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Éducation à la sexualité : « Il y a une prise de parole, bien plus libre », raconte une enseignante

« Avez-vous déjà eu des cours d’éducation à la sexualité ? » C’est par cette question qu’Aude Paul, professeure de français au lycée Louise Michel de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, débute la séance du jour, consacrée aux stéréotypes de genres. La plupart des élèves de Seconde répondent « oui ». Au collège, ils ont étudié la reproduction, la contraception, la prévention des infections sexuellement transmissibles, en cours de SVT. Mais ce matin-là, il s’agit d’aller au-delà de ces aspects biologiques, et de discuter du sexisme, des agressions sexuelles, du consentement.

Des thèmes qui doivent faire partie des cours d’éducation sexuelle, et qui sont souvent peu abordés, d’après une étude menées en 2021 par le collectif #NousToutes auprès de plus de 10 000 personnes. Pire encore, selon un rapport de l’Inspection générale de l’Éducation, rendu public en septembre, à peine 15% des lycéens, et 20% des collégiens, ont suivi les trois séances annuelles obligatoires d’éducation à la sexualité. Le ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye, a lancé mi-septembre un état des lieux de la situation et souhaite voir enfin respecter cette loi.

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Au lycée de Bobigny, la séance de deux heures débute par le visionnage du court-métrage Majorité opprimée. Dans celui-ci, un homme est harcelé, insulté dans la rue, agressé sexuellement par plusieurs femmes. Puis, quand il va porter plainte, une policière remet en cause son témoignage. Sa compagne lui fait remarquer qu’il portait des vêtements courts, sous-entendant qu’il l’a un peu cherché. Certains lycéens rient de gêne face à la situation, d’autres sont choqués. À l’issue du film, ils s’accordent tous sur un titre à donner au court-métrage : « Monde parallèle », « L’inversion des rôles »…

La discussion commence alors avec les deux enseignantes qui co-animent cette séance. « Dans la vraie vie, ce sont plus les femmes qui se font agresser. Quand ce sont les femmes qui sont victimes, c’est banalisé. Alors que quand ce sont des hommes, ça fait bizarre », souligne Rizlene. « Va-t-on croire un homme quand il dit avoir été agressé ? Parce que normalement, ce n’est pas aux hommes que ça arrive », ajoute une de ses camarades. « Les femmes ne sont pas crues quand elles témoignent », estime sa voisine. Au fil des deux heures de la séance, les lycéens pointent toutes les situations qui leur ont paru problématique dans le court-métrage, avant d’imaginer des moyens de se protéger contre les violences sexistes et sexuelles. Tesnin, une des lycéennes, évoque une vidéo vue sur Tiktok, où « une fille est obligée de faire des cris d’animaux dans la rue, pour éloigner les hommes. Ce n’est juste pas normal de ne pas pouvoir s’habiller sans être sifflée, accostée !« 

Elodie Gevrey (à gauche) et Aude Paul (à droite) définissent ces séances comme des "cadres rassurants, où les lycéens peuvent poser toutes leurs questions et parler librement." (THOMAS GIRAUDEAU / FRANCEINFO)

Elodie Gevrey (à gauche) et Aude Paul (à droite) définissent ces séances comme des "cadres rassurants, où les lycéens peuvent poser toutes leurs questions et parler librement." (THOMAS GIRAUDEAU / FRANCEINFO)

En face d’eux, Aude Paul, enseignante de français, est là pour définir les termes, différencier harcèlement, agression, viol, donner quelques faits : « Huit agressions sexuelles sur dix sont commises par des personnes qui connaissent la victime. Elles se déroulent plutôt au domicile, au travail, dans la sphère privée, moins dans la rue », et que « 98% des auteurs d’agression sexuelle et de viol sont des hommes. » Sa collègue, Elodie Gevrey, professeur d’espagnol, donne en fin de séance quelques numéros d’urgence : le 3919 pour les femmes victimes de violences, le 3018 pour le cyber-harcèlement.

