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PORTRAIT. Charles III : entre scandales familiaux et interventionnisme politique, le parcours sinueux du prince devenu roi

La reine est morte, vive le roi. A 73 ans, le fils aîné d’Elizabeth II, Charles Philip Arthur George Mountbatten-Windsor, hérite de la couronne britannique. Après sept décennies d’attente. En succédant à sa mère, disparue jeudi 8 septembre à l’âge de 96 ans, le prince de Galles a choisi de faire mentir les rumeurs qui le voyaient déjà abdiquer en faveur de son fils William. Il s’est offert son premier bain de foule devant Buckingham Palace, vendredi, avant de s’adresser aux Britanniques et de promettre de servir les Britanniques toute sa vie, reprenant l’engagement qu’avait pris sa mère Elizabeth II à son 21e anniversaire.

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Avec ses cheveux blancs, son crâne dégarni et ses célèbres oreilles de chou, Charles III devient le monarque le plus âgé à monter sur le trône du Royaume-Uni. Il doit être officiellement proclamé roi samedi 10 septembre, mais il lui faudra encore patienter quelques mois avant son couronnement, prévient le Guardian*. Celui de sa mère, 16 mois après son accession en 1953, avait été suivi par les chefs d’Etat du monde entier et retransmis pour la première fois à la télévision.

Elizabeth a 22 ans lorsqu’elle met Charles au monde, le 14 novembre 1948. Trois ans plus tard, elle devient reine et lui son héritier direct. Le petit garçon grandit sous les ors des palais, avec un avenir tout tracé. Mais le prix à payer est élevé : nourrices et gouvernantes remplacent des parents souvent absents, voyages officiels dans le Commonwealth obligent. Peu démonstrative, Elizabeth « a, très vite, fait le choix de placer ses devoirs de reine devant ceux de mère », observe sur franceinfo Philip Kyle, expert de la monarchie britannique. Si un lien se tisse malgré tout, selon le spécialiste, Charles va chercher l’affection qui lui manque auprès de sa grand-mère, la reine mère.

Il a toujours adoré sa mère, il l’a placée sur un piédestal. Mais ce n’est pas une relation mère-fils, plutôt une relation monarque-sujet.

Penny Junor, experte de la monarchie

à l’AFP

Charles est le premier de ses frères et sœur, Anne, Andrew et Edward, à quitter Buckingham pour aller à l’école. A l’adolescence, il rejoint le collège Gordonstoun, un pensionnat pour garçons fréquenté par son père dans le nord-est de l’Ecosse. Le prince Philip tient à aguerrir cet enfant sensible et gauche. « Il avait des parents durs, dont le caractère avait été forgé par des moments difficiles. Il a eu des relations très compliquées » avec eux, analyse pour franceinfo Isabelle Baudino, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’Ecole normale supérieure de Lyon.

L’aîné de la famille reste éloigné de Londres et entre à la prestigieuse université de Cambridge, où il décroche un diplôme en anthropologie, archéologie et histoire. A l’âge de 21 ans, en 1969, il hérite d’une première couronne, celle du prince de Galles, un titre traditionnellement attribué au premier fils du monarque et désormais propriété de William. Si la série The Crown, consacrée à la famille britannique, a forcé le trait en imaginant qu’il avait écrit son discours d’investiture lui-même après avoir appris la langue galloise, une histoire se noue entre Charles et cette province britannique. Son intégration dans la Royal Navy, à la fin de ses études, contribue à renforcer sa stature royale. Il y passe cinq ans et en ressort en 1977 avec le brevet de pilote d’hélicoptère et le grade de commandant.

La reine Elizabeth II pose une couronne sur son fils, le prince Charles, lors de son investiture en tant que nouveau prince de Galles à Caernarfon, le 1er juillet 1969. (CENTRAL PRESS / AFP)

La reine Elizabeth II pose une couronne sur son fils, le prince Charles, lors de son investiture en tant que nouveau prince de Galles à Caernarfon, le 1er juillet 1969. (CENTRAL PRESS / AFP)

Malgré tout, Charles ne conquiert pas le cœur des Britanniques. Sa vie sentimentale va précipiter la chute de sa cote de popularité. Son mariage arrangé en 1981 avec Diana Spencer, en dépit de son coup de foudre pour Camilla Parker Bowles, va tourner au cauchemar. Malgré la naissance de deux enfants, William et Harry, le couple, dont les infidélités et les scènes de ménage font la une des tabloïds, vit un enfer. « Nous étions trois dans ce mariage », révèle la princesse Diana à la BBC en 1995, un an avant leur divorce. L’année d’après, poursuivie par les paparazzis, la princesse meurt dans un accident de voiture à Paris. « Tout cela a cristallisé l’image de goujat maladroit de Charles », écrit le New York Times*.

Il y a toujours des fervents défenseurs de Diana qui ne supportent pas comment il a traité son épouse.

Isabelle Baudino, historienne

à franceinfo

D’autres scandales viennent ternir son image. Considéré comme excentrique et beaucoup moins réservé que sa mère, Charles défraie la chronique lorsqu’il serre la main du dictateur zimbabwéen Robert Mugabe aux funérailles du pape Jean-Paul II. A la même époque, il fait du lobbying auprès du gouvernement de Tony Blair en lui écrivant des lettres manuscrites, révèle le Guardian*. Ces notes, surnommées « Black Spider memos » en référence à l’écriture en pattes d’araignée du prince, mettent à mal la neutralité de la couronne.

Dernière affaire en date, l’ouverture d’une enquête de Scotland Yard, en février 2022, sur des suspicions concernant des dons à la fondation du prince Charles. Révélée l’an dernier, elle avait éclaboussé l’héritier du trône. Son ancien valet adjoint y est soupçonné d’avoir usé de son influence pour aider un homme d’affaires saoudien, généreux donateur à des œuvres caritatives liées à la monarchie britannique, à obtenir une décoration.

