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Guerre en Ukraine : le franchissement de la rivière Oskil, l’une des clés de la contre-offensive de Kiev dans l’Est

« Les forces armées ont passé l’Oskil. Depuis hier [samedi], l’Ukraine contrôle la rive gauche. » Le commandement stratégique de l’armée ukrainienne a fait cette annonce, dimanche 18 septembre, en diffusant une vidéo accompagnée d’une musique rock. Sur ces images, un char emprunte un ponton mobile, qui s’enfonce dans l’eau sous son poids. Puis le véhicule poursuit son chemin devant des soldats en rang d’oignons, avant de s’engouffrer sur un chemin de terre ridé par une ornière, qui suggère le passage antérieur d’autres blindés.

Les images d'un franchissement de l'Oskil (Ukraine) sont apparues sur les réseaux sociaux, le 18 septembre 2022, avant d'être reprises par le commandement stratégique des forces ukrainiennes. (ANATOLIY CHTIRLITZ / TELEGRAM)

Les images d'un franchissement de l'Oskil (Ukraine) sont apparues sur les réseaux sociaux, le 18 septembre 2022, avant d'être reprises par le commandement stratégique des forces ukrainiennes. (ANATOLIY CHTIRLITZ / TELEGRAM)

L’annonce de Kiev a été largement reprise dans la presse internationale, sans grande prudence. « L’armée ukrainienne est douée pour la communication et il ne faut pas s’enflammer », tempère Ulrich Bounat, analyste géopolitique et auteur de La guerre hybride en Ukraine, quelles perspectives ? (éd. du Cygne). A ce stade, il n’y a effectivement pas « véritablement d’images de forces ukrainiennes sur l’autre rive ». Et les sources prorusses ou les témoignages de civils ne font pas encore mention de combats. Il n’y a donc « pas assez de recul » pour affirmer que l’Ukraine a massivement franchi l’Oskil.

Il n’est pas impossible, en revanche, que « des forces spéciales aient franchi la rivière ». De nombreuses informations non vérifiées bruissent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux. Vendredi, l’unité spéciale Kraken avait notamment revendiqué un franchissement aux environs de Koupiansk. Ce bataillon, distinct de l’armée, est composé de « groupes individuels » engagés sur « des tâches précises », expliquait à Radio France l’un des ses commandants, fin août. Avec, pour spécialité, les missions de reconnaissance. Les images d’une opération amphibie ont également fait surface, avec le débarquement d’une poignée d’hommes.

Un cours d’eau constitue un obstacle difficile à franchir pour des troupes. Depuis le 11 septembre, pic de la contre-offensive ukrainienne dans la région de Kharkhiv, la rivière fait office de frontière naturelle entre les deux belligérants. L’armée ukrainienne, de son côté, avait diffusé des images de véhicules russes abandonnés dans la rivière après le retrait. « Cette rivière n’est pas forcément large, mais elle constitue un barrage naturel important », confirme Ulrich Bounat. « Il n’existait que trois ou quatre ponts entre Izioum et Koupiansk, qui ont d’ailleurs été détruits » ou endommagés.

« Franchir ce cours d’eau suppose une logistique importante. En le franchissant trop tôt, les forces ukrainiennes risquaient également de se trouver isolées. »

Ulrich Bounat, analyste géopolitique

à franceinfo

Les forces russes sont désormais retranchées à l’Est (rive droite) et s’efforcent de consolider leurs positions. Tout l’enjeu pour Kiev est d’établir des têtes de pont sur cette rive, avant d’envisager le lancement d’éventuelles offensives dans la région de Louhansk, nouvel objectif de Volodymyr Zelensky. Le cas échéant, reste à savoir comment les forces ukrainiennes pourront tenir ce cours d’eau. « Tout dépend de la capacité de l’armée russe à reconfigurer ou reformer un front défensif à l’est de la rivière Oskil », a estimé sur franceinfo Edouard Jolly, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem).

La rivière Oskil fait office de frontière naturelle entre les forces ukrainiennes et russes depuis le succès de la contre-offensive menée par Kiev. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

La rivière Oskil fait office de frontière naturelle entre les forces ukrainiennes et russes depuis le succès de la contre-offensive menée par Kiev. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Le contour exact d’une future ligne de front est encore incertain, mais les forces russes semblent toutefois constituer des forces à Svatove, écrivait samedi (en anglais) le ministère de la Défense britannique. A une trentaine de kilomètres, donc, à l’est du cours d’eau. « Cette ligne longe la frontière de l’oblast de Louhansk », souligne la même source, alors que la Russie fait de la « libération » du Donbass « l’un des ses objectifs immédiats ».

« Il n’y a pas beaucoup de villes et d’obstacles naturels » pour arrêter une éventuelle progression ukrainienne entre Svatove et l’Oskil, fait remarquer Ulrich Bounat, ce qui peut également expliquer ce choix plus en retrait. La ville, par ailleurs, est desservie par un axe routier important pour les forces russes (P66) et traversée par une autre rivière, la Krasna. Sans surprise, l’Ukraine mène donc des frappes sur cette localité : elle affirme avoir tué (en ukrainien) 200 soldats russes logés dans un hôtel de la ville, tandis que les autorités séparatistes locales, elles, font état de sept immeubles civils détruits (en ukrainien).

En attendant, les combats font toujours rage dans la partie est de Koupiansk, ville à cheval sur l’Oskil, avec une poche de résistance russe qui n’a toujours pas cédé depuis la contre-offensive. Les civils tentent toujours de fuir les bombardements, tandis que les pénuries d’eau et d’électricité s’aggravent. Dans le Sud-Est, les affrontements se concentrent à Lyman, ville située sur la rivière Donets et elle aussi coupée en deux. La prise de ce verrou est tout aussi capitale pour ouvrir la route du Donbass.

En cas de victoire ukranienne, le front pourrait alors se déplacer rapidement vers Svatove et mettre la P66 à portée de tir ukrainien, estime Ulrich Bounat. Cela risquerait de « couper les approvisionnements provenant de la frontière avec la Russie au Nord » et de « mettre sous pression, à terme, les positions russes à Sloviansk et Severodonetsk ».

Au vu du contexte, l’annonce de référendums d’adhésion à la Russie, dans les territoires séparatistes de Louhansk et de Donetsk, n’est pas surprenante. Car ces régions, si elles sont intégrées à la fédération russe, bénéficieront à leur tour de la protection nucléaire. De quoi dissuader Kiev d’engager plus loin ses troupes pour reconquérir des parties du Donbass ? Selon Ulrich Bounat, les initiatives référendaires séparatistes, et l’accueil favorable que leur réserve le Kremlin, témoignent en tout cas « des difficultés opérationnelles des forces russes, qui ont perdu l’initiative dans le secteur. »


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