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« The Woman King » : l’épopée des Amazones du Bénin revisitée par Hollywood

The Woman King, la fiction sur les célèbres Amazones béninoises réalisée par l’Américaine Gina Prince-Bythewood et portée par sa compatriote oscarisée Viola Davis, sort en salles les 16 et 28 septembre, respectivement aux Etats-Unis et en France. L’action se déroule en 1823 au Dahomey, le Bénin actuel, en Afrique de l’Ouest.

La jeune Nawi, incarnée par la comédienne Thuso Mbedu, est une orpheline élevée par un oncle cupide. Elle décide alors de rejoindre le régiment des Agodjiés (« Agoodjiés« ) ou « Minons ». A leur tête, la générale Nanisca (Viola Davis). Soumises à un rude entraînement et marginalisées par la société, ces soldates sont formées pour protéger le roi Guezo, interprété par le Britannique John Boyega, et défendre le royaume. Notamment contre les marchands d’esclaves portugais. 

Projeté en première mondiale au Festival de Toronto (TIFF), au Canada, The Woman King est déjà adoubé par les critiques : sur le site Rotten Tomatoes, il a obtenu une note supérieure à 90%. De quoi rassurer certains Béninois, qui en découvrant les premières images du film, ont émis des réserves. La bande-annonce de The Woman King, diffusée début juillet, a immédiatement nourri la polémique dans le pays natal des fameuses combattantes. 

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« La bande-annonce a suscité des réactions mitigées, a expliqué à franceinfo Afrique le journaliste béninois Maurice Thantan. « Certains ont exprimé leur fierté à propos du fait qu’une histoire typiquement béninoise, celle des Agodjiés soit portée à l’écran ». Ces dernières formaient « un régiment militaire entièrement féminin qui a existé jusqu’à la fin du XIXe siècle dans le royaume de Danxomè (ou Dahomey)« , peut-on lire sur le site officiel du gouvernement béninois. Cette armée inédite est l’œuvre d’une femme tout aussi exceptionnelle, Tassi Hangbé, qui régna de 1708 à 1711 en se faisant passer pour son frère jumeau tué à la guerre, le roi Akaba. 

« D’autres dénoncent une ‘appropriation culturelle’, poursuit Maurice Thantan. Ils craignent que l’histoire ne soit dévoyée dans le récit cinématographique. Un jeune cinéaste béninois, Sèdo Tossou, a regretté qu’il n’y ait pas d’acteurs béninois au casting ». Sur les réseaux sociaux, ce dernier plaide pour « l’authenticité » et dénonce un film « qui utilise notre histoire mais n’implique aucun Béninois dans la production ». « Pourtant les Afro-Américains ont l’habitude de se plaindre d’appropriation culturelle ». Sèdo Tossou égratigne également l’accent des comédiens et se dit « fatigué de voir des films où les acteurs imitent un accent nigérian grotesque (quel que) soit le pays africain où l’action est (censée) se passer ». Un débat auquel échapperont les cinéphiles qui verront le film en français puisque l’effort fait dans la version originale, comme dans le film Black Panther (2018) de Ryan Coogler, n’est plus perceptible.  

L’écrivain béninois Florent Couao-Zotti a réagi dans un post sur Facebook en qualifiant d’« hérésie » une polémique autour d’une bande-annonce qui, généralement, « montre tout (et) en même temps presque rien ». Quant à la question de « l’appropriation culturelle », l’auteur note que les Américains ont toujours puisé dans les cultures du monde « pour nourrir leurs inspirations ». D’autant que, pour le conseiller technique à la culture au ministère béninois du Tourisme, de la Culture et des Arts, The Woman King « constitue le film le plus ancré dans l’ère et l’histoire africaines » qu’Hollywood ait jamais produit, « l’Afrique noire (n’ayant) pas suscité grand chose dans (cette) industrie ».

Pour ses interprètes et sa réalisatrice, toutes noires, The Woman King a une dimension symbolique. « C’est un film porté par des femmes noires à la peau foncée », a insisté Viola Davis sur le plateau de Good Morning America où elle était invitée le 13 septembre 2022. « Quand avez-vous vu cela ? Jamais ! », a poursuivi la coproductrice du film. Des femmes à qui l’on a souvent dit qu’elles étaient « invisibles »« C’est mon cadeau à la Viola de 6 ans que l’on a toujours traitée de noire et de laide » afin de lui dire « qu’elle compte », a encore déclaré la comédienne. 

