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« Athena » sur Netflix : Romain Gavras, le « fils de » qui s’est fait un nom en réalisant des courts, des clips et des films chocs

Athéna, déesse grecque de la stratégie guerrière et de la sagesse. Une dichotomie au cœur du nouveau film du réalisateur français Romain Gavras (Notre jour viendra, Le Monde est à toi) qui sort sur Netflix vendredi 23 septembre. Athena est précédé d’une réputation flatteuse depuis son passage à la Mostra de Venise. Le long-métrage raconte l’embrasement d’une cité française, baptisée du nom de la déesse, après la mort d’un de ses jeunes habitants dans des circonstances troubles. Il nous plonge dans une fratrie, endeuillée par la perte du plus jeune frère, qui va imploser.

Lors de sa mise en ligne, la bande-annonce avait également été critiquée par les partisans du Rassemblement national, qui liaient inévitablement la violence aux banlieues. Une odeur de polémique à laquelle le réalisateur est habitué, mais qu’il se défend de rechercher. Vu comme une « tragédie au sens grec du terme », le film arrive pourtant dans un contexte social tendu. « Je ne dis pas qu »Athena’ ne fera pas polémique, prévient le réalisateur au magazine Premiere. Mais cet esprit polémique a été absent de sa confection. » Co-écrit avec Ladj Ly, réalisateur des Misérables, qui racontait déjà la révolte d’une cité après une bavure policière, Athena donne l’occasion de se pencher sur le parcours de Romain Gavras.

Romain Gavras, 41 ans, est né à Paris. Et si ce patronyme résonne aux oreilles des cinéphiles, c’est normal puisque Romain est le fils de la productrice Michèle Ray-Gavras et du réalisateur grec Costa-Gavras (Z, L’Aveu, Amen…). Difficile d’échapper au septième art dans cette famille, puisqu’un de ses frères est producteur et sa sœur réalisatrice, comme lui. « J’ai un frère aîné qui tient une chambre d’hôtes. Il a été sauvé par les dieux du cinéma ou les dieux des chambres d’hôtes », s’amusait-il dans The Guardian (en anglais).

« Les enfants se construisent par opposition à quelque chose. »

Romain Gavras, réalisateur

dans « The Guardian »

Cette étiquette de « fils de » ne le dérange pas. « Ça fait partie de moi. Au contraire, c’est une fierté d’être le fils de Costa-Gavras. Je n’ai jamais vu ça comme un fardeau », assure-t-il dans une interview pour le site Chaosreign. De son père, cinéaste politique, il a appris « la rigueur… Et se brosser les dents chaque matin ! », rigole-t-il dans un entretien à l’AFP. Il a aussi découvert très tôt « des films qui n’étaient pas de [son] âge », raconte-t-il dans Premiere. D’où un amour prononcé à l’adolescence, par opposition au paternel, pour Bruce Willis et la trilogie Die Hard.

Romain Gavras a grandi dans un immeuble du 20e arrondissement de Paris, où il rencontre son acolyte Kim Chapiron, fils de Christian Chapiron, dit « Kiki Picasso », graphiste et peintre. Parmi les voisins, Mathieu Kassovitz, qui s’apprête à réaliser Métisse et La Haine, et l’artiste Chris Marker. « Cet immeuble, qui était à l’époque un peu au milieu de nulle part, c’est toute notre jeunesse. Quand on a commencé à faire des petits films, on s’en servait comme décor », raconte Romain Gavras dans Le Monde (article payant).

Il a 14 ans quand il découvre le film de « Kasso ». « C’était le voisin cool qui d’un coup faisait le film le plus cool de la Terre. Ça nous a forcément complètement influencés », retrace-t-il, interrogé par Konbini. Il a même mis la pression à sa mère, Michèle Ray-Gavras, membre du jury du Festival de Cannes en 1995, pour que le film, qui y était présenté, ne reparte pas bredouille. Au rouge à lèvres, dans la salle de bain de la chambre de sa mère à Cannes, il avait écrit : « Si Mathieu n’a pas de prix, ce n’est pas la peine de rentrer à la maison », se remémore-t-elle pour franceinfo.

Mathieu Kassovitz et Vincent Cassel vont prendre sous leurs ailes Romain Gavras et son pote Kim Chapiron, en apparaissant dans des courts-métrages qu’ils réalisent. « Bizarrement, je ne les ai jamais considérés comme ‘mes petits’, se souvient « Vinz » de La Haine chez Konbini. Pour moi, ils étaient très talentueux. Je pense qu’on s’apportait mutuellement. Moi, sûrement, je leur ouvrais des portes, mais, eux, ils m’apportaient une espèce d’air frais et d’envie de bosser. »

C’est ainsi que « Kourtrajmé », le collectif créé par Romain Gavras, Kim Chapiron et un ami d’enfance, Toumani Sangaré se fait un nom. Le trio sera bientôt rejoint par Ladj Ly, ou encore les acteurs Olivier Barthélémy (Notre jour viendra), Alexis Manenti (Les Misérables), le journaliste Mouloud Achour, le photographe JR et le rappeur Oxmo Puccino. Le collectif réunit désormais plus d’une centaine de membres et est une « famille qui date, des potes de trente ans », compare Kim Chapiron dans Le Monde

Le premier court-métrage a faire du bruit est La Barbichette qui, en 2002, met en scène les frères Wanted joués par Vincent Cassel, Olivier Barthélémy et Marko Payen. Il rassemble 1,5 million de vues sur Dailymotion, presque 2 millions sur YouTube. « Un succès inimaginable pour une vidéo tournée en à peine deux heures avec un pote », raconte son auteur, Kim Chapiron, dans Le Parisien.

