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VRAI OU FAKE. Pénurie de carburant : on a vérifié quatre affirmations sur les salaires chez TotalEnergies

Une grève, une pénurie et beaucoup de commentaires. Les salariés grévistes de TotalEnergies ont voté en faveur d’une poursuite de leur mouvement sur l’ensemble des sites du groupe pétrolier, vendredi 14 octobre, alors même qu’un accord sur des augmentations salariales a été signé par les deux syndicats majoritaires de l’entreprise. Le conflit social entraîne depuis plusieurs jours d’importantes perturbations dans les stations-service dont les pompes sont à sec, faute d’être réapprovisionnées en essence ou en gasoil. 

Cette situation de crise suscite le débat politique et la question financière est sur toutes les lèvres, dans les rangs de la Nupes comme dans ceux des syndicats. Profits du géant des hydrocarbures, rémunération de son PDG, Patrick Pouyanné, salaires des salariés, dividendes versés aux actionnaires… Franceinfo a vérifié les principales questions qui sont au cœur des discussions.

La rémunération d’un opérateur de raffinerie est-elle de 5 000 euros par mois, comme l’affirme TotalEnergies ? A nuancer.

Une bataille des chiffres oppose les syndicats à la direction de TotalEnergies. Dans un communiqué publié le 9 octobre, la compagnie dévoile le montant du salaire brut d’un opérateur de raffinerie : 4 300 euros bruts hors intéressement, 5 000 euros primes et intéressement compris. De quoi prouver, selon elle, sa « volonté » que ses employés reçoivent « la juste récompense de leurs efforts sur leur fiche de paie »Il s’agit d’une moyenne, qui a été calculée pour les seuls « ouvriers et agents de maîtrise », précise à franceinfo le groupe pétrolier. Ce chiffre est vivement contesté par la CGT. Le syndicat déclare des salaires nettement plus bas : « 2 500 euros bruts en début de carrière et autour de 3 000 euros pour un salarié avec vingt ans d’ancienneté. » Qui a raison ?

Le bilan social de TotalEnergies (PDF), un document que toute entreprise de plus de 300 collaborateurs doit fournir, renseigne sur le détail des conditions de rémunérations en vigueur chez le pétrolier. Ce bilan social est contrôlé par le Comité social et économique (CSE), une instance de représentation du personnel qui doit émettre un avis lors de sa publication. Pour l’année 2021, le salaire moyen des « Employés, techniciens et agents de maîtrise » (Etam) s’est élevé à 4 203 euros par mois. Un chiffre très proche des 4 300 euros hors intéressement déclarés par Total dans son communiqué. Le bilan social fournit également un montant moyen de la participation et de l’intéressement par salarié en 2021 : environ 5 038 euros. Un salarié du groupe gagne donc en moyenne 4 622 euros par mois, au total.

Mais selon le groupe TotalEnergies, contacté par franceinfo, un opérateur de raffinerie bénéficie d’un intéressement et d’une participation qui s’élèvent en moyenne à « 9 108 euros », avec un « montant minimum de 7 250 euros et maximum de 12 000 euros ». Soit davantage que la moyenne des salariés du groupe, telle que rapportée dans le bilan social. « Le salaire de base n’est pas le seul élément de la rémunération récurrente d’un opérateur qui travaille dans une raffinerie, insiste TotalEnergies. Il convient d’y ajouter les primes et l’intéressement. »

Analyser les conditions de rémunération dans une entreprise via la seule étude de la moyenne des salaires peut cependant dissimuler des écarts de salaires importants, entre collaborateurs débutants et expérimentés notamment. Dans un communiqué, la CGT affirme qu’un opérateur de raffinerie commence sa carrière « au smic, loin des 5 000 euros annoncés par la direction ». Ensuite, la progression se fait « graduellement », explique le syndicat. D’après le bilan social du groupe, environ 10% des effectifs en CDI ont une ancienneté dans l’entreprise inférieure à neuf ans.

Un pompiste chez TotalEnergies gagne-t-il moins que le smic, comme l’a avancé Fabien Roussel ? Non.

« Opération vérité sur les salaires chez Total. (…) Je révèle les vrais salaires chez Total, fiches de paie à l’appui. Certains démarrent en dessous du smic pendant que le patron s’augmente de 52 % », lâche Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français, sur Twitter le 12 octobre. Dans le débat sur les salaires au sein de la compagnie pétrolière, l’ex-candidat communiste à la présidentielle prétend que certains employés du pétrolier sont rémunérés en dessous du salaire minimum.

