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REPORTAGE. Crise énergétique : on a visité des communes bretonnes à la pointe de la sobriété

Dans le local technique de la chaufferie bois de la commune, Jean-Marc Labbé soulève un manteau de mousse d’environ 20 cm d’épaisseur. Il recouvre un ballon d’eau chaude pour l’isoler : « Ça, c’est tout bête, mais ça permet de faire 5 à 6% d’économies d’énergie par an ». Un détail qui résume la philosophie des travaux entrepris à La Méaugon, village de 1 350 habitants posé à une dizaine de kilomètres de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor. Ici, le moindre kilowatt d’énergie est chassé. Depuis 2008, la bourgade est parvenue à réduire ses consommations de 36%, selon la mairie. « On est une des communes les plus vertueuses en termes de non consommation », se vante Jean-Marc Labbé, élu depuis 2008 et maire depuis 2020. 

Le secret ? « On investit, on baisse notre coût de fonctionnement, résume l’édile. Quand on a cet objectif en ligne de mire, on ne réfléchit pas de la même façon ». Sur le parking de la mairie, il ouvre un grand toit coulissant et dévoile le ventre de sa chaufferie bois : des débris de branches provenant de communes voisines qu’il achète à une coopérative. « C’est du local, du circuit-court !« , se félicite-t-il. Installé en 2016, ce réseau de chaleur coûte cinq à six fois moins cher que le chauffage au gaz et au fioul utilisé auparavant, assure-t-il. Le chantier, d’environ 400 000 euros, a été subventionné à 60%, notamment par la région et l’Ademe (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), selon le maire. 

Désormais, l’installation alimente tous les bâtiments publics : l’école que Jean-Marc Labbé montre du doigt, le centre de loisirs en contrebas du parking, la cantine, la salle des fêtes, la mairie et les locaux associatifs. 

Mais la priorité de la commune a d’abord été de faire preuve de sobriété, comme Emmanuel Macron l’a récemment demandé aux Français. C’est-à-dire réduire volontairement sa consommation d’énergie, notamment pour limiter son impact sur l’environnement. Il a donc fallu isoler les bâtiments, pour éviter les déperditions d’énergie. « Surtout, il faut penser à l’usage » du patrimoine de la ville, complète Jean-Marc Labbé. Traduction : éviter de chauffer les pièces quand il n’y a personne dedans. La Méaugon a ainsi investi dans un système intelligent de détection de présence et de température. Dans la salle de réception, le maire montre un petit boîtier blanc accroché au mur. Des sondes comme celles-ci sont installées dans tous les bâtiments et permettent de réguler la température. « Dans la salle des fêtes, elle descend à 15 degrés en hiver quand elle n’est pas occupée et à 17 degrés dans l’école quand il n’y a personne ». Un minimum de chauffage étant tout de même nécessaire pour éviter l’humidité. 

L’éclairage public, aussi, a été optimisé. Il est coupé pendant la nuit. Un système intelligent détecte la luminosité et l’ajuste au passage matinal des premiers bus dans la commune. La municipalité a également réduit les espaces de tonte, pour économiser le carburant des tondeuses, et remplacé tous les néons par des LEDs, beaucoup moins consommatrices. Elle prépare enfin un système de permis de construire à points sur son territoire, pour inciter à utiliser des matériaux respectueux de l’environnement et à bien isoler les logements. Les propriétaires bénéficieront ainsi d’une réduction sur le coût du foncier. « Comme on n’a pas d’énergies en Bretagne, on essaye d’avoir des idées », lance Jean-Marc Labbé. 

A 40 kilomètres de là, les idées ne manquent pas non plus. Bienvenue au Mené, une ville née en 2016 du regroupement de 7 communes, un peu plus au sud, en filant en direction de Rennes. « On a estimé les besoins du territoire pour l’électricité, le chauffage et la mobilité, explique Marion Delaporte, animatrice développement durable de la municipalité. L’idée est de produire autant que ce qu’on consomme ».  

Au volant de sa camionnette électrique, elle parcourt les différents sites de production renouvelable : des panneaux photo-voltaïques installés sur le toit d’un entrepôt, un parc de sept éoliennes. Ce dernier est un projet à financement participatif dans lequel les habitants ont investi à hauteur de 30%. « Ici, le vent est optimal« , explique l’animatrice au pied d’un mât de 60 mètres de haut, sur la ligne de crête qui traverse la commune. Un autre parc éolien est en projet dans la commune, avec environ 150 habitants-investisseurs. « C’est important que la municipalité ne fasse pas les projets seule dans son coin et qu’elle ait le soutien de la population« , souligne Marion Delaporte. 

