinistrés. « Beaucoup de gens n’ont même pas pu parler à leur femme ou à leur mari. Ils ne savent pas ce qui leur est arrivé », lui confie un rescapé. 

Quatre pompiers et un véhicule ont pris la route de Lytton, pour venir en aide à leurs collègues sur place. Les pompiers de l’Etat de Colombie-Britannique sont mobilisés eux aussi. Mais avec des températures qui se maintiennent souvent au-dessus de la barre des 40 °C et une végétation asséchée, difficile de contenir les flammes. 

Impossible de savoir si Lytton a battu, en cette journée tragique, un nouveau record de chaleur. La station météo a arrêté de transmettre ses informations. Elle est vraisemblablement, elle aussi, partie en fumée. 

* Tous les liens qui suivent dans cet article mènent vers des contenus en anglais.


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