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EN IMAGES. « Tout ce vous voyez est réel » : on vous explique comment sont fabriqués les clichés du télescope James Webb

Elles fascinent et elles émerveillent. Les images du télescope James Webb, le plus puissant observatoire spatial envoyé dans l’espace, font rêver. Nébuleuses, galaxies, planètes ou exoplanètes… Elles donnent à voir des recoins de l’univers avec une finesse inégalée. Franceinfo revient en détails sur la façon dont sont composées ces images saisissantes qui à chaque fois font le tour du monde.

La démarche va être illustrée avec l’image de la nébuleuse d’Orion, qui a été publiée le 12 septembre. Cette zone est « l’une des régions les plus iconiques du ciel », d’après Eric Lagadec, le président de la Société française d’astronomie et d’astrophysique. La nébuleuse d’Orion, qui se situe à environ 1 400 années-lumières de le Terre, est la pouponnière d’étoiles la plus riche et la plus proche de notre système solaire.

Image du télescope spatial James Webb montrant la région interne de la nébuleuse d'Orion. (NASA/ESA/CSA/PDRs4All ERS/SALOME FUENMAYOR)

Image du télescope spatial James Webb montrant la région interne de la nébuleuse d'Orion. (NASA/ESA/CSA/PDRs4All ERS/SALOME FUENMAYOR)

Récolter des images brutes

Cette image est le fruit d’un travail codirigé par Olivier Berné, astrophysicien à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap) de Toulouse. Il est le co-responsable de l’un des 13 projets scientifiques prioritaires du télescope James Webb – et le seul projet prioritaire français. Le résultat visible ci-dessus est le fruit de trois heures d’observation dans la nuit du 10 au 11 septembre, avec l’instrument NIRCam du télescope, précise Olivier Berné.

Au total, quelque 280 images ont été récoltées. Elles sont réparties sur les 4 détecteurs de l’instrument, et sur un ensemble de 14 filtres, des dispositifs qui sélectionnent les couleurs, chacun s’intéressant à une partie du domaine spectral de la lumière observée. Les images directement obtenues lors de cette première étape n’ont strictement rien à avoir avec le résultat publié.

« Les images brutes sont dominées par le bruit. »

Olivier Berné, astrophysicien à l’Irap

à franceinfo

Ce « bruit » n’a rien de sonore : il s’agit en fait de parasites sur l’image. « C’est un bruit systématique », souligne Olivier Berné. Il est principalement lié à l’instrument lui-même, qui – par son fonctionnement – perturbe la capture visuelle qu’il réalise. Voici un aperçu de l’une de ces images. Elle ressemble davantage à une mauvaise photocopie qu’à une magnifique nébuleuse colorée.

Image brute de la nébuleuse d'Orionpour le filtre F187N de l'un des quatre detecteurs de l'instrument NIRCam, qui est l'un des instruments du téléscope spatial James Webb. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Image brute de la nébuleuse d'Orionpour le filtre F187N de l'un des quatre detecteurs de l'instrument NIRCam, qui est l'un des instruments du téléscope spatial James Webb. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Nettoyer ce qui les parasite

En l’état, l’image est illisible. « Ce bruit doit être soustrait. C’est quelque chose de classique en astronomie que l’on maîtrise très bien », assure Olivier Berné. Le nettoyage se produit lors d’opérations qui se font via des programmes informatiques. Le processus peut être totalement ou partiellement automatisé par une chaîne de traitement du Space Telescope Science Institute, de la Nasa, qui se trouve à Baltimore (Etats-Unis).

Tout en utilisant les algorithmes de nettoyage de l’agence spatiale américaine, l’équipe d’Olivier Berné a préféré garder la main pour obtenir un résultat plus fin et plus proche de leurs attentes. « C’est la différence entre celui qui prend sa voiture, qui roule avec, et celui qui ouvre le capot pour changer des réglages et optimiser les performances », illustre Amélie Canin, ingénieure dans l’équipe d’Olivier Berné, qui prépare cette observation à temps plein depuis dix-huit mois.

Voici à quoi ressemble l’image ci-dessus allégée de ce fameux bruit. L’image est un peu plus dégagée que la version brute. Difficile encore de deviner la nébuleuse d’Orion, mais l’image gagne en netteté et des étoiles sont révélées.

Image de la nébuleuse d'Orionpour le filtre F187N de l'un des quatre detecteurs de l'instrument NIRCam, un instrument du téléscope spatial James Webb, une fois le bruit soustrait de l'image brute. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Image de la nébuleuse d'Orionpour le filtre F187N de l'un des quatre detecteurs de l'instrument NIRCam, un instrument du téléscope spatial James Webb, une fois le bruit soustrait de l'image brute. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Unifier la luminosité

Ce premier traitement est appliqué à chaque image. Elles sont ensuite calibrées, c’est-à-dire unifiées, en terme d’intensité et de luminosité. Mais, à ce stade, chacune de ces images n’est qu’un fragment de l’image d’ensemble de la nébuleuse : elles sont divisées en quatre.

Planche montrant des images de la nébuleuse d'Orion, correspondant aux 4 détecteurs, de l'instrument NIRCam du téléscope James Webb, avant leur combinaison. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Planche montrant des images de la nébuleuse d'Orion, correspondant aux 4 détecteurs, de l'instrument NIRCam du téléscope James Webb, avant leur combinaison. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Assembler les images produites

C’est alors le moment d’assembler le tout pour obtenir une vue globale. « On combine les différentes images pour créer une image d’ensemble. Là, nous avons l’image exploitable », explique Amélie Canin. Une image « exploitable », certes, mais dans des nuances de gris. Voici l’image assemblée de la nébuleuse d’Orion, pour un seul filtre.

