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PORTRAIT. Journées parlementaires du RN : Jean-Philippe Tanguy, nouveau visage d’un parti qui rêve de gouverner

« Je ne veux pas me faire passer pour un saint, mais franchement, je n’aime pas spécialement faire parler de moi ». En quelques semaines, Jean-Philippe Tanguy est pourtant passé de l’ombre à la lumière. Inconnu du grand public avant sa victoire dans la 4e circonscription de la Somme il y a trois mois, le député de 36 ans s’est imposé comme la figure montante du RN. “LCP devrait lui payer des royalties. C’est grâce à des gens comme lui que la chaîne fait de bonnes audiences”, ironise Thomas Ménagé, l’un de ses meilleurs amis, propulsé lui aussi à l’Assemblée nationale en juin.

Ce dernier, qui a battu l’ex-ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer dans le Loiret, gardera longtemps en mémoire la nuit du 21 au 22 juillet. Les 89 députés du parti d’extrême droite viennent de voter en faveur du texte du gouvernement sur le pouvoir d’achat et Jean-Philippe Tanguy se présente à la tribune. “Silence ! Silence pour la France !”, assène-t-il, au petit matin après des débats interminables, pour tenter de calmer des députés de La France insoumise.

Un « cri du cœur« , comme il aime le qualifier, et des envolées lyriques dans l’hémicycle qui lui ont donné une autre dimension politique. Ce statut de nouvel homme fort du RN, personne ne l’avait vraiment vu venir. « Jean-Philippe, c’est la révélation pour moi. Je savais qu’il était bon, mais je pensais pas qu’il serait aussi à l’aise », confie Caroline Parmentier, l’ancienne conseillère presse de Marine Le Pen, qui siège à ses côtés au Palais Bourbon.

« Il me fait beaucoup rire. En fait, il me fait penser à l’humoriste Thierry Le Luron. Physiquement, mais surtout pour son intelligence et ses piques au vif souvent très drôles »

Caroline Parmentier, députée RN du Pas-de-Calais

à franceinfo

Si cette séquence hors du temps a beaucoup amusé Marine Le Pen sur le moment, la patronne du RN ne s’est pas privée de recadrer son nouveau poulain sur ses prises de parole parfois « trop cash ». « Elle m’a dit il fallait que je varie mon style lors de mes interventions. Ne pas être uniquement dans l’attaque frontale. Elle a raison. En même temps, quand Marine Le Pen te donne un conseil, tu l’écoutes », confirme Jean-Philippe Tanguy. Début juillet, sa sortie polémique, en plein scandale sur les Uber files, avait également choqué jusque dans les rangs du RN. Le député de la Somme, qui le regrette aujourd’hui, avait parlé des « aspirations homoérotiques » qu’aurait su solliciter Emmanuel Macron chez « un certain nombre de cadres »de l’entreprise Uber quand il était banquier.

Jean-Philippe Tanguy, que ses proches s’amusent à comparer à « un député à l’ancienne, façon IIIe République », n’a en fait rien d’un novice. « Ça fait dix ans que je bosse dans l’ombre, mais de manière très active pour le corps souverainiste national », rappelle-t-il, avec son zozotement habituel.

Bras droit de Nicolas Dupont-Aignan pendant huit ans, le gaulliste a quitté avec fracas son ancien patron pour rejoindre les rangs du RN en 2020. Un départ douloureux que le leader de Debout la France n’a toujours pas digéré. « Je ne m’abaisse pas dans le caniveau dans lequel font commerce certains. Ils apprendront qu’on ne réussit jamais sans pouvoir se regarder dans la glace. Vu les enjeux du pays, par pitié, un peu de hauteur », râle-t-il auprès de franceinfo.

Depuis que Jean-Philippe Tanguy est député, les deux hommes ont bien tenté de se rabibocher dans les couloirs de l’Assemblée. Mais les rancœurs sont tenaces. « Nicolas Dupont-Aignan est individualiste, il ne souhaite pas que d’autres députés de son mouvement soient élus. Mais tout cela n’est pas conscient chez lui : il n’a jamais établi de grands plans machiavéliques pour piéger les gens », fusille Jean-Philippe Tanguy.

Très critique aussi sur le choix de son ancien mentor de ne pas s’allier à Marine Le Pen lors des législatives et des européennes en 2017 et 2019, Jean-Philippe Tanguy reconnaît malgré tout qu’il lui a « beaucoup appris ». « L’école Dupont-Aignan est une bonne école. Quand vous avez un type qui vous donne des cours particuliers de politique pendant plusieurs années, ça vous aide forcément pour la suite », glisse à franceinfo Alexis Villepelet, le porte-parole actuel de Debout la France.

« La bonne école », le jeune parlementaire explique l’avoir aussi connue lorsqu’il travaillait comme stagiaire, puis comme apprenti pour Clara Gaymard, la présidente de General Eletric France. C’est notamment durant cette expérience professionnelle de trois ans qu’il a pu devenir un spécialiste des questions énergétiques. « Lorsqu’il bossait avec nous à Debout la France, je me souviens qu’il avait tenté d’écrire un pavé de 600 pages sur l’énergie. Il nous parlait toujours des cuves à fioul que les gens modestes doivent remplir pour se chauffer. Il disait qu’avec l’inflation qui risquait de se produire dans les prochaines années, ça allait être de plus en plus compliqué pour eux », rapporte Alexis Villepelet.