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De ces deux heures, Ghaouti et Saïd retiennent la notion de consentement et l’importance d’écouter les victimes. « Quand c’est non, c’est non. On ne peut pas demander des choses si elle n’est pas consentante. Il ne faut pas forcer », dit Ghaouti. « Et puis, il faut se mettre à la place des personnes qui se retrouvent dans ce genre de situation », ajoute Saïd. « Ça peut les aider à en parler, à se sentir dans un climat de confiance. » Ce climat de confiance, c’est justement celui que les enseignants du lycée Louise Michel tentent d’instaurer. Ils sont une vingtaine à animer ou co-animer des séances d’éducation à la sexualité. Certains ont suivi des modules de formation continue sur le sujet, d’autres se sont renseignés sur les plateformes pédagogiques type Eduscol.

« On a la chance ici d’avoir des enseignants très sensibilisés. »

Aude Paul

franceinfo

Ils « prennent en charge ces séances, ou au moins nous aident à les organiser, et l’équipe de direction nous soutient « , précise Aude Paul, enseignante de français. La co-animatrice de la séance du matin est investie depuis plusieurs années dans le lycée. Elle est la référente pour les autres enseignants sur l’éducation à la sexualité. « Je ne dirais pas qu’au quotidien, dans ce que j’observe dans les couloirs, ces séances changent les mentalités », regrette-t-elle. « En revanche, il y a une prise de parole, bien plus libre. À chaque séance, des jeunes filles revendiquent le droit de circuler librement, dans la tenue qu’elles ont choisi. Ce changement est net. « 

Pour sa collègue, Elodie Gevrey, co-animatrice de la séance, « On peut parler de plus en plus de sujets. Certes, il y a des différences culturelles, de lois entre les pays, par exemple sur la polygamie. On doit rappeler qu’elle est interdite en France. Mais on est de moins en moins confronté, gêné par les aspects culturels et religieux. » Ces séances sont l’occasion de « donner des informations fiables, des chiffres pour casser leurs préjugés, leurs stéréotypes. On pose un cadre pour discuter de ces thématiques. Un cadre rassurant où ils peuvent poser toutes leurs questions. »

Au lycée Louise Michel de Bobigny, les équipes pédagogiques arrivent à mener une séance par an et par classe d’éducation à la sexualité. Malgré ce volontarisme, cela ne suffit pas à atteindre les objectifs fixés par l’article L. 312-16. de la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001, qui impose trois séances annuelles au collège et au lycée, et d’en parler dès l’école élémentaire. Dans les faits, très peu d’établissements y arrivent, comme le pointe le rapport de l’Inspection générale de l’Education, intitulé « Éducation à la sexualité en milieu scolaire« .

Selon David Boudeau, président de l’association des professeurs de biologie et géologie, cela s’explique d’abord par un défaut de formation des enseignants sur ces thématiques. Mais aussi par un manque de temps et de place prise par ces questions dans les programmes, notamment en SVT.  Ces cours d’éducation à la sexualité « reposent notamment sur les infirmiers et médecins scolaires, psychologues de l’Education nationale, et ils sont de moins en moins nombreux », constate-t-il. « Dans mon lycée, en Vendée, l’infirmière est à cheval sur plusieurs établissements. Elle ne peut pas former les enseignants, participer et coordonner trois séances par an et par classe. Nous ne pouvons en réaliser qu’une ».

Ce déficit d’éducation à la sexualité a des conséquences dramatiques sur les comportements des jeunes. Le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, dans une note de vigilance publiée fin août, estime que « l’absence d’éducation à la vie sexuelle favorise le sexisme, qui est lui-même l’antichambre des violences ». Sa présidente, Sylvie Pierre-Brossolette établit un lien de cause à effets. « Dans les études que nous avons menés, la tranche des 18-34 ans a des pratiques de violence beaucoup plus élevées que ses aînés. Une partie de la réponse se situe dans l’ignorance totale de ce que doivent être des relations normales et saines entre femmes et hommes », résume-t-elle. 

« L’éducation ne fournit pas son travail, et les images pornographiques comblent le vide. On y voit des rapports sexuels violents, sexistes, parfois racistes. »

Sylvie Pierre-Brossolette

à franceinfo

La pornographie, mais aussi les stéréotypes sexistes, et la remise en cause de la parole des victimes alimentent ce que les sociologues appellent la « culture du viol ». Dans une étude Ipsos, réalisée l’an dernier, un quart des jeunes hommes interrogés estime que lorsqu’une femme dit « non » à une relation sexuelle, cela veut dire « oui ».


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