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Entre la Reine Elizabeth II et le monde de la pop, le grand jeu du « je t’aime moi non plus »

« L’excentrique est un fait particulier aux Anglais, tout spécialement parce qu’ils sont convaincus de leur propre infaillibilité, emblème et patrimoine de la nation britannique« , écrit Edith Sitwell dans son livre Les Excentriques paru en 1933 – soit sept années après la naissance d’Elizabeth Alexandra Mary et deux décennies avant le couronnement d’Elizabeth II, qui forment une même et unique personne, mais on a tous tendance à croire que la reine a toujours été queen

Depuis qu’une couronne a été posée sur le crâne d’Elizabeth II en 1953, les artistes – qui se partagent le titre des plus grands excentriques du royaume au coude à coude avec les aristocrates – ont fait de la figure très guindée de la monarque une effigie pop, punk ou rock’n’roll selon les styles. Mais le décès de la souveraine ne doit pas masquer une chose, les représentations de la Reine n’ont pas toujours été destinées à devenir des goodies vendus à des millions de touristes traînant d’immondes valises aux couleurs flashy dans les rues de Londres. 

À l’heure du réchauffement climatique, les chefs d’Etat sont régulièrement accusés par les militants écologistes de transformer leurs promesses non tenues en opération de greenwashing pour ne pas perdre la face. Il y a plus d’un demi-siècle, personne ne parlait encore d’environnement et pour changer son image conservatrice dans un monde en pleine évolution, la monarchie britannique avait eu l’idée d’utiliser les Beatles. Depuis la sortie de leur album Please Please Me en 1963, les jeunes gars aux cheveux longs étaient devenus des icônes au Royaume-Uni. Le Premier ministre travailliste de l’époque, Harold Wilson, avait donc suggéré à la reine de décorer les « Fab four ». Chose faite en 1965, quand Elizabeth II remit l’Ordre de l’empire britannique à Paul McCartney, Ringo Starr, George Harrison et bien sûr John Lennon.

Ce dernier moquait pourtant assez vivement la monarchie. « Nous avons mérité nos médailles pour n’avoir pas tué de gens », grinçait Lennon au micro des journalistes qui l’avaient interrogé sur cette entrevue royale, comme le rappelle le journal Les Echos. Il rendra sa décoration en 1969 pour protester contre l’implication britannique dans la guerre du Biafra au Nigéria. Mais pour Buckingham Palace l’important est ailleurs. Tout le long de ses sept décennies de règne, la reine a décoré une pagaille de célébrités, qui pour certaines comme Mick Jagger ont pourtant affiché des valeurs à l’opposé de la vieille monarchie. 

Un fan des Beatles grimpe sur le portail de Buckingham Palace lors de la visite du légendaire groupe de pop à la reine Elizabeth II en 1965.  (CENTRAL PRESS / AFP)

Un fan des Beatles grimpe sur le portail de Buckingham Palace lors de la visite du légendaire groupe de pop à la reine Elizabeth II en 1965.  (CENTRAL PRESS / AFP)

Les premiers à détourner l’hymne national britannique ont été les Sex Pistols en 1977. Dix jours avant le jubilé des 25 ans de règne de la reine, ils sortent le single God Save The Queen en apparentant la monarchie à un régime fasciste qui n’a pas d’avenir, avec le fameux « no future« . À l’époque, le quatuor punk est le héros de la jeune génération anglaise qui rêve plus de tremper ses lèvres dans un breuvage alcoolisé au rock que dans une tiédasse cup of tea remplie de bonnes manières et de vie convenue. Le 7 juin 1977, le jour du jubilé, les Sex Pistols ajoutent une corde à la légende en interprétant la chanson sur un bateau naviguant sur la Tamise. Après une bagarre, onze personnes furent arrêtées quand le bateau arriva au port. 

« Il ne s’agissait pas d’un effort volontaire en vue d’être diffusés et de choquer tout le monde »

Paul Cook, le batteur des Sex Pistols

Pourtant, le batteur Paul Cook n’avait pas assumé la farce, selon ses propos rapportés dans le livre No Irish, No Blacks, No Dogs, New York, de Johnny Rotten, le chanteur du groupe: « Nous ne l’avions pas écrit spécialement pour le jubilé de la reine. Nous n’en étions pas au courant à l’époque. Il ne s’agissait pas d’un effort volontaire en vue d’être diffusés et de choquer tout le monde ». 