Contacté par Libération, le chef de file des communistes précise qu’il se référait aux salaires pratiqués chez Argedis, une filiale de TotalEnergies qui assure la gestion des stations-service. « Argedis est certainement la filière du groupe Total où les salariés sont les moins rémunérés », juge auprès de franceinfo Bruno Guittat, coordinateur CFDT de la filiale. Cependant, assure le syndicaliste, « aucun salarié n’est payé en dessous du smic ».

La Convention collective nationale des services de l’automobile (PDF) qui définit la grille de rémunération des employés en station-service, précise que le salaire minimum brut de la profession s’élève à 1 678,95 euros. Soit le smic. « Les salaires chez Argelis sont proches du smic, mais restent supérieurs », confirme Bruno GuittatUn pompiste peut en effet bénéficier de primes, « pour les jours fériés ou de ‘blanchisserie’ pour nettoyer ses vêtements et d’un 13e mois », énumère le coordinateur syndical. Au total, ces primes peuvent représenter environ « 20% » du salaire annuel.

Les actionnaires de TotalEnergies ont-ils reçu 2,6 milliards de dividendes en septembre, comme relevé par Alexis Corbière ? Oui.

« Total va reverser 2,62 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires. Ce groupe a profité de la crise, a gavé ses actionnaires sans reverser quoi que ce soit à ses salariés », déplore le député La France insoumise Alexis Corbière, le 14 octobre sur Twitter. L’élu dit vrai.

Le 28 septembre, en plein débat sur les superprofits et alors que près de 70% des salariés de ses raffineries étaient déjà en grève, le groupe TotalEnergies a effectivement annoncé dans un communiqué qu’il distribuerait en décembre une gratification exceptionnelle à ses actionnaires. Face à « l’évolution des marchés du pétrole, du gaz et de l’électricité » et au « bilan très solide » que le pétrolier affichera fin 2022, Total s’est estimé en position « d’offrir une politique attractive de retour à l’actionnaire ». Le conseil d’administration du pétrolier, « souhaitant partager avec ses actionnaires les résultats de la compagnie dans ce contexte de prix hauts », va « verser un acompte sur dividende exceptionnel de un euro par action en décembre 2022 », sur 2,62 milliards d’actions, précise le communiqué. Soit donc bien 2,62 milliards d’euros de dividendes distribués.

Le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, s’est-il augmenté de 52% ? Oui.

Alors que les négociations entre la CGT et la direction ont échoué, dans la nuit de jeudi à vendredi, sur le montant de la hausse salariale à verser aux salariés, la polémique enfle également sur la rémunération du PDG de Total, Patrick Pouyanné, et l’augmentation qui lui a été accordée pour l’année 2021.

« Peut-être que si le PDG de Total n’avait pas augmenté son salaire de 52% en 2021, nous ne serions pas dans cette situation de blocage », regrettait sur Public Sénat le 11 octobre Gérard Leseul, député socialiste de la 5e circonscription de la Seine-Maritime. 

Le pourcentage avancé par le député PS est exact. Le rapport financier annuel de TotalEnergies de 2021 (PDF, page 239) révèle effectivement que la rémunération annuelle du PDG est passée de 3,918 millions d’euros en 2020 à 5,944 millions en 2021. Soit une augmentation de 51,7%.

Evolution de la rémunération de Patrick Pouyanné (Rapport annuel Total 2021)

Evolution de la rémunération de Patrick Pouyanné (Rapport annuel Total 2021)

Sur cette confortable hausse de revenus du grand patron, sa « rémunération fixe », son salaire à proprement parler passe de 1,167 million en 2020 à 1,4 million d’euros en 2021. Soit une hausse de 20%. L’essentiel de la rémunération du PDG, tirée de sa part variable et de ses actions, est soumise à des « conditions de performance », précise le document financier. En d’autres termesPatrick Pouyanné voit ses émoluments augmenter, grâce aux bons résultats financiers de son entreprise. Or la compagnie pétrolière a enregistré un bénéfice de 16 milliards de dollars en 2021.

Pour l’atteinte de ses objectifs en 2021, le PDG a reçu une rémunération variable en hausse de 27% par rapport à l’année précédente (2,506 millions d’euros) mais surtout pas moins de 90 000 actions de performances ou stock-options, valorisées à 1,972 million d’euros. Soit une rémunération en actions 176% plus élevée qu’en 2020. Il est à noter toutefois qu’en 2020, en raison des mauvais résultats du groupe pétrolier enregistrés pendant la pandémie de Covid-19, Patrick Pouyanné avait vu sa rémunération baisser de 36,4%.


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