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Quand Benjamin Millepied transforme « Roméo et Juliette » en une célébration universelle de l’amour

Surplombé par un écran géant, un rectangle rouge sang forme la scène prise d’assaut par des bandes rivales. Les rixes se poursuivent en coulisse filmées en mouvement au plus près des danseurs. Le drame Roméo et Juliette de Shakespeare, Benjamin Millepied l’avait d’abord abordé par un court métrage centré sur deux comédiens. Une expérience qui a débouché sur l’envie de créer un spectacle qui combinerait « théâtre et cinéma en direct, pour créer une narration fluide, une proximité et une intimité avec les danseurs », explique le chorégraphe à Franceinfo.

"Roméo et Juliette" de Benjamin Millepied (JULIEN BENHAMOU)

"Roméo et Juliette" de Benjamin Millepied (JULIEN BENHAMOU)

La vidéo utilisée souvent à outrance au théâtre depuis une dizaine d’années, trouve ici un juste équilibre en utilisant intelligemment les vastes espaces de la Seine Musicale. « Dans la danse la violence est difficile à exprimer, on a essayé de créer quelque chose qui soit vraiment réaliste, viscéral. Je me sers de la caméra notamment pour ça ». Un apport de la vidéo remarquable aussi dans certains tableaux : une caméra placée au-dessus de la scène donne l’impression qu’il y a le double de danseurs. Et vus du ciel, ces corps ressemblent à des notes de musique qui prendraient vie sur la partition de Prokofiev.

Roméo ce soir-là est incarné par un magnifique danseur noir, David Adrian Freeland Jr. On cherche Juliette des yeux lorqu’un pas de trois enjoué entre un jeune barbu (Mario Gonzalez) et deux danseuses finit de nous éclairer : le couple d’amoureux maudits est incarné par deux hommes. « Ça me semblait évident, explique Millepied. Aujourd’hui dans mon entourage, en studio, les danseurs ont des orientations sexuelles différentes, ça s’est imposé. Ce n’est pas une revendication, tout simplement ça me semblait normal, naturel. J’ai appris des choses et le public aussi, confronté à quelque chose qu’il n’a pas l’habitude de voir. Il y en a que ça va déranger mais je fais ce qui me semble juste, inspiré ».

Mario Gonzales (Juliette) et David Adrian Freeland, Jr. (Roméo) dans une chorégraphie de Benjamin Millepied (JULIEN BENHAMOU)

Mario Gonzales (Juliette) et David Adrian Freeland, Jr. (Roméo) dans une chorégraphie de Benjamin Millepied (JULIEN BENHAMOU)

Ainsi, les combinaisons changent à chaque représentation : les rôles-titres sont incarnés par deux hommes, deux femmes, ou un homme et une femme. D’abord surpris, on est vite convaincus lors d’un pas de deux ardent entre les deux danseurs, filmés sur l’esplanade de la Seine Musicale. Un baiser, des mains qui se nouent, Millepied zoome et dézoome sur le couple.

Mais la révolution Millepied s’arrête ici, son alphabet est d’une grande beauté classique sous l’ombre de ses chorégraphes préférés Balanchine ou Robbins, et loin de la passion qu’il a toujours défendue pour des formes dansées plus contemporaines. En tout cas, que Juliette et Roméo soient homme ou femme, les enchaînements demeurent les mêmes.

"Roméo et Juliette" chorégraphié par Benjamin Millepied (JULIEN BENHAMOU)

"Roméo et Juliette" chorégraphié par Benjamin Millepied (JULIEN BENHAMOU)

Plus déstabilisant, le chorégraphe prend pour acquis la rivalité meurtrière des Montaigus et des Capulets. On pourrait tout aussi bien, à certains moments, assister à West Side Story tant l’histoire est éludée, on se perd un peu pour savoir qui incarne les amis de Roméo et qui sont les garçons du côté de Juliette. Mais la troupe de danseurs, tous remarquables (Shu Kinouchi et Oliver Green-Cramer en particulier) fait qu’on s’intéresse d’abord à la chorégraphie. On regrettera cependant une fin un peu escamotée, on aurait aimé rester encore un peu avec ce couple maudit pour ce qui demeure la plus belle histoire d’amour de tous les temps.

« Roméo et Juliette suite » de Benjamin Millepied avec le L.A. Dance Project
A la Seine Musicale jusqu’au 25 septembre 2022
Île Seguin, Boulogne-Billancourt
01 74 34 54 00


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