En promotion Outre-Atlantique, l’équipe de The Woman King s’épanche et évoque une expérience quasi-mystique à laquelle renvoie ce long métrage tourné en Afrique du Sud. Lors d’une émouvante table ronde 100% féminine, organisée par le magazine américain Essence, les artistes ont confié avoir trouvé la force dans l’idée de raconter « l’histoire de (leurs) ancêtres ». C’est pour cela que Prince-Bythewood a tenu à réunir « la diaspora » : outre la Sud-Africaine Thuso Mbedu et l’Américaine Viola Davis, on retrouve à l’affiche du long métrage la Britannique Lashana Lynch (la nouvelle 007 dans la franchise James Bond) et Sheila Atim qui est Ougandaise et Britannique. Dans les moments les plus difficiles, Lashana Lynch explique ainsi avoir été motivée par le fait que les Agodjiés puissent être « fières » de son interprétation.

Car The Woman King, ce portrait de guerrières est aussi une prouesse physique pour les comédiennes à qui la réalisatrice a demandé d’effectuer, elles-mêmes, leurs cascades et leurs scènes de combats. Viola Davis raconte, dans un grand éclat de rire, qu’elle ne manquait pas de rappeler à Gina Prince-Bythewood qu’elle avait 56 ans et que tous ces efforts pourraient lui causer « une crise cardiaque » et la tuer, contrairement à ses collègues trentenaires. « Mon corps a vécu un enfer », confiait déjà Viola Davis, tout comme ses partenaires, dans une pastille réalisée par la production du film. 

(Le meilleur film d’action est axé sur l’histoire et les personnages. Pour #TheWomanKing, cela signifiait que nos acteurs faisaient leurs propres combats et cascades. Ils ont TOUT donné pour incarner pleinement ces guerriers)

Tous ces efforts pour donner vie à The Woman King devront être validés par le public et donc un succès au box-office. Selon Viola Davis, cela est indispensable pour démontrer à Hollywood qu’un film dont les têtes d’affiche sont des femmes noires est rentable. « Ce film doit rapporter de l’argent, sinon cette conversation (sur la diversité au cinéma) est nulle et non avenue », a lancé Viola Davis à Toronto.  

The Woman King a coûté 50 millions de dollars (plus de 50 millions d’euros), indique The Hollywood Reporter. Et la production a fait appel à des Béninois, tout comme des repérages ont été faits au Bénin, assure Maurice Thantan. Par ailleurs l’actrice et productrice américaine Maria Bello, qui a soumis l’idée de ce film à Viola Davis en 2015, a découvert les Agodjiés en se rendant dans le pays.

« On a des débats à fleur de peau alors que tout cela est très commercial », analyse Maurice Thantan. Une certitude : cette polémique rend bien compte de l’intérêt croissant des Béninois, eux-mêmes, pour leurs illustres compatriotes. « La plupart (d’entre nous), a priori ceux qui ont fini le cours primaire, ont au moins une fois entendu parler des Amazones, note le journaliste. Cependant, on n’avait pas conscience de leur grandeur et de leur caractère unique sur le continent. Le fait qu’Hollywood s’intéresse au sujet donne davantage de raisons aux Béninois d’aller s’approprier cette histoire qui fait déjà partie de notre identité ».

Une démarche qui résulte aussi « d’une volonté politique ». « Le gouvernement fait de gros investissements dans le domaine de la culture et du tourisme », rappelle Maurice Thantan. Inaugurée le 31 juillet, à la veille de la célébration de l’indépendance du Bénin, une amazone géante de 30 m trône désormais dans Cotonou, la capitale économique. Le monument attire « une foule immense », selon le journaliste béninois. Un musée sera bientôt consacré aux Agodjiés.

Depuis le succès de Black Panther et de ses Dora Milaje qui sont inspirées des Amazones, Hollywood semble s’être entiché des guerrières béninoises. La comédienne kényane Lupita Nyongo’o, qui a incarné une Dora Milaje dans le film de Ryan Coogler et pressentie pour le rôle de Nawi dans The Woman King, a réalisé un documentaire sur les soldates, Warrior Women, diffusé en mars 2022 aux Etats-Unis

Par ailleurs, la suite prévue de Black Panther devrait davantage mettre en avant ce régiment féminin qui protège le trône de l’imaginaire royaume africain du Wakanda. Pour les plus impatients, The Woman King promet de l’action et de l’émotion. Assez pour convainvre les Béninois les plus sceptiques ? Réponse dans quelques mois quand la fiction arrivera dans les rares salles de cinéma dont dispose le pays et qu’elle sera peut-être doublée en fon, la langue des Amazones et l’une de celles les plus parlées au Bénin. 

The Woman King de Gina Prince-Bythewood
Avec Viola Davis, Thuso Mbedu, Lashana Lynch, Sheila Atim, Hero Fiennes Tiffin et John Boyega
Sortie française : 28 septembre 


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