Des années plus tard, le groupe entend partager aux jeunes générations leur expérience et créé en 2018, l’école de cinéma Kourtrajmé implantée à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), où a grandi Ladj Ly. « On pense simplement qu’il existe des talents partout et que lorsque l’on forme des jeunes dans cette école, on profitera plus tard de leurs compétences, justifie Romain Gavras dans Première. Ceux qui n’ont pas suivi un parcours traditionnel vont offrir des points de vue singuliers. »

Avant de se frotter au long-métrage, Romain Gavras a fait ses armes dans la publicité et les clips. Si son premier clip pour le rappeur francilien Rocé (Changer le monde en 2002) passe relativement inaperçu, celui pour le groupe Mafia K’1 Fry va beaucoup faire parler. Pour ceux met en autant en avant les rappeurs Rohff, le 113, Manu Key que les habitants des cités du Val-de-Marne. « C’était l’anthem du rap de cette époque-là », avance Romain Gavras dans la revue Rockyrama. « Ce clip, c’est autant Kim [Chapiron] et moi, qu’eux. Nous, on était deux petits bouffons avec des caméras, on disait juste : ‘On voudrait du monde là’ à un moment donné, et puis eux ramenaient tous leurs gars. »

L’impact est énorme et se ressent jusqu’aux Etats-Unis où un certain Jay-Z est soufflé. Des années plus tard, le rappeur américain et le réalisateur français collaborent pour le clip de No Church in the Wild, tiré de l’album commun avec Kanye West, Watch The Throne. « La première fois que je l’ai rencontré, il me dit : ‘Tu viens de France, il y a ce clip qui est dingue que j’avais vu à l’époque’. Il me montre ‘Pour ceux’, je lui dis que c’est nous qui l’avons fait. Il me dit : ‘Tu te rends pas compte, à l’époque on devenait fou sur ce clip' », raconte-t-il à Télérama.

Nommé aux Grammy Awards pour ce clip et ceux de Bad Girls de la chanteuse pop britannique M.I.A. et Gosh du producteur britannique Jamie xx, Romain Gavras a eu moins de succès avec Stress du groupe Justice. Sorti en 2008, le clip a suscité un tollé. On y voit un groupe d’adolescents, noirs et arabes, venant de banlieue débouler à Paris pour tout casser. Le réalisateur s’amusait de la polémique dix ans plus tard.

« Je me souviens que j’avais pris un malin plaisir à me voir me faire traiter de facho par ‘Libération’ et dans le même temps d’anarchiste par ‘Le Figaro’. »

Romain Gavras, réalisateur

dans la revue « Rockyrama »

Face aux accusations de racisme, de stigmatisation des banlieues, le groupe d’électro-rock français avait dû publier un communiqué pour s’expliquer : « Ce film n’a jamais été envisagé comme une stigmatisation de la banlieue, comme une incitation à la violence ou, surtout, comme un moyen larvé de véhiculer un message raciste. » Le réalisateur, lui, assurait, toujours à Rockyrama, qu’« entre la musique, ce qu’est le clip, ce qu’il a provoqué, que ce soit de la haine ou de l’amour, c’est un des trucs dont je suis le plus fier ».

Venu à la réalisation avec des courts-métrages absurdes, mais visuellement novateurs pour l’époque avec notamment l’utilisation du « fish-eye », cet objectif grand angle qui courbe l’image, Romain Gavras, comme ses acolytes Ladj Ly et Kim Chapiron, a toujours voulu se démarquer d’un certain cinéma français. C’est pour cela que La Haine, notamment, a eu un tel impact sur le trio. « Ce qui était frappant, c’était son esthétique, cette recherche dans la mise en scène qui tranchait avec le cinéma français de l’époque », décortique-t-il dans Télérama.

« Mes films préférés sont des films visuels où vous ne recevez pas de message. Vous obtenez des sentiments et des émotions grâce au pouvoir des images. »

Romain Gavras, réalisateur

dans « The Guardian »

Pour écrire et réaliser Athena, Romain Gavras s’est nourri des violences policières en marge des manifestations de « gilets jaunes », de la montée de l’extrême droite, mais il se défend de vouloir faire passer un quelconque message. « J’essaie de transmettre des émotions au public, pas de leur servir des phrases hashtag comme ‘la guerre, c’est mal’, ‘le racisme, c’est pas bien' », analyse-t-il dans le magazine Vanity Fair. « Je fabrique des images, je n’ai pas de solution. Je ne suis pas un homme politique, assure-t-il à l’AFP. L‘idée, c’est de ne pas avoir des méchants et des gentils, c’est plus complexe que ça. »


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