En 1985, Andy Warhol signe une de ses œuvres les plus célèbres : Reigning Queens. Sur cette sérigraphie, l’artiste représente Elizabeth II et trois autres femmes installées sur le trône : Beatrix reine des Pays-Bas, la reine Margrethe II du Danemark et la reine Ntfombi Twala du Swaziland. L’ironie de ce portrait réalisé à partir d’un timbre poste célébrant le jubilé d’Elizabeth en 1977 ? Il est devenu un objet d’art exposé au National Portrait Gallery que certains prennent pour un hommage à la reine. Mais en plaquant une haute saturation de couleurs sur le visage d’Elizabeth II, tout comme il l’avait auparavant fait pour des travestis new-yorkaises, Andy Warhol dit en sourdine que la monarchie existe seulement dans l’oeil de ses sujets. C’est en tout cas l’interprétation qu’en a fait un critique d’art dans le journal The Guardian

La reine n’a jamais dit ouvertement ce qu’elle pensait de cette sérigraphie. Mais en 2012, elle avait acheté quatre de ses portraits par Warhol pour la collection royale. Et le National Portrait Gallery vend des tee-shirts et des mugs aux couleurs de Reigning Queens. La monarque aurait-elle été piégée par la star du pop-art qui avait dit un jour : « je veux être aussi célèbre que la Reine d’Angleterre » ? On imagine Andy Warhol et Elizabeth II jouer au jeu du « je sais que tu sais que je sais… ». 

Un tableau "Elizabeth II" de la collection Reigning Queens d'Andy Warhol, lors d'une vente aux enchères chez Christie's le 26 mars 2021 à Londres.  (DAVID CLIFF / NURPHOTO)

Un tableau "Elizabeth II" de la collection Reigning Queens d'Andy Warhol, lors d'une vente aux enchères chez Christie's le 26 mars 2021 à Londres.  (DAVID CLIFF / NURPHOTO)

C’est sans doute l’artiste de cette liste qui a été le plus en phase avec Elizabeth II. Elton John a été anobli par la reine en 1998 et a toujours chanté les louanges de la famille royale depuis. Peut-être parce que l’icône pop aux 300 millions de disques écoulés a vécu en privé un moment où il a perçu l’humanité de la reine, comme un miroir tendu à ses propres tourments. 

Dans Cure d’amour, son autobiographie parue en 2012, Elton John revenait sur les périodes de chaos de sa vie et les longues périodes où il avait sombré dans la drogue et l’abus d’alcool. Dans sa dernière autobiographie parue en 2019 et intitulée Me, il avait à l’inverse dévoilé un moment de relâchement de la reine. Un jour qu’Elton John se trouvait là, Elizabeth II avait donné une correction au vicomte Linley, fils de la princesse Margaret. “Je sais que l’image publique de la reine n’est pas exactement celle d’une frivolité sauvage, écrit Elton John. Mais, en privé, elle peut être hilarante. Je l’ai vue s’approcher du vicomte Linley et lui demander de surveiller sa soeur qui était tombée malade et s’était retirée dans sa chambre. Quand il a essayé de la repousser à plusieurs reprises, la reine l’a légèrement giflé au visage en disant : ‘N’argumente – CLAC – pas – CLAC – avec – CLAC – moi – CLAC – je – CLAC – suis -CLAC – la reine !’ En partant, elle m’a vu la regarder, m’a fait un clin d’oeil et est partie.” 

En 2012 lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres, un court-métrage de Danny Boyle est projeté. On y voit Daniel Craig, dans le rôle de James Bond, pénétrer à l’intérieur de Buckingham Palace et monter quatre à quatre les marches jusqu’au bureau de la reine. Elizabeth II se dévoile alors face à la caméra et lance un laconique « good evening Mr Bond ». La suite de la vidéo dilue un peu le charme de cette apparition en laissant traîner un faux suspense : la reine a t-elle pris place en chair et en os aux côtés de Daniel Craig dans l’hélicoptère qui décolle hors-champ de la caméra de Danny Boyle, avant de réapparaître, réelle cette fois, dans le ciel du stade olympique de Londres? Non, évidemment, c’est un cascadeur qui sauta en robe couleur saumon dans le ciel londonien. 

La reine a connu tous les James Bond (le premier film datant de 1962). Mais dans le court-métrage de Danny Boyle, elle se rabaisse au simple rang d’actrice. Rêvait-elle d’une vie plus rock’n’roll à la manière d’une conquête de 007 ? Dans son livre The Other Side of The Coin, Angela Kelly, la couturière personnelle de la reine, avait révélé qu’Elizabeth II avait accepté de briser le protocole royal pour apparaître dans cette fiction. « Elle était très amusée par cette idée et elle a tout de suite accepté ». Pour mettre du fun dans une vie trop sûrement réglée comme du papier à musique. C’est aussi de cet ennui que naît l’excentricité britannique. 


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