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L’auteur Philippe Jaenada défend l’innocence d’un condamné dans « Sans preuve et sans aveu »

Le romancier, à partir du dossier d’instruction d’une affaire de meurtre, signe ce livre dans lequel il apporte son soutien à Alain Laprie.

Pause dans la littérature pour Philippe Jaenada: le romancier, dans un livre distinct du reste de son oeuvre, se met au service d’un condamné pour homicide qui d’après lui est innocent.

Sans preuve et sans aveu, publié jeudi aux éditions Mialet-Barrault, est un plaidoyer pour un homme banal, en prison après une affaire peu médiatisée. Alain Laprie, 66 ans, purge une peine de 15 ans de réclusion criminelle pour le meurtre en mars 2004 à Pompignac, près de Bordeaux, de sa tante Marie Cescon, 88 ans.

Le verdict, en appel, a été prononcé en février 2020 par la cour d’assises à Angoulême. Mais en première instance, à Bordeaux en 2018, l’accusé avait été acquitté.

« Il faut que j’écrive vite, on ne m’en voudra pas (non): la littérature, parfois, tant pis », commence Philippe Jaenada à la première page. Et de dérouler les faits, à partir du dossier d’instruction.

Conclusions dérangeantes

Philippe Jaenada est devenu familier de la lecture des procès-verbaux, expertises et autres ordonnances de mise en accusation. Du dossier du meurtre en 1964 de Luc Taron, 10 ans, qui a valu à un certain Lucien Léger quatre décennies derrière les barreaux, il a tiré Au printemps des monstres (2021), qui remet en cause nombre de certitudes.

De son examen de l’affaire Marie Cescon, il tire des conclusions dérangeantes pour les enquêteurs: l’octogénaire a succombé à une agression très violente dans sa maison, incendiée ensuite par le meurtrier. À quelle heure ? Les expertises diront d’abord que ce feu a démarré à un moment où Alain Laprie a quitté Pompignac. Puis, en éludant ou en tordant quelques éléments établis, à une heure où l’accusé est chez sa tante.

Poussé à écrire

La démonstration, qui exige au lecteur de rester attentif, a le mérite de la rigueur. Mais elle a failli ne jamais être: « Je ne veux pas écrire ce livre. Je n’ai plus envie de parler de mort et de fait divers. Même le mot littérature, j’ai des nausées », explique l’auteur à l’AFP, un an après s’être lancé dans cette entreprise.

« Mais une fois que j’ai commencé à regarder le dossier, tout en me disant ‘N’écris pas ce livre’, en ayant mon éditeur qui me dit N’écris pas ce livre, ce n’est pas bon pour toi, pour ta carrière’, je me rends compte que, si je ne l’écris pas, si je dis à Alain Laprie que je suis désolé qu’il soit en prison, que c’est touchant mais non, alors je ne vais plus pouvoir passer devant un miroir », ajoute-t-il.

Genre peu exploré

Rares sont les livres qui prennent le contre-pied de la vérité judiciaire. Le modèle du genre est Le Pull-Over rouge (1978), où le journaliste Gilles Perrault entend démontrer l’innocence de Christian Ranucci, exécuté pour le meurtre d’une fillette, Marie-Dolorès Rambla. « Le livre qui m’a le plus marqué », dit Philippe Jaenada. Même si, comme d’autres connaisseurs du dossier, il en repère les angles morts et exagérations: Ranucci a bien tué, tranche l’écrivain.

Coupable à tout prix (1984) de Gisèle Tichané, sur une affaire de viol en 1981 où l’accusé s’appelait Luc Tangorre, a connu un sort désastreux. Car cet homme soutenu par des vedettes et intellectuels quand il clamait son innocence, et gracié par le président François Mitterrand, a fini par récidiver.

C’est donc sa crédibilité que Philippe Jaenada met en jeu. « Ce qu’il faut maintenant, c’est que quelqu’un de plus puissant que moi, un grand avocat, un ministre, je ne sais pas, s’empare de cette cause », dit-il. L’avocate d’Alain Laprie s’apprête à déposer une demande en révision. Cette procédure n’aboutit que dans des cas extrêmement rares.

B.P. avec AFP


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