Les passe-temps favoris de ce dandy en costume trois-pièces, ou gentleman farmer, ne le réconcilient pas avec ses sujets. Intéressé par l’architecture, il choque l’opinion publique en comparant à une « monstrueuse verrue » un projet d’extension de la National Gallery, à Londres. Cet amateur de polo, de chasse et d’aquarelles se prend aussi de passion pour la botanique et l’agriculture biologique. « Dans les années 1980, il était perçu comme un amoureux de la nature, ce qui n’était pas un compliment à l’époque », rappelle à franceinfo Anna Whitelock, historienne spécialiste de la monarchie.

Le Prince de Galles au jardin botanique de Kew, dans l'ouest de Londres, le 24 février 2003. (ODD ANDERSEN / AFP)

Le Prince de Galles au jardin botanique de Kew, dans l'ouest de Londres, le 24 février 2003. (ODD ANDERSEN / AFP)

Pourtant, l’écologie est « peut-être le sujet qui va définir le règne » de Charles III, estime la professeure à la City, University of London. Il s’agit en effet d’un engagement de longue date du monarque, qui crée une fondation pour la protection des forêts tropicales, appelle à des investissements plus verts en ouverture du Forum économique mondial de Davos*, promeut l’urbanisme durable et publie son bilan carbone annuel depuis 2007*.

S’emparer d’une problématique essentielle à l’échelle de la planète donnerait une autre dimension à son règne.

Anna Whitelock, historienne

à franceinfo

L’environnement n’est pas le seul combat investi par Charles III. Au fil de cette vie passée à attendre de devenir roi, il « s’est battu pour se forger une identité en tant que prince de Galles », relève le New York Times*. Cela passe notamment par une intense activité caritative : il préside ou soutient plus de 400 organisations, dont le Prince’s Trust, qui a « aidé près d’un million de jeunes défavorisés », selon le quotidien américain. « Charles a essayé de montrer qu’il était plus qu’un dilettante à la mode, mais qu’il était aussi un monarque en devenir, digne et humain », avance la journaliste Tina Brown dans son livre The Palace Papers, cité par Le Monde.

En parallèle, le futur roi parvient à faire accepter sa relation avec Camilla Parker Bowles. Le couple attend deux ans après la mort de Lady Di pour faire sa première sortie en public, et encore six années avant de se marier, en 2005. Elle gagne en popularité auprès des Britanniques, jusqu’à devenir en 2022 la huitième membre de la famille royale la plus appréciée, selon France 24*. Charles voit même l’un de ses souhaits les plus chers se réaliser : Camilla sera couronnée « reine consort » aux côtés de son époux, avec la bénédiction d’Elizabeth II.

[Charles] a gagné en stature ces dernières années. Il a l’air bien plus assuré, plus heureux.

Penny Junor, historienne

au « New York Times »

Le prince de Galles prend de l’aisance, et ses fonctions de l’épaisseur. Charles commence progressivement à suppléer la reine dans ses devoirs, la remplaçant notamment pour les voyages officiels à l’étranger, et à l’accompagner à son traditionnel discours d’ouverture de la session parlementaire. Ses responsabilités s’accroissent encore alors qu’Elizabeth II se montre de plus en plus affaiblie après la mort du prince Philip. En mai 2022, il doit ainsi prononcer le discours du trône au Parlement, un rendez-vous solennel que sa mère n’a raté que trois fois en 70 ans de règne.

A quoi ressemblera le règne de Charles III ? Le successeur d’Elizabeth II a déjà livré quelques pistes, avant même d’être intronisé. « Il s’est dit partisan d’une monarchie un peu en retrait », rappelle l’historienne Isabelle Baudino à franceinfo. Le nouveau roi souhaite notamment réduire le nombre de membres actifs de la famille royale, chargés de la représenter lors des événements officiels.

Il veut une monarchie qui soit claire et que les gens sachent pourquoi, en quelque sorte, ils payent pour la famille royale.

Philip Kyle, expert de la monarchie britannique

à franceinfo

On ignore en revanche comment Charles III se distinguera de sa mère. Continuera-t-il d’exprimer ouvertement ses opinions, en rupture avec la réserve attendue du monarque ? « Il aura des relations peut-être plus directes avec les politiques, mais ce sera dans les coulisses et pas sur le devant de la scène », assure Isabelle Baudino. « Je ne suis pas si idiot », glissait-il ainsi à la BBC en 2018.

Le nouveau roi devra en effet assurer une forme de continuité de la monarchie. D’autant plus que la couronne a été bousculée par la rupture entre Harry et Megan Markle et la famille royale, même s’il a exprimé « son amour » pour le couple lors de son discours, ou par les accusations d’agressions sexuelles contre le prince Andrew, frère cadet de Charles. Le passé impérialiste du Royaume-Uni pourrait également être remis en question, si des pays du Commonwealth décident de suivre l’exemple de la Barbade et de devenir une république.

La famille royale britannique réunie autour de la reine Elizabeth, le 9 novembre 2019, au Royal Albert Hall, à Londres. (CHRIS JACKSON / POOL / AFP)

La famille royale britannique réunie autour de la reine Elizabeth, le 9 novembre 2019, au Royal Albert Hall, à Londres. (CHRIS JACKSON / POOL / AFP)

L’un des enjeux du règne de Charles III, voué à être bien plus court que celui de sa mère, sera de « jouer un rôle d’unificateur » pour sa famille et son pays, résume le site américain Vox*. Un rôle crucial alors que le Royaume-Uni fait face à la guerre en Ukraine, la crise énergétique et les conséquences du Brexit.

* article en anglais


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