Cette connaissance des sujets techniques et « sa capacité de travail hors norme, y compris la nuit », selon ses proches, Jean-Philippe Tanguy la met aujourd’hui au service du RN. Le jeune diplômé de l’Essec a d’ailleurs été l’un de ceux qui a travaillé le plus activement, en tant que directeur adjoint de la campagne de Marine Le Pen, sur la thématique du pouvoir d’achat. « En septembre, quand Marine nous dit que la thématique de la campagne, ce serait le pouvoir d’achat, Jean-Philippe a été l’un des premiers, voire le premier, à dire qu’il fallait passer la TVA à 0% sur les produits de premières nécessités« , confirme le député du Nord, Sébastien Chenu.

Avec Jean-Philippe Tanguy, nous avons à présent un vrai spécialiste des sujets économiques au RN. C’est la pièce qui manquait à notre dispositif »

Sébastien Chenu, député RN du Nord

à franceinfo

Ce rôle d’« expert économique » au cœur même de la machine mariniste, Jean-Philippe Tanguy l’a pris très à cœur. Mais il préfère louer le travail des Horaces. Ce petit club confidentiel, composé de hauts fonctionnaires et de dirigeants d’entreprises influents, a élaboré une grande partie du projet présidentiel de la députée du Pas-de-Calais, en particulier sur la réforme des retraites. « Oui, j’ai pu aider en faisant le lien entre la candidate et des gens qui étaient plus des techniciens que des hommes politiques. Mais c’est vrai que j’aime bien monter au créneau sur les sujets économiques, parce que je me forme à ces thématiques depuis longtemps », confie le diplômé de Sciences Po Paris.

Même l’insoumis Eric Coquerel, assez facilement élu contre lui en juillet à la tête de la prestigieuse commissioncdes Finances de l’Assemblée, a bien du mal à lui trouver des défauts. « C’est avant tout un député d’extrême droite. Mais contrairement à beaucoup d’autres, il a un peu plus d’expertise des dossiers. Cela lui permet d’être un peu plus fin et de mettre ses connaissances au service d’un certain sens tactique et moins caricatural », lance le député LFI de Seine-Saint-Denis. Pour son collègue Alexis Corbière, les critiques sont en revanche plus acerbes. « Un discours raté, un soutien à Emmanuel Macron sur les mesures anti-sociales, une candidature échouée : joli bilan ! », tacle l’insoumis.

Quand il regarde derrière lui aujourd’hui, Jean-Philippe Tanguy n’imaginait pas ce début de carrière supersonique. Le natif de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) qui a rapidement voulu s’émanciper de ses parents, secrétaire et dirigeant d’une usine de meubles, n’était pas vraiment prédestiné à la politique. « C’est grâce à mes lectures que je connais aussi bien mon pays aujourd’hui. Ma passion pour l’histoire m’a aussi beaucoup aidé », confie le trentenaire. Pour payer ses études, alors qu’il débarque à Paris à 18 ans, il travaille comme serveur dans une crêperie à Beaubourg. Mais sans gros revenu, il est difficile pour le jeune étudiant de se loger dans la capitale.

Je me suis retrouvé à Paris dans un taudis place de Clichy. Un 7m2 sans cuisine. Je faisais chauffer mes plats sur un réchaud électrique dans le couloir. Beaucoup de gens vivent comme ça en France. »

Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme

à franceinfo

A moins de cinq ans de la prochaine élection présidentielle, Jean-Philippe Tanguy casse les codes d’un parti qui essaie d’apparaître comme fréquentable. L’objectif est clair : professionnaliser le Rassemblement national depuis l’Assemblée en envoyant au front de jeunes élus qui incarnent ce RN « new look ». La décision de Marine Le Pen d’offrir au député de la Somme les fonctions de numéro deux du groupe à l’Assemblée nationale n’a rien d’anodin. Tout comme le choix de l’envoyer candidater à a présidence de la commission des Finances de la chambre basse.

Ambition, jeunesse, matière grise… Si certains dans l’opposition voient en ce visage montant du RN le nouveau Florian Philippot, la comparaison ne plaît guère à Jean-Philippe Tanguy et ses proches. « A l’époque, Florian Philippot avait essayé d’imposer un autre ligne politique et surtout sa personne pour faire de l’ombre à Marine Le Pen. Là, ce n’est pas du tout le cas : ce groupe parlementaire est là pour pousser la candidature et la victoire de Marine le Pen en 2027 et Jean-Philippe fait partie de cette pierre angulaire vers la victoire », le défend Thomas Ménagé.

« Marine Le Pen, c’est l’incarnation même de notre famille politique, à la fois par ses qualités humaines et par ses idées. Nous sommes à son service, à l’instar des gaullistes avec leur général »

Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme

à franceinfo

Jusqu’où ira le dévoué Jean-Philippe Tanguy ? Si certains au RN l’imaginent déjà futur ministre de l’Economie en cas de victoire de Marine Le Pen à l’Elysée en 2027, le petit protégé de la leader d’extrême droite ne veut pas brûler les étapes. « Pensez à un poste de ministre cinq ans avant le scrutin, c’est méconnaître les arcanes du pouvoir », lâche-t-il, sourire en coin. Avant d’ajouter, ambitieux : « Si ça se trouve, Marine Le Pen aura peut-être plus besoin de moi au château. Il vaut mieux avoir quelqu’un de confiance au poste de secrétaire général de l’Elysée et plutôt nommer une personne de ralliement à un poste ministériel. »


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