Parc éolien à financement participatif sur la commune du Mené (Côtes-d'Armor).  (MATHILDE GRACIA/ FRANCEINFO)

Parc éolien à financement participatif sur la commune du Mené (Côtes-d'Armor).  (MATHILDE GRACIA/ FRANCEINFO)

La commune est reconnue comme précurseure sur l’autonomie énergétique par les nombreux réseaux d’échange de bonnes pratiques comme Bruded, qui regroupe les collectivités bretonnes engagées pour le développement durable. Sous l’impulsion de certains agriculteurs et d’élus, de nombreux projets « sobres » y ont vu le jour depuis les années 80 : méthaniseur, huilerie pour produire des biocarburants, maisons solaires (avec des panneaux solaires thermiques individuels), panneaux photo-voltaïques, cinq réseaux de chaleur avec chaudières à bois. « On a essuyé les plâtres, raconte Gérard Daboudet, le maire du Mené qui présente sa commune comme l’une des pionnières de la sobriété en France.

Faute de main d’œuvre formée sur ce type d’équipement, la maintenance se révèle parfois délicate. Mais malgré les difficultés, la localité produit aujourd’hui plus d’électricité qu’elle n’en consomme. « Pour le chauffage et la mobilité, on n’est pas encore à l’autonomie« , reconnaît Florian Grass, ingénieur en autonomie énergétique du Mené. Dans un souci de sobriété, il réoriente les projets de la municipalité vers la baisse des consommations d’énergie : « C’est moins impressionnant de faire des travaux d’isolation sur un logement que de construire des maisons solaires« , relève Florian Grass.

Dans les mois à venir, il vise la rénovation d’une salle de spectacle pour un budget de 515 000 euros, prise en charge à 80% par des fonds européens, selon la commune. L’isolation par l’extérieur, le remplacement de la centrale de traitement d’air, des menuiseries, et la mise en place de panneaux photo-voltaïques en autoconsommation (non reliés au réseau électrique) doivent permettre de réduire de 80% la consommation d’énergie et de 75% les émissions de gaz à effet de serre du bâtiment. 

« Il faut beaucoup de moyens humains et financiers » pour amorcer cette transition énergétique, analyse le maire du Mené devant une école primaire. L’établissement est chauffé par géothermie depuis 2017. Sur le local technique, un panneau affiche : « territoire à énergie positive pour la croissance verte », un programme de financement du ministère de l’Environnement lancé sous Ségolène Royal, il y a huit ans. La commune a ainsi reçu 240 000 euros pour isoler l’école et remplacer la chaudière au fioul.

« On a dû diviser la note par quatre ou cinq »

le maire du Mené

à franceinfo

Le responsable technique du Mené, Denis Bazin, se réjouit de s’être débarrassé de l’ancienne installation, qui demandait « beaucoup plus d’entretien »

Le responsable technique de la commune du Mené (Côtes-d'Armor), Denis Bazin (à gauche), et le maire Gérard Daboudet, observent le système de chauffage géothermique à l'école primaire du Collinée.  (MATHILDE GRACIA/ FRANCEINFO)

Le responsable technique de la commune du Mené (Côtes-d'Armor), Denis Bazin (à gauche), et le maire Gérard Daboudet, observent le système de chauffage géothermique à l'école primaire du Collinée.  (MATHILDE GRACIA/ FRANCEINFO)

Les projets portés par La Méaugon et Le Mené seront-ils une source d’inspiration pour d’autres communes ? C’est ce qu’espèrent les conseillers de l’agence locale de l’énergie (Alec) de Saint-Brieuc. Installés dans un bâtiment industriel en centre-ville, ils s’attachent aujourd’hui à orienter les collectivités vers les bons financements, pour les aider à effectuer des travaux d’isolation. « Depuis les dernières élections municipales (2020), on sent une écoute plus attentive, il s’est passé quelque chose« , analyse Kevin Fèvre, conseiller en énergie partagé de l’Alec du Pays de Saint-Brieuc. Les élus veulent même aller plus loin que ce qu’on propose« .

Créée en 2010, la structure accompagne 61 communes, dont celle de La Méaugon, sur les 70 du territoire et affiche des résultats encourageants. Environ la moitié de leurs préconisations sur les réductions de consommation d’énergie ont été mises en place, pour un gain de 10% sur les factures. « Dans le top 10 des mesures à mettre en œuvre, la majorité ne coûtent pas un centime », souligne Charline Lasterre, directrice de l’Alec du Pays de Saint-Brieuc. Elle détaille : « Couper le chauffage dans les écoles la nuit et le week-end par exemple. Mais beaucoup de communes n’ont pas le réflexe, ou ne sont pas outillées pour.« 

Eloignée des lieux de production d’électricité (les centrales nucléaires et thermiques), la Bretagne a été pionnière dans le déploiement des conseillers en énergie partagé (CEP) qui aident les petites communes à réduire leurs consommations. « La collectivité a un rôle d’exemplarité, insiste Charline Lasterre. Quand elle sollicite des travaux innovants, elle fait vivre des entreprises et stimule le territoire ». Mais pour la directrice de l’Alec, il reste encore beaucoup de travail. Le prochain défi consiste à accompagner les particuliers dans leur transition énergétique. « On a seulement trois conseillers qui leur sont dédiés. On n’est pas outillés pour répondre à tout le monde », déplore-t-elle. Et visiblement le téléphone n’a pas fini de sonner.


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