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« Le ministre et la Joconde » : André Malraux en flamboyant personnage de BD dans sa rocambolesque traversée de l’Atlantique avec Mona Lisa

Le ministre et la Joconde raconte en BD la traversée de l’Atlantique de Mona Lisa en 1962 à bord du Paquebot France, avec pour escorte André Malraux, ministre d’Etat du Général de Gaulle. Le précieux tableau, prêté par la France aux États-Unis, est attendu par le couple Kennedy pour être exposé à la National Gallery…

Cette traversée rocambolesque imaginée par Hervé Bourhis et Franck Bourgeron, un duo de scénaristes inspirés, nous dévoile un Malraux aux multiples facettes, et un personnage fait pour la bande dessinée. Ce régal d’album, qui égratigne gentiment une figure iconique du 20e siècle tout en lui rendant hommage, est publié le 7 septembre 2022 aux éditions Casterman. 

"Le ministre et la Joconde", p.5 (Hervé Tanquerelle / CASTERMAN)

"Le ministre et la Joconde", p.5 (Hervé Tanquerelle / CASTERMAN)

« C’est d’abord une histoire d’amitié. On a l’habitude depuis qu’on se connaît avec Franck, d’échanger ou de s’interpeller avec une faconde gaullienne, en se vouvoyant, en s’appelant par nos noms de famille », s’amuse Hervé Bourhis, le scénariste. « On était tous les deux fascinés depuis longtemps par cette époque qui va après l’après-guerre, ou en tout cas le retour du général aux affaires en 58, jusqu’à la fin de l’époque Pompidou », explique à Franceinfo Culture Franck Bourgeron, son co-scénariste.

« On avait envie depuis longtemps de faire quelque chose sur cette période. On a eu à un moment un projet sur les barons du gaullisme. C’est tombé à l’eau, et puis ensuite on s’est focalisé sur Malraux. On voulait faire quelque chose sur le Malraux vieillissant… Bref, on tournait autour de l’idée mais on ne trouvait pas l’axe » poursuit Franck Bourgeron. « Et puis un jour on était au festival de Saint-Malo sur un petit rafiot, et avec le petit roulis, et on s’est souvenu de cette histoire de traversée de la Joconde sur le Paquebot France. C’est comme ça qu’est née l’idée grandiose, sur un petit bateau », se souvient Hervé Bourhis.

Les deux scénaristes se documentent, regardent des films, relisent les textes de l’auteur. « Pas tout quand même, hein, parce que c’est quand même un peu lourdingue faut pas se mentir », s’amuse Hervé Bourhis. « On a lu la biographie officielle d’Olivier Todd, passionnante, dans laquelle il dit quel comédien extraordinaire était Malraux, qu’il qualifiait déjà de « presque personnage de bande dessinée »« , rappelle Franck Bourgeron.  

"Le ministre et la Joconde", p.11 (Hervé Tanquerelle / CASTERMAN)

"Le ministre et la Joconde", p.11 (Hervé Tanquerelle / CASTERMAN)

« Ce qui est intéressant avec Malraux, c’est qu’il n’est pas monolithique. De Gaulle est un personnage monolithique, alors que lui est un personnage complexe, avec une densité, un personnage qui a été résistant, qui a fait la Guerre d’Espagne, un grand écrivain, mais aussi un pilleur de temples, un fumeur d’opium et un grand mythomane », raconte Franck Bourgeron. « C’était marrant de s’attaquer à une légende, à ce personnage qui a commencé communiste à 17 ans, et qui a fini en notable du gaullisme, avec moustache et costume croisé », ajoute-t-il.

"Le ministre et la Joconde", p.44-45 (Hervé Tanquerelle / CASTERMAN)

"Le ministre et la Joconde", p.44-45 (Hervé Tanquerelle / CASTERMAN)

« Et puis c’est toujours intéressant de s’emparer d’un personnage qui concentre des références communes. Malraux, c’est l’incarnation du 20e siècle, qui n’a pas été paisible, c’est le moins que l’on puisse dire », souligne Hervé Bourhis. « Ensuite c’est une question de dosage. On égratigne gentiment, on a de la tendresse pour le personnage de légende », ajoute Franck Bourgeron. « C’était intéressant sur un plan scénaristique d’utiliser une aventure pour le raconter dans toute sa complexité. Cet album, c’est un peu un biopic déguisé », souligne Franck Bourgeron.

Pour le dessin,  les deux scénaristes ont d’abord pensé faire ça eux-mêmes. « Mais bon, dessiner le France, c’est pas facile, et nos tentatives pour représenter Malraux ont été des échecs. Cela ressemblait plus à des portraits qu’à un personnage », confie Franck Bourhis. « Alors on a proposé le projet à Hervé Tanquerelle. On savait qu’il serait à la hauteur », ajoute le scénariste.

« On pourrait résumer en disant De Gaulle le hiératique et Malraux l’erratique », s’amuse le dessinateur Hervé Tanquerelle, qui a fait de Malraux avec ses crayons un véritable personnage de bande dessinée.

« Je change assez souvent de style. J’avais déjà commencé un hommage à Hergé avec Groenland Vertigo en 2017, et pour cette histoire, je me suis dit qu’il fallait que je retrouve cet univers en le modifiant légèrement. J’ai pensé que l’époque, 1962, tintinesque dans l’esprit, se prêtait bien à la ligne claire, qui permet d’être à la fois dans la caricature et le réalisme. Et puis le grand soin apporté aux décors porte le récit, apporte la crédibilité », ajoute  le dessinateur, qui tient à souligner le très beau travail de mise en couleurs d’Isabelle Merlet.

 

 

« Pour Malraux, ça a été difficile de le dessiner. En général je travaille toujours en partant du nez, et celui de Malraux est impossible, de travers d’un côté, droit de l’autre… C’était compliqué », assure le dessinateur. 

« Mais j’ai beaucoup travaillé sur ses mains, sur sa gestuelle, et ça c’était un vrai bonheur », confie le dessinateur.  « Pour la Joconde, je me suis servi d’une carte postale rapportée par ma femme du Louvre. Bon et puis connaissant la fin, que je ne divulguerai pas ici, j’ai eu moins de complexes… », conclut Hervé Tanquerelle.  

"Le ministre et la Joconde", couverture (Hervé Tanquerelle / CASTERMAN)

"Le ministre et la Joconde", couverture (Hervé Tanquerelle / CASTERMAN)

« Le ministre et la Joconde », Hervé Bourhis, Franck Bourgeron (scénario), Hervé Tanquerelle (dessin), Isabelle Merlet (Couleurs), (Casterman, 88 pages, 20 €)


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