Image "finale" de la nébuleuse d'Orion, prise par l'instrument NIRCam du téléscope James Webb, pour le filtreF187N. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Image "finale" de la nébuleuse d'Orion, prise par l'instrument NIRCam du téléscope James Webb, pour le filtreF187N. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Une image pour un filtre ne correspond pas à une seule pose. « On prend une séquence de poses et on les additionne pour avoir une image la plus nette possible », explique Olivier Berné.

« L’intérêt est de compléter les éventuels défauts sur une image ou une autre. »

Amélie Canin, ingénieure

à franceinfo

Au total, quatorze images comme celles-ci ont été produites, correspondant aux 14 filtres de l’instrument NIRCam. Les éléments qui ressortent ne sont pas les mêmes, selon les filtres, comme l’illustre la planche ci-dessous. De gauche à droite, elle montre la nébuleuse d’Orion avec les filtres f187n, f277w et f335m.

Planche de trois images de la nébuleuse d'Orion, prise avec l'instrument NIRCam. La première correpond au filtre f187n, la seconde au filtre f277w et la troisième au filtre f335m. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Planche de trois images de la nébuleuse d'Orion, prise avec l'instrument NIRCam. La première correpond au filtre f187n, la seconde au filtre f277w et la troisième au filtre f335m. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Coloriser le tout avec un graphiste 

Si ces images sont prêtes à être utilisées, elles restent en noir et blanc. C’est alors que la couleur est introduite. Le télescope James Webb observe l’univers dans l’infrarouge. Il distingue des éléments que l’œil humain ne peut déceler. Si en réalité les couleurs de l’image ne ressemblent pas à ce que nous pourrions voir à l’œil nu (si toutefois nous étions assez proches de la nébuleuse d’Orion), les images produites par le télescope représentent une « traduction d’un message du mieux que l’on peut », avance Olivier Berné.

La colorisation marque « le début de la partie artistique », remarque l’astrophysicien. Problème : elle n’est pas à la portée de tous. Les scientifiques disposent d’un outil pour produire des compositions simples. Voici un exemple de ce que cela peut donner, avec trois filtres (rouge : f335m, vert : f277w, et bleu : f335m). Cette composition a été réalisée par Amélie Canin pour les besoins de cet article.

Exemple rudimentaire d'image colorisée de la nébuleuse d'Orion, combinant trois filtres de l'instrument NIRCam du téléscope James Webb. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Exemple rudimentaire d'image colorisée de la nébuleuse d'Orion, combinant trois filtres de l'instrument NIRCam du téléscope James Webb. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

« On constate que combiner simplement les images ne permet pas d’avoir la belle image finale. »

Amélie Canin, ingénieure

à franceinfo

C’est pourquoi il vaut mieux recourir à un graphiste. Pour ce travail, Olivier Berné a fait appel aux services de la Vénézuélienne Salomé Fuenmayor, présente à Toulouse. « Elle s’était entraînée auparavant sur des images de James Webb pour se faire la main », relève-t-il « On a choisi de tout faire en interne, et ce n’est pas forcément courant. Faire une observation comme ça, dans la nuit, et livrer des images quelques heures ensuite, c’est quelque chose d’extrêmement rare », souligne Olivier Berné.

« Etre avec notre graphiste nous a permis d’aller plus vite et d’avoir un avis sur cette partie artistique du processus. »

Olivier Berné, astrophysicien

à franceinfo

Pour des raisons techniques et de délai, quatre images ont été mises de côté. « On lui a transmis 10 images et on lui a laissé les mains libres avec assez peu de contraintes », souligne l’astrophysicien. Salomé Fuenmayor a commencé par aligner manuellement toutes les images car elles ne le sont pas forcément. Ensuite, « elle a colorisé chaque couche en adoptant un code couleur, selon notre demande. Les fréquences basses se trouvent dans le rouge. Les couleurs les plus bleues correspondent aux plus hautes fréquences, comme dans le spectre électromagnétique », explique Olivier Berné. Et de nuancer : « Mais c’est Salomé qui a choisi la couleur détaillée et l’ajustement du niveau de contraste et de saturation pour faire la composition colorée finale.« 

« La dimension artistique joue… mais aussi une dimension scientifique. »

Olivier Berné, astrophysicien à l’Irap

à franceinfo

Après environ huit heures de travail en flux tendu, toute l’équipe s’est accordée sur l’image qu’elle trouvait la plus belle. Celle-ci a été extraite. Puis cette image, qui cumule dix couches, a subi un ultime travail d’ajustement d’ensemble, donnant le cliché qui a été publié. Face aux critiques qui évoquent parfois un travail d’embellissement exagéré, Olivier Berné rétorque qu’« il n’y a pas de trucage ».

« Tout ce que nous voyons dans l’image est réel. Toutes les étoiles, tous les nuages, toutes les structures, tous les filaments, tous les globules… Tout est là. Nous n’avons rien créé. »

Olivier Berné, astrophysicien à l’Irap

à franceinfo

Olivier Berné ne cache pas que 70% à 80% de son programme scientifique avec le télescope James Webb est dédié à la spectroscopie, et que l’imagerie n’occupe qu’une place minoritaire. Toutefois, il insiste sur le fait que ces images auront un intérêt scientifique, pour la recherche. Surtout, il met l’accent sur la nécessité d’ouvrir la science. « Nous ne faisons pas cela pour que les scientifiques soient contents avec des résultats très techniques que personne ne comprend », tonne l’astrophysicien. « Le travail scientifique, c’est aussi de communiquer des résultats au grand public, à l’ensemble de la société, juge-t-il. Une image comme celle-là est déjà un résultat scientifique dans la mesure où nous montrons le cosmos avec un niveau de détail